(1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »
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(1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Mémoires relatifs à la Révolution française
Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ;
Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ;
Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme

De tous les partis qui succombèrent tour à tour depuis le commencement de la Révolution jusqu’au 9 thermidor, les royalistes, les monarchiens, les constituants, les Girondins, les dantonistes, les hébertistes et la faction Robespierre, celui de la Gironde est le dernier sans doute pour lequel on puisse s’intéresser sans remords. Jusque-là, en effet, chaque parti triomphant avait été pour le parti abattu un vainqueur, peut-être injurieux, mais non cruel, plus jaloux de l’existence politique de son rival que de son sang.

Les Girondins, les premiers, furent proscrits en masse, égorgés en même temps que vaincus, et cette fois le champ de bataille ne resta qu’à des bourreaux. Qu’on ne croie cependant pas que ceux-ci aient tous été également affreux, et que dans les luttes à mort qu’eux-mêmes se livrèrent autour de l’échafaud de leurs victimes, aucuns ne méritent de la postérité moins d’exécration que les autres, ou même quelque pitié pour leurs noms. Ce rôle de justice et d’indulgence qu’ils avaient tant haï dans la Gironde, qu’ils avaient réprimé par sa ruine, et qu’ils flétrissaient encore dans sa mémoire, quelques-uns, le croirait-on ? s’avisèrent de le jouer. Comme si l’humanité n’eût pu rester délaissée, il s’éleva pour elle des voix parmi ceux mêmes qui l’avaient outragée si longtemps ; et tandis que l’insensée frénésie d’Hébert invoquait de nouvelles horreurs, et que la politique froide et louche de Robespierre en méditait silencieusement, un troisième parti s’isola d’eux, leur cria d’arrêter, qu’il était las de meurtre, et que le glaive devait reposer après la victoire. C’était la première fois que ce parti parlait de modération et de fatigue ; Danton et ses chefs ne l’y avaient pas accoutumé ; jusqu’alors, pleins de passions et d’audace, ils n’avaient reculé devant aucune exagération, faibli devant aucune violence, s’ils l’avaient jugée nécessaire ; la morale, selon eux, se taisait dans les grandes affaires de la politique ; et récemment, sans haine personnelle contre les Girondins, ils avaient coopéré à leur ruine, parce que leur existence les gênait. Ils avaient plus fait peut-être, et Danton surtout ne s’était jamais lavé des terribles et mystérieux soupçons de septembre. Ce fut en de telles mains que tomba en dernier espoir la cause de l’humanité ; et quels qu’aient été ces hommes, qu’on n’oublie pas en les jugeant qu’ils moururent pour elle.

Parmi eux, celui que l’avenir distinguera sans doute avec le plus de compassion, parce que tous ses excès naquirent d’illusions de jeunesse, et que le dernier, le seul acte honorable de son parti se rattache surtout à son souvenir, c’est le rédacteur du Vieux Cordelier, Camille Desmoulins. Né avec des affections vives et tendres, passionné pour les vers, il eût été probablement poète, si la Révolution n’était pas venue ; l’un des premiers, il s’y jeta ; dès le 12 juillet, il était populaire, et depuis, journaliste et clubiste sans cesse haletant, il se vantait d’avoir toujours eu six mois d’avance sur l’opinion publique ; tour à tour ami de Mirabeau et de Brissot, il les dépassa dès qu’il les jugea trop lents, et ne s’arrêta qu’à Danton. Sans moyens oratoires, c’est comme écrivain qu’il servit sa cause ; sa verve était intarissable, ses plaisanteries sanglantes, ses opinions extrêmes ; il se fît appeler le procureur général de la lanterne, surnomma Marat le divin, et Robespierre le sublime ; il dit avec orgueil qu’il a été plus que révolutionnaire, qu’il a été un brigand ; il ne le fut jamais. A ses instants de loisir, il relisait sans cesse Paul et Virginie, et, après le 10 août ou le 30 mai, il revenait, à son humble foyer, cacher son âme émue dans le sein de sa jeune épouse. C’est auprès d’elle sans doute qu’il puisa son retour à des idées meilleures ; mieux que Danton, elle avait le droit de lui parler de devoir et de vertu : « Qu’on le laisse remplir sa mission, répondit-elle un jour, à déjeuner, à des conseillers timides ; il doit sauver son pays ; ceux qui s’y opposent n’auront pas mon chocolat. » Le Vieux Cordelier fut donc un acte de courage et d’expiation. La loi des suspects y est amèrement censurée, et, qui pis est, ridiculisée ; l’immoralité d’Hébert y est mise à nu, et le danger de l’exagération révolutionnaire vivement signalé. « La Montagne est inattaquable par le côté droit et le Marais, s’écrie Camille ; elle n’est prenable, comme les Thermopyles, que par les hauteurs. »

Effrayé enfin de cette sombre licence dont il a été le promoteur imprudent, il ne se lasse pas de présenter la liberté sous la forme aimable et sage dont il l’a toujours conçue ; il revient à chaque instant à cette idée, on dirait qu’elle l’obsède, et qu’il sent que ce rêve brillant couvrira seul dans l’avenir les taches de sa mémoire. Pour peindre cet objet de regret, son imagination retrouve toute la fraîcheur de l’espérance. La république, pour lui, c’est une égalité d’aisance et de bonheur, c’est une Athènes nouvelle, une république de cocagne ; que d’autres revendiquent le manteau sale et troué de Diogène, il aime bien mieux le manteau d’écarlate d’Alcibiade ; s’il est besoin de voiler la statue de la liberté, que ce soit, selon lui, non pas avec un drap mortuaire, mais avec une gaze transparente ; qu’un autel à la miséricorde s’élève à côté de l’autel de la patrie, et qu’un comité de clémence tempère l’inexorable aréopage. Sous ces images piquantes, se cachent tour à tour de graves pensées ou des sarcasmes cruels, et M. Mignet, en caractérisant ce journal, a dit que l’auteur y parle de la liberté avec le sens profond de Machiavel, et des hommes avec l’esprit de Voltaire.

Disons pourtant que pour qui lit le Vieux Cordelier sans préparation, sans se reporter en idée au temps et aux choses, l’effet total est loin d’être aussi favorable. Le style en paraît verbeux, le ton guindé, les idées factices ; il faut un commentaire ou une préface pour comprendre que cet emportement a été de la chaleur, et cette déclamation de l’éloquence. La faute en est à la situation violente où s’étaient placés ces hommes. En s’arrachant aux principes immuables, et se livrant à toute la fougue de leurs passions, ils altérèrent leur nature, l’habituèrent à une sorte de crise permanente, et la mirent comme en dehors des règles éternelles. Le goût manqua donc à leur langage en même temps et par la même raison que la moralité à leurs actes, et, comme ils furent humains sans vertu, ils furent vrais avec emphase. Ce caractère si peu naturel, ce nous semble à nous autres de sang-froid, était pourtant devenu si naïf chez eux, qu’ils ne le démentirent jamais ; tels ils avaient été à la tribune et au club, tels ils furent à la barre et sur la charrette, se drapant et déclamant encore ; gladiateurs du peuple, ils luttèrent dans l’arène jusqu’au bout, et tombèrent avec grâce. La dernière lettre de Camille Desmoulins écrite à sa femme, avant de marcher à la mort, est un mémorable et touchant exemple de cette exaltation qui ne devait s’éteindre qu’avec la vie : mais ici il n’y a rien qui doive étonner ; pour une telle affection, dans un tel moment, nulle expression ne suffit ; l’énergie de l’amour est incalculable, et, comme dit Bacon, c’est la seule passion qui ne fasse pas mentir l’hyperbole. Ce regard du condamné vers les sentiments de famille est d’ailleurs à remarquer, en ce qu’il fut commun à plusieurs hommes de ce parti, à Danton, à Phélippeaux, ainsi qu’à Desmoulins. Tous se plurent à répéter à leur dernière heure, comme pour s’étourdir : J’ai été bon père, bon époux. Ce souvenir était du moins un asile qu’ils n’avaient pas ensanglanté.

Ainsi finirent les hommes qui les premiers protestèrent contre la Terreur, après l’avoir provoquée, et les derniers qui protestèrent par courage et pitié. Ils présageaient le 9 thermidor, que plus tard consomma la lâcheté enhardie par la peur. Au Vieux Cordelier les éditeurs ont joint dans le même volume les Causes secrètes de Villate sur ce jour mémorable, et le Précis historique du gendarme Méda, qui y prit une part si importante. Cette dernière pièce surtout, jusqu’à présent inédite, pourra jeter quelque lumière sur des détails encore contestés. En reportant presque tout l’honneur de cette journée sur un citoyen estimable et pur, elle répare un injuste oubli, et de plus elle soulage l’âme en la dispensant de savoir quelque gré aux Tallien et aux Barrère.