(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 303-308
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 303-308

FLEURY, [Claude] Prieur d’Argenteuil, Sous-Précepteur des Ducs de Bourgogne, d’Anjou & de Berri, de l’Académie Françoise, né à Paris en 1640, mort en 1723 ; un des Ecrivains qui ont honoré le plus la France & les Lettres, par la supériorité & le bon usage de leurs talens.

Son Histoire Ecclésiastique, qui finit au Concile de Constance, est un des plus beaux & des plus utiles monumens élevés à la gloire du Christianisme, & le titre d’une célébrité durable. Cette Histoire réunit le ton qui convient à son sujet, & les qualités qui caractérisent un grand Historien. Le plan en est vaste, sagement entendu, habilement exécuté. L’Auteur n’a point écrit, comme il l’annonce lui-même, pour repaître la vaine curiosité de ceux qui ne recherchent que des faits nouveaux & extraordinaires ; il s’est encore moins proposé d’amuser les Esprits oisifs, qui ne lisent que superficiellement ou pour se désennuyer. Il a écrit pour des Esprits solides, pour des Chrétiens jaloux de connoître leur Religion dans son origine, dans ses progrès, dans ses vrais caracteres ; pour les ames droites qui lisent dans la vûe d’acquérir des connoissances utiles & de devenir meilleures ; pour les hommes de toutes les conditions qui n’ont ni le loisir, ni la facilité, ni le talent de puiser dans les sources & d’en écarter ce que la prévention, l’ignorance & la superstition ont pu y mêler de faux, d’excessif & d’indigne de la divinité du dogme & de la sainteté du culte. Pour remplir avec succès un projet si utile, l’érudition, le discernement & le zele de l’Ecrivain se sont pliés à tous les objets. Traduire avec autant de force que d’exactitude les Auteurs Grecs & Latins, analyser avec clarté & précision les Peres de l’Eglise, présenter avec une simplicité éloquente la substance des décisions des Conciles, raconter les événemens, ou plutôt les peindre de manière que le Lecteur croit en être témoin ; tel est le résultat du travail de M. l’Abbé Fleury. Toujours guidé par des lumieres sûres & un jugement sain, il a subjugué les matieres, afin de les rendre plus sensibles. Une critique sage lui a fait négliger les petits faits, comme superflus ou comme étrangers au but de son Histoire, qui est de mettre au grand jour la doctrine de l’Eglise, sa discipline, ses mœurs. Autant il est sévere à proscrire les inutilités, autant il se montre attentif à circonstancier les grands événemens, à recueillir scrupuleusement les détails qui ont rapport aux traits instructifs & intéressans. Jamais l’ambition inquiete d’étaler ses propres idées, défaut ordinaire à la plupart des Historiens, ne l’entraîne à prévenir les réflexions du Lecteur ; il se contente de le mettre à portée de réfléchir lui-même, en se bornant à la simple narration. Par cette louable discrétion, l’esprit n’est occupé que des actions racontées ; il les voit, les saisit, les compare, les pese, les juge. L’illusion du récit est telle, qu’on ne s’apperçoit pas qu’on lit une Histoire : on ne voit qu’une suite non interrompue de tableaux, qui frappent, intéressent, & qu’on ne quitte qu’en conservant les impressions profondes qu’ils devoient produire. Il est fâcheux, après cela, que la monotonie trop continue du style, qu’une narration lente & trop timide, affoiblissent, en quelque sorte, aux yeux des Lecteurs délicats, le mérite de cet excellent Ouvrage. Mais où l’Ecrivain est absolument exempt de ces défauts, & se développe avec une supériorité qui étonne, c’est dans les Discours préliminaires. Ils ont été imprimés séparément, & on peut les regarder comme des chef-d’œuvres de raison, de critique, de style, par la pureté, la précision, la force & l’élégance qui y regnent. Ces Discours renferment la quintessence de tout ce qu’on a pensé de plus sage sur l’établissement, les progrès & les révolutions de la Religion Chrétienne. L’Auteur y est Observateur éclairé, profond Politique, Dissertateur plein de sagacité, toutes les fois qu’il s’agit de remonter aux principes des troubles, d’en faire connoître les dangers, & d’indiquer les moyens de les empêcher de renaître. Bossuet, en un mot, n’est ni plus lumineux, ni plus sublime, dans son Discours sur l’Histoire universelle.

N’est-il pas étonnant qu’un Historien, tel que M. l’Abbé Fleury, ait trouvé un Continuateur aussi médiocre que le P. Fabre, de l’Oratoire ? Celui-ci a bien pu entreprendre de nous donner la suite de son Histoire ; mais en marchant sur ses traces, il n’a servi qu’à faire connoître la supériorité de son modele. Si M. l’Abbé Ducreux, Auteur des Siecles Chrétiens, avoit un style moins inégal, ce seroit à lui qu’il appartiendroit de continuer cette Histoire, puisqu’au style près, ses Siecles Chrétiens annoncent toutes les qualités qu’on exige dans un Historien de l’Eglise.

Nous avons encore de M. l’Abbé Fleury plusieurs Ouvrages estimés, dont les plus connus sont ceux qui ont pour titre : Mœurs des Israélites, & Mœurs des Chrétiens. Le premier offre un tableau fidele de la vie, de la conduite, des usages, du gouvernement des Hébreux : le second, écrit avec une candeur & une onction peu communes, est en même temps une Introduction à l’Histoire Ecclésiastique, & une éloquente apologie de la Religion.

On ne doit pas négliger de parler de son Traité du choix & de la méthode des Etudes, où il décrit la marche convenable à chaque Science en particulier ; ni de son Livre des Devoirs des Maîtres & des Domestiques, où une philosophie chrétienne prescrit aux un des regles de conduite conformes à l’ordre & à l’humanité, & aux autres des leçons propres à régler leur dépendance & à rendre leur sort plus heureux.