Delavigne, Casimir (1793-1843)
[Bibliographie]
Dithyrambe sur la naissance du roi de Rome (1811). — Charles XII à Narva, poème (1813). — Sur la découverte de la vaccine, poème (1815). — Trois Messéniennes, élégies sur les malheurs de la France (1818). — Les Vêpres siciliennes, théâtre (1819). — Les Comédiens, comédie (1820). — Le Paria, pièce (1821). — Nouvelles Messéniennes (1822). — L’École des vieillards, comédie (1823). — Poésies diverses (1823). — Trois nouvelles Messéniennes (1824). — Messénienne sur lord Byron (1824). — Sept nouvelles Messéniennes (1827). — La Princesse Aurélie, comédie (1828). — Marino Falieri, tragédie (1829). — Nouvelles Messéniennes (1830). — La Parisienne, hymne, musique d’Auber (1830). — Messéniennes et poésies diverses (1831). — Louis XI, drame (1832). — Les Enfants d’Édouard (1833). — Don Juan d’Autriche, comédie en prose (1835). — Une famille au temps de Luther, tragédie en un acte, en vers (1836). — La Popularité, comédie en vers (1838). — La Fille du Cid, tragédie en cinq actes et en vers (1839). — Messéniennes et Chants populaires (1840). — Le Conseiller rapporteur, comédie en prose (1841). — Charles VI, opéra en collaboration avec Germain Delavigne (1843). — Derniers chants, poésies posthumes (1844). — Œuvres complètes, avec notice de G. Delavigne (6 volumes, 1845).
OPINIONS.
Théophile Gautier
Quand on marche toujours sur le grand chemin, il est rare qu’on tombe. Icare et Phaéton sont tombés, mais du haut du ciel ; c’est un malheur qui n’arrivera jamais à M. Delavigne. Son Pégase est un cheval sans ailes ; il peut bien trotter et même galoper, mais il ne vole pas. M. Delavigne n’a pas l’audace qu’il faut pour enfourcher l’indocile Hippogriffe ; mais, s’il court moins de risques, il ne voit pas non plus se déployer sous lui, comme une carte immense, la figure du monde et l’infini des horizons ; il ne peut pas, au détour d’un nuage, entrer en conversation avec un ange qui monte, ni passer sa main dans les cheveux d’or des étoiles ; le moindre mur, la plus petite colline bleue suffisent à masquer sa perspective… M. Delavigne, malgré sa réputation, n’est qu’un poète de second ou de troisième ordre… Sa respiration rythmique n’est pas libre ; il a l’haleine courte et ne peut souffler un vers d’un seul jet. Il faut qu’il se reprenne ; mais, pendant ce temps-là, la phrase en fusion se lige et perd sa ductilité ; ce qui explique la quantité d’incidences, de juxtapositions et de soudures que l’on remarque dans la versification de M. Delavigne… Dans le monde des arts, il y a toujours au-dessous de chaque génie un homme de talent qu’on lui préfère ; le génie est inculte, violent, orageux ; il ne cherche qu’à se contenter lui-même et se soucie plus de l’avenir que du présent. L’homme de talent est propre, bien rasé, charmant, accessible à tous ; il prend chaque jour la mesure du public et lui fait des habits à sa taille ; tandis que le poète forge de gigantesques armures que les Titans seuls peuvent revêtir. Sous Delacroix, vous avez Delaroche ; sous Rossini, Donizetti, sous Victor Hugo, M. Delavigne. À propos de Delaroche, sa peinture est la meilleure idée approximative qu’on puisse donner de la poésie de M. Delavigne ; les tableaux du peintre sont d’excellents sujets de tragédie pour le poète, et les tragédies du poète seraient d’excellents sujets de tableaux pour le peintre ; chez tous les deux, même exécution pénible et patiente, même couleur plombée et fatiguée, même recherche de la fausse correction et du faux dramatique. Il est impossible de rencontrer deux natures plus semblables ; chez tous deux, le satin, la paille, la hache seront toujours rendus scrupuleusement avec une minutie hollandaise ; il ne manquera à l’œuvre, pour être parfaite, que des éclairs dans les yeux et du souffle dans les bouches.
Victor Hugo
Quoique la faculté du beau et de l’idéal fût développée à un rare degré chez M. Delavigne, l’essor de la grande ambition littéraire, en ce qu’il peut avoir parfois de téméraire et de suprême, était arrêté en lui et comme limité par une sorte de réserve naturelle, qu’on peut louer ou blâmer, selon qu’on préfère dans les productions de l’esprit le goût qui circonscrit ou le génie qui entreprend, mais qui était une qualité aimable et gracieuse, et qui se traduisait en modestie dans son caractère et en prudence dans ses ouvrages.
Alfred de Musset
… Cette autre poésie et cet autre charme des Vêpres siciliennes
et de l’École des vieillards, cette fermeté, cette pureté de
style que Casimir
Delavigne possédait si bien ; cette faculté précieuse qui a fait dire
à Buffon : « Le génie, c’est la patience ! »
Gustave Planche
Le style de Louis XI est quelque chose d’inouï et de merveilleux : c’est une sorte de poésie acrobatique, où l’alexandrin, entre deux rimes qui ne sont pas toujours sœurs, exécute, sans balancier, les évolutions et les pas les plus variés. Le poète a du velours et de la soie pour toutes les idées qu’il met en œuvre. Dans Louis XI, la périphrase règne en souveraine, le sang et le cadavre sont ennoblis, rien ne s’appelle par son nom, la cheville, toujours présente au premier vers, reparaît souvent au second.
Pierre Malitourne
L’œuvre lyrique de Casimir Delavigne ne lui constitue, en résumé, qu’un rang secondaire entre les maîtres de ce genre qui ont surgi un peu après lui, et qui l’ont promptement effacé. L’ensemble de ses compositions dramatiques, quoique dénué d’un vrai cachet d’originalité, demeure néanmoins individuel dans son laborieux éclectisme.
Alfred Nettement
Casimir Delavigne a su rarement se dégager de cet esprit voltairien ou philosophique qui est devenu le moule de son esprit, et ce moule étroit a étouffé en lui l’inspiration poétique dont il avait reçu le germe. Aussi ses admirateurs eux-mêmes conviennent-ils que ses compositions manquent d’émotion et d’élan. Casimir Delavigne n’était qu’un versificateur élégant, minutieux et habile jusque dans le choix de ses sujets, qu’il prenait toujours dans l’ordre d’idées dont la vogue lui promettait un succès facile.
Jules Barbey d’Aurevilly
Casimir Delavigne, très supérieur à Ponsard, avait déjà, bien avant lui, porté et senti sur son talent, sans grande vigueur pourtant, la flamme de cet astre du Romantisme qui se levait et qui n’était qu’à ses premiers feux.
Sainte-Beuve
Walter Scott, Shakespeare, il ne s’inspirait d’eux tous que dans sa mesure. Jusque dans ce système moyen si bien mis en œuvre par lui, et qu’il faisait chaque fois applaudir, il avait conscience de sa résistance aux endroits qu’il estimait essentiels. Pourquoi ne pas tout dire, ne pas rappeler ce que chacun sait ? Bienveillant par nature, exempt de toute envie, il ne put jamais admettre ce qu’il considérait comme des infractions extrêmes à ce point de vue primitif auquel lui-même n’était plus que médiocrement fidèle ; il croyait surtout que l’ancienne langue, celle de Racine, par exemple, suffit ; il reconnaissait pourtant qu’on lui avait rendu service en faisant accepter au théâtre certaines libertés de style qu’il se fût moins permises auparavant et dont la trace se retrouve évidente chez lui, à dater de Louis XI.
,Édouard Fournier
Tandis qu’il multipliait au grand jour, en s’en faisant gloire, les éditions de ses Messéniennes, si peu lisibles aujourd’hui, avec leur versification de l’Empire, où la phraséologie du rhéteur parle plus haut que le cœur du patriote, il cachait obscurément dans un recueil son admirable ballade l’Âme du Purgatoire ; dans le coin d’une note, sa romance de la Brigantine où Mme Pauline Duchambge la découvrit pour la mettre en musique ; et je ne sais où, son adorable pièce de Néra, que Scudo ramassait de même pour y appliquer une de ses plus pures mélodies.
Jules Lemaître
J’ai parcouru les œuvres de Casimir Delavigne avec la sympathie qu’on a pour les esprits sages, adroits, tempérés, surtout quand on s’est résigné à n’être tout au plus qu’un de ceux-là. J’ai trouvé que l’École des vieillards ne manquait ni de vérité ni de force, et que la confession de Louis XI à François de Paule était une scène singulièrement dramatique ; et j’ai goûté, dans les Poésies posthumes, le rythme berceur et le charme gris des Limbes… Je n’avais pas lu Une famille au temps de Luther, mais j’en avais d’avance une assez bonne opinion, et je comptais que la représentation serait pour le moins intéressante. Je me trompais, et j’en suis fâché. Si j’en avais le loisir, je chercherais quelque détour pour vous faire entendre, sans vous le dire, que nous nous sommes fort ennuyés… C’est au point que cette impression d’ennui est à peu près tout ce que j’ai retenu de la pièce.
Eugène Lintilhac
Le Paria (1829), dont les chœurs sont fort beaux et annoncent la poésie des Poèmes antiques d’Alfred de Vigny ; Marino Faliero (30 mai 1829), dont les audaces sont antérieures à celles d’Hernani, et en sont toutes voisines, puisque le poète s’y affranchit de l’unité de lieu et admet le mélange du comique dans le dialogue… ; Louis XI, d’un effet si sûr à la scène ; les Enfants d’Édouard, si adroitement découpés dans Shakespeare…