Tanevot, [Alexandre] ancien premier Commis des Finances, Censeur Royal, né à Versailles en 1691, mort à Paris en 1773.
Sa Muse a constamment préféré le naturel & la simplicité aux vains ornemens, dont les Muses de la plupart de nos Poëtes se surchargent si tristement aujourd'hui. Ce ton, ennemi de parure & de prétention, a vraisemblablement contribué au peu de succès de ses Productions, dans un Siecle où l'on ne goûte que les pointes, le persiflage & la fatigante énergie de nos prétendus Penseurs en Vers. Quoique la force & l'élégance ne soient pas son caractere dominant, elle ne manque ni d'esprit, ni d'imagination ; elle est d'ailleurs quelquefois gaie, toujours honnête, & ne s'est attachée qu'à des sujets que tout Poëte peut traiter sans honte, & tout Lecteur lire sans remords.
Les Ouvrages de M. Tanevot consistent en deux Tragédies
non représentées, l'une intitulée Séthos, l'autre, Adam & Eve ; en des Fables, des Contes, des
Epîtres, des Chansons, & autres petites Poésies, dont la derniere
Edition forme 3 volumes in-12, Ses deux Tragédies
offrent de beaux morceaux. L'Auteur du Poëme de la
Religion en cite quelques-uns avec des éloges qu'ils
justifient. La plus ingénieuse de ses petites Poésies est une espece de
Poëme lyrique, à qui le Poëte a donné le nom de Philosophisme. Un esprit aussi sage que celui qu'il montre
dans tous ses Ecrits, ne pouvoit qu'être révolté des systêmes de nos
Philosophes, qui choquent si directement la Religion, la Morale, &
la raison. Dès qu'ils commencerent à paroître, M. Tanevot, en bon Citoyen, prévit tout le mal qu'ils alloient
faire à la Nation, & fut un des premiers à employer les armes du
ridicule, afin d'en arrêter les progrès. On peut dire que l'ironie y est
aussi ingénieuse & aussi piquante, que le fond est judicieux &
habilement
développé. A la tête de ce petit
Poëme, est un Avertissement où l'Auteur s'exprime ainsi : «
Une fausse Philosophie, née de l'indépendance & de la
présomption, leve aujourd'hui un front audacieux, s'arme de mille
traits empoisonnés qu'elle ose lancer contre la Religion ; elle
la poursuit avec une fureur qui n'a point d'exemple. C'est tantôt
par des attaques à découvert, tantôt par de sombres marches,
d'autant plus dangereuses qu'elles sont moins apperçues. On ne peut
se dissimuler les rapides progrès qu'elle fait journellement. Nous
touchons presque au temps d'une corruption générale, suite funeste
de l'extinction des vertus & de ces mœurs si pures, dont la
Religion est une source intarissable, & qui ont fait la gloire
de nos Ancêtres…. Ce qui touche jusqu'aux larmes, ce sont les périls
auxquels notre jeunesse est exposée. Que deviendra l'espoir de la
Nation, lorsque ses enfans, livrés de bonne heure à l'incrédulité
& la
licence, abjureront, du moins
dans leur cœur, la foi & les vertus de leurs peres, & qu'ils
n'auront désormais, pour la servir, d'autre motif & d'autre
aiguillon, qu'un intérêt bassement personnel, aussi éloigné du
Citoyen que du Héros, &c. » ?
Tous les honnêtes gens applaudirent alors à son zele & à l'adresse qui l'avoit secondé. S'il eut contre lui les clameurs philosophiques, ressource ordinaire d'un Peuple qui ne sait que crier, il obtint le suffrage de plusieurs de nos célebres Ecrivains. M. Piron, entre autres, lui écrivit une Lettre que nous citons avec plaisir. Elle fera juger du respect de ce Poëte pour la Religion, & de son mépris pour nos Philosphes.
« Ma chrétienne & sincere Palinodie, Monsieur, après la satisfaction de ma conscience, ne m'en pouvoit causer une plus sensible que de m'avoir rappelé dans votre souvenir. Nos demi-Beaux-Esprits & nos quarts de Philosophes peuvent me ridiculiser tout à leur aise : un suffrage aussi désirable que le vôtre, à tous égards, & sur-tout pour l'Ouvrage en question, acheve de m'en consoler pleinement. Rien n'est plus flatteur, dit-on avec raison, que les louanges de quelqu'un que nous en savons mille fois plus digne & plus couvert que nous. Qui ne connoît dès long-temps, Monsieur, vos vertus & vos talens ! Comment donc ne serois-je pas touché de votre approbation ? Oh ! qu'il fait bon avoir affaire aux bonnes ames, & quand sur-tout, comme la vôtre, elles sont douées des lumieres du solide & véritable esprit ! Votre indulgence pour ma foiblesse va jusqu'à lui donner une douce épithete : je regarde cette charitable absolution comme un présage de la rémission d'en-haut ; elle m'en donne un avant-goût dont je ne puis trop vous remercier. C'est un premier fruit que je tire déjà de mon sincere repentir & de ma confession publique ; le second, c'est Monsieur, la bonne inspiration qu'à ce propos vous avez eu de m'adresser le Philosophisme. Je l'ai lu & relu avec un très-grand plaisir.
L'Avertissement respire la mâle & sage éloquence des Docteurs de la vérité. Vous gémissez pathétiquement & pleurez à bon droit sur l'abomination de la désolation qu'annonce la Philosophie moderne & diabolique, en versant, comme elle fait, le poison de l'indépendance & de l'irréligion dans le cœur de nos jeunes gens. Le tour que vous prenez pour foudroyer ces petits Capanées est ingénieux, & pour être enjoué n'en est pas moins assommant. Les Vers, pour être aisés & naturels, n'en sont pas moins heureux, ni quelquefois moins sublimes ; je les relirai plus d'une fois encore. Je vous rends de très-humbles graces d'un pareil envoi ; & je finis en vous priant d'être bien persuadé que vous avez en moi un Serviteur très-respectueux & sincere Admirateur ».