(1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. — POST-SCRIPTUM. » pp. 269-272
/ 3414
(1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. — POST-SCRIPTUM. » pp. 269-272

POST-SCRIPTUM.

Ce n’est pas une conclusion qu’un tel recueil comporte, et nous ne prétendons en effet ni conclure ni clore. Nous ferons certainement d’autres portraits contemporains, nous en avons déjà fait, en bon nombre, qui n’ont pu entrer dans les présents volumes, et, au moment même où nous achevons cette espèce de série, nous mettons sous presse un volume destiné à la compléter et à la poursuivre. Ainsi point de conclusion ; nous aimons notre métier de critique et de portraitiste, nous le continuerons selon l’occasion et le moment, suivant que le cœur et la fantaisie nous le diront, et en tâchant de ménager de notre mieux les convenances diverses. Et à ce propos si quelqu’un s’étonnait que, malgré la dignité académique qui nous a été conférée depuis, nous persistions dans cette voie pratique, nous donnerons une fois pour toutes une explication très-nette et très-franche : en ambitionnant et en obtenant cette dignité, la plus honorable à laquelle puisse aspirer un homme de lettres, nous n’avons jamais considéré qu’elle dût nous empêcher d’être ce que nous étions devant, ni de faire à très-peu près les mêmes choses que nous nous sommes de tout temps permises. Si donc quelques-uns de nos confrères les critiques croient trouver qu’il serait de meilleur goût à nous de leur laisser le champ libre désormais et de nous taire, nous continuerons (ne leur en déplaise, et qu’ils nous le pardonnent !) de nous imaginer qu’il y a quelque honneur encore pour nous à rester leur confrère.

Il nous a semblé de plus que si cette circonstance nouvelle, si précieuse à nos yeux, en venant certainement compliquer pour nous les difficultés et multiplier les convenances, devait avoir un effet rétroactif et allait jusqu’à nous obliger à rétracter, à modifier les jugements du passé, il n’y aurait ni fond ni base solide à notre travail critique : nous n’avons donc pas hésité à maintenir dans presque tous les cas ce qui est écrit.

Que si maintenant, nous relisant nous-même comme nous venons forcément de le faire, nous avions à confesser notre propre impression et à faire entendre un aveu, nous dirions que, dans la suite de ces articles critiques et dans leur mode de justice distributive (s’il nous est permis d’employer un tel mot), il est certains manques de proportions et de gradations que nous regrettons de n’avoir pu mieux rajuster. En commençant cette réimpression, nous pouvions craindre d’avoir trop penché pour l’enthousiasme ; en la terminant, un scrupule contraire nous vient, et nous aurions voulu, dans plus d’un cas, avoir mieux su tempérer l’éloge, de manière à ne jamais paraître le retirer et à n’avoir point à enregistrer les retours de nos jugements après les écarts. C’est surtout là où nous nous étions trop avancé d’abord qu’il nous a fallu revenir ensuite et dégager notre première fougue d’enthousiasme, pour la réduire à ce qui nous a semblé plus tard justesse et vérité. Il se trouve de la sorte que les poëtes, certains poëtes, et de ceux qui avaient le plus enlevé nos premières amours, peuvent sembler moins bien traités en définitive que des critiques, des historiens, des hommes que nous estimons et que nous admirons sans doute, mais dont tous pourtant ne sont pas à beaucoup près placés au même degré que les premiers dans notre évaluation des talents. Oh ! que du moins les poëtes le sachent : quels que soient les ravissements et les prudences de l’âge mûr, c’est d’eux encore que nous nous préoccupons le plus. Les inégalités mêmes et les brusqueries du retour ne sont pas au fond une preuve d’indifférence. Ces graves études d’historiens, ces portraits aux teintes plus sombres qui ont insensiblement succédé aux premières et poétiques couleurs, en attachant sévèrement notre attention, ne suffisent pas toujours à satisfaire en nous ce qui s’y remue encore du passé. Quand nous relisons et récitons, de Lamartine, son Lac immortel, de Victor Hugo, sa passionnée Tristesse d’Olympio le souvenir sacré renaît vite en nous, et tout cet ordre de notre laborieuse sagesse d’hier est ébranlé. Et même dans de moindres élans, dans des notes plus simples, si elles sont vives, mélodieuses et sincères, il nous arrive d’hésiter. Nous donnerions toujours bien des choses, et (qui sait ?) la critique elle même tout entière peut-être, pour savoir rouvrir la source de quelques élégies adorées. Qu’une page première du poëte d’Elvire soit venue nous rendre au hasard quelqu’une des douces plaintes connues : Lorsque seul avec toi, pensive et recueillie, etc., etc… ; Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage, etc… ; que Victor Hugo ait proféré, à une heure brûlante, cet hymne attendri : Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine, etc… ; qu’Alfred de Musset lui-même, à travers son léger récit d’Emmeline, ait modulé à demi-voix : Si je vous le disais pourtant que je vous aime, etc., etc. ; ces notes vraies, tendres, profondes, nées du cœur et toutes chantantes, nous paraissent, aujourd’hui encore, autrement enviables que bien des mérites lentement acquis. Tout ceci est uniquement pour dire qu’en nous appliquant de plus en plus aux matières dites sérieuses, il nous est pourtant difficile de ne pas regretter et saluer, au moment de les voir disparaître, les premiers rivages et les statues que nous avions une fois couronnées. Si critique et si rassis que nous devenions par le cours des choses, qu’il ne nous soit jamais interdit de nous écrier avec le poëte :

Me juvat in prima coluisse Helicona juventa !…