Chapitre XXVI.
Jésus au tombeau.
Il était environ trois heures de l’après-midi, selon notre manière de compter 1192, quand Jésus expira. Une loi juive 1193 défendait de laisser un cadavre suspendu au gibet au-delà de la soirée du jour de l’exécution. Il n’est pas probable que, dans les exécutions faites par les Romains, cette prescription fût observée. Mais comme le lendemain était le sabbat, et un sabbat d’une solennité particulière, les Juifs exprimèrent à l’autorité romaine 1194 le désir que ce saint jour ne fût pas souillé par un tel spectacle 1195. On acquiesça à leur demande ; des ordres furent donnés pour qu’on hâtât la mort des trois condamnés, et qu’on les détachât de la croix. Les soldats exécutèrent cette consigne en appliquant aux deux voleurs un second supplice, bien plus prompt que celui de la croix, le crurifragium, brisement des jambes 1196, supplice ordinaire des esclaves et des prisonniers de guerre. Quant à Jésus, ils le trouvèrent mort, et ne jugèrent pas à propos de lui casser les jambes. Un d’entre eux, seulement, pour enlever toute incertitude sur le décès réel de ce troisième crucifié, et l’achever s’il lui restait quelque souffle, lui perça le côté d’un coup de lance. On crut voir couler du sang et de l’eau, ce qu’on regarda comme un signe de la cessation de vie.
Jean, qui prétend l’avoir vu 1197, insiste beaucoup sur ce détail. Il est évident en effet que des doutes s’élevèrent sur la réalité de la mort de Jésus. Quelques heures de suspension à la croix paraissaient aux personnes habituées à voir des crucifiements tout à fait insuffisantes pour amener un tel résultat. On citait beaucoup de cas de crucifiés qui, détachés à temps, avaient été rappelés à la vie par des cures énergiques 1198. Origène plus tard se crut obligé d’invoquer le miracle pour expliquer une fin si prompte 1199. Le même étonnement se retrouve dans le récit de Marc 1200. À vrai dire, la meilleure garantie que possède l’historien sur un point de cette nature, c’est la haine soupçonneuse des ennemis de Jésus. Il est douteux que les Juifs fussent dès lors préoccupés de la crainte que Jésus ne passât pour ressuscité ; mais en tout cas ils devaient veiller à ce qu’il fût bien mort. Quelle qu’ait pu être à certaines époques la négligence des anciens en tout ce qui était constatation légale et conduite stricte des affaires, on ne peut croire que les intéressés n’aient pas pris à cet égard quelques précautions 1201.
Selon la coutume romaine, le cadavre de Jésus aurait dû rester suspendu pour devenir la proie des oiseaux 1202. Selon la loi juive, enlevé le soir, il eût été déposé dans le lieu infâme destiné à la sépulture des suppliciés 1203. Si Jésus n’avait eu pour disciples que ses pauvres Galiléens, timides et sans crédit, la chose se serait passée de cette seconde manière. Mais nous avons vu que, malgré son peu de succès à Jérusalem, Jésus avait gagné la sympathie de quelques personnes considérables, qui attendaient le royaume de Dieu, et qui, sans s’avouer ses disciples, avaient pour lui un profond attachement. Une de ces personnes, Joseph de la petite ville d’Arimathie (Ha-ramathaïm 1204, alla le soir demander le corps au procurateur 1205. Joseph était un homme riche et honorable, membre du sanhédrin. La loi romaine, à cette époque, ordonnait d’ailleurs de délivrer le cadavre du supplicié à qui le réclamait 1206. Pilate, qui ignorait la circonstance du crurifragium, s’étonna que Jésus fût sitôt mort, et fit venir le centurion qui avait commandé l’exécution, pour savoir ce qu’il en était. Après avoir reçu les assurances du centurion, Pilate accorda à Joseph l’objet de sa demande. Le corps, probablement, était déjà descendu de la croix. On le livra à Joseph pour en faire selon son plaisir.
Un autre ami secret, Nicodème 1207, que déjà nous avons vu plus d’une fois employer son influence en faveur de Jésus, se retrouva à ce moment. Il arriva portant une ample provision des substances nécessaires à l’embaumement. Joseph et Nicodème ensevelirent Jésus selon la coutume juive, c’est-à-dire en l’enveloppant dans un linceul avec de la myrrhe et de l’aloès. Les femmes galiléennes étaient présentes 1208, et sans doute accompagnaient la scène de cris aigus et de pleurs.
Il était tard, et tout cela se fit fort à la hâte. On n’avait pas encore choisi le lieu où on déposerait le corps d’une manière définitive. Ce transport d’ailleurs eût pu se prolonger jusqu’à une heure avancée et entraîner une violation du sabbat ; or les disciples observaient encore avec conscience les prescriptions de la loi juive. On se décida donc pour une sépulture provisoire 1209. Il y avait près de là, dans un jardin, un tombeau récemment creusé dans le roc et qui n’avait jamais servi. Il appartenait probablement à quelque affilié 1210. Les grottes funéraires, quand elles étaient destinées à un seul cadavre, se composaient d’une petite chambre, au fond de laquelle la place du corps était marquée par une auge ou couchette évidée dans la paroi et surmontée d’un arceau 1211. Comme ces grottes étaient creusées dans le flanc de rochers inclinés, on y entrait de plain-pied ; la porte était fermée par une pierre très difficile à manier. On déposa Jésus dans le caveau ; on roula la pierre à la porte, et l’on se promit de revenir pour lui donner une sépulture plus complète. Mais le lendemain étant un sabbat solennel, le travail fut remis au surlendemain 1212.
Les femmes se retirèrent après avoir soigneusement remarqué comment le corps était posé. Elles employèrent les heures de la soirée qui leur restaient à faire de nouveaux préparatifs pour l’embaumement. Le samedi, tout le monde se reposa 1213.
Le dimanche matin, les femmes, Marie de Magdala la première, vinrent de très bonne heure au tombeau 1214. La pierre était déplacée de l’ouverture, et le corps n’était plus à l’endroit où on l’avait mis. En même temps, les bruits les plus étranges se répandirent dans la communauté chrétienne. Le cri : « Il est ressuscité ! » courut parmi les disciples comme un éclair. L’amour lui fit trouver partout une créance facile. Que s’était-il passé ? C’est en traitant de l’histoire des apôtres que nous aurons à examiner ce point et à rechercher l’origine des légendes relatives à la résurrection. La vie de Jésus, pour l’historien, finit avec son dernier soupir. Mais telle était la trace qu’il avait laissée dans le cœur de ses disciples et de quelques amies dévouées que, durant des semaines encore, il fut pour eux vivant et consolateur. Son corps avait-il été enlevé 1215, ou bien l’enthousiasme, toujours crédule, fit-il éclore après coup l’ensemble de récits par lesquels on chercha à établir la foi à la résurrection ? C’est ce que, faute de documents contradictoires, nous ignorerons à jamais. Disons cependant que la forte imagination de Marie de Magdala 1216 joua dans cette circonstance un rôle capital 1217. Pouvoir divin de l’amour ! moments sacrés où la passion d’une hallucinée donne au monde un Dieu ressuscité !