(1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316
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(1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Beaufort

Une flagellation. tableau de 9 pieds de haut, sur 6 pieds de large.

Le Christ est debout, vu par le dos et de trois quarts de face. Un bourreau courbé lui lie les pieds à la colonne, celui-ci est sur le devant. Un autre flagelle sur le fond.

Ainsi l’exécution se fait avant que le patient soit préparé ; n’importe, dit Naigeon ; frappez, frappez fort, ce n’est guère que quelques goutes de sang, pour tout celui que sa maudite religion fera verser. ce sont deux instans confondus.

Le vêtement rouge du fils de l’homme est jetté à droite sur une balustrade qui règne autour de la composition, et au-delà de laquelle il y a une foule de spectateurs hideux et cruels, dont on n’apperçoit que les têtes.

Le Christ est assez bien dessiné, le tableau pas mal composé ; mais la couleur en est sale et grise ; mais cela est monotone, vieux, passé, sans effet ; mais cela ressemble à une croûte qui s’est enfumée dans l’arrière-boutique du brocanteur ; mais cela est à demi-effacé, et le peintre a eu tort de s’arrêter à moitié chemin.

Voici quelques tableaux qui ont été exposés sans n° pendant le cours du sallon. un tableau d’animaux. c’est une bécasse avec un hibou suspendus par les pattes à un clou. Premièrement où est le sens commun d’avoir accolé ces deux oiseaux-là, l’un destiné pour la cuisine du maître, l’autre pour la porte de son garde-chasse ? Encore si cela était peint comme Oudri ! Mais Oudri aurait mis au croc un canard avec une bécasse, un faisan avec une perdrix.

C’est qu’il faut d’abord avoir le sens commun, avec lequel on a à peu près ce qu’il faut pour être un bon père, un bon mari, un bon marchand, un bon homme, un mauvais orateur, un mauvais poëte, un mauvais musicien, un mauvais peintre, un mauvais sculpteur, un plat amant. le jugement de Midas . tableau de réception de Bounieu.

Voilà un sujet plaisamment choisi pour une réception, pour une composition qu’on présente à des juges. C’est presque leur dire : messieurs, prenez-y garde ; si je vous déplais, c’est vous que j’aurai peints : portez les mains sur vos oreilles et voyez si elles ne s’alongent pas.

C’est le combat du chant entre Apollon et Pan devant Midas. La scène se passe sur le devant d’un grand paysage. On voit à droite Midas de profil, assis, fort embarrassé de draperies, ignoble, lourd et court. Debout derrière lui, le dieu des bois avec son instrument champêtre, ses cuisses velues, son pied fourchu et sa mine de bouquin ; il a l’air content. Midas a déjà prononcé en lui-même, il serre la main au satyre, et les oreilles commencent à lui pousser. Plus vers la gauche, presqu’au centre de la toile, une grande figure de face, nue depuis la ceinture, couronnée de pampre, bien barbue, bien raide, imitant bien le fauteuil par les deux angles droits que ses jambes font avec ses cuisses et ses cuisses avec son corps, ses cuisses maigres, maigres, ses jambes grêles, grêles. Elle est sur un plan entre le satyre et Midas ; elle écoute, mais elle est bien froide, bien raide, bien immobile ; bras, jambes et cuisses bien parallèles, grand mannequin, malade pressé d’un besoin, qui n’a eu que le temps de jetter autour de soi sa couverture et de gagner sa chaise percée où il est. Plus vers la gauche, sur le même plan que Midas ou à peu près, Apollon de profil, droit, sa lyre à la main et la pinçant. Entre Apollon et la figure précédente, plus sur le fond, deux femmes dont l’une écoute, et l’autre fait signe à quelqu’un qui est au loin d’accourir pour entendre. à une très-grande distance d’Apollon, tout à fait sur la gauche, deux muses accolées et apportant des fleurs et des guirlandes. Entre Apollon et ces deux muses, sur le fond, assez proche d’Apollon, et vu de face, un petit faune en admiration. Voilà la scène, voyons le fond.

C’est une grande forêt. Bien loin, à droite, un pâtre avec une bergère accourent au signe que leur a fait une des deux femmes placées entre Apollon et le grand manequin nu. Du même côté, plus encore sur le fond, un petit groupe de figures sur un bout de roche, assises et attentives. Tout à fait dans l’enfoncement, et terminant la scène de ce côté, une portion de rotonde, un temple ouvert en arcades. Au loin, à gauche sur le fond, par derrière le faune qui écoute Apollon, un voyageur qui passe et qui se soucie apparemment peu de musique.

Reprenons cette composition que je ne méprise pas autant que font beaucoup d’autres qui n’en sentent pas mieux les défauts que moi.

J’y vois d’abord deux scènes placées, pour ainsi dire, l’une sur l’autre, mais deux scènes liées : la première sur le devant, et ce sont les principaux personnages de la querelle ; la seconde, entre celle-ci et la forêt, et ce sont les personnages accessoires, attirés du fond par la curiosité, et tenant à la première scène par cet intérêt subordonné. Ces deux scènes ne se nuisent point, et servent très-naturellement, à la manière du Poussin, à donner à toute la composition une profondeur où par ce moyen, l’on distingue trois grands plans, celui des disputants rivaux et des juges, celui des curieux que la dispute appelle, et celui de la forêt ou du paysage. Sur ces trois grands plans des figures interposées ont aussi leurs places, leurs plans particuliers, nets et distincts, ce qui rend l’ensemble clair et en écarte la confusion.

Je sais bien que ces deux muses sont raides et droites ; je sais bien que cet Apollon est droit et raide ; je sais bien que ces figures droites et raides, isolées, ont un air de jeu de quilles.

Je sais bien que toutes ces figures sont sans expression ; je sais bien que la composition entière est froide, blanchâtre, grisâtre et sans couleur.

Je sais bien que cet Apollon est sans verve, sans enthousiasme ; qu’il ne dispute pas ; qu’il touche de sa lyre comme par manière d’acquit, et qu’il est plus tranquille encore que l’ Antinoüs dont il est imité.

Je n’ignore pas qu’on ne sait quel rôle ni quel nom donner à la grande figure nue, au grand manequin barbu. Je sais bien que cette femme qui appelle son berger en est bien éloignée pour en être entendue ou vue ; que le son d’un cor de chasse parviendrait à peine à ce groupe qu’on a placé sur un bout de rocher, car en s’arrêtant quelque temps devant ce morceau, on sent que la scyne est devant ce morceau, on sent que la scène est très-étendue, très-profonde ; que toutes ces figures sont grises et que le paysage est sans vigueur. En ai-je dit assez ? Eh bien, malgré tous ces défauts, quoiqu’assez chaud de mon naturel et peu disposé à pardonner le froid à une composition quelconque ; quoiqu’il me paraisse absurde d’avoir allongé les oreilles de Midas avant son impertinente sentence, et que cet effet soit d’un instant postérieur, du moment où Apollon ayant cessé de jouer, la main étendue, l’air indigné, il ordonne à ces oreilles de pousser ; quoique ce morceau soit proscrit sans restriction, j’avouerai qu’il y en a cent autres au sallon, qu’on regarde, qu’on loue, et que je mets au-dessous.

Celui-ci a je ne sais quoi qui vous rappelle la manière simple, non recherchée, isolée et tranquille de composer des anciens, manière où les figures restent comme le moment les a placées, et ne sont vraiment liées que par la circonstance, le fait et la sensation commune. Il me semble que je vois un bas-relief antique ; cela a quelque chose d’imposant, cela est tout voisin du grand goût. Allez voir le laocoon tel que les sculpteurs l’ont exécuté, un père assis qui souffre, un enfant debout déchiré qui expire ; un autre enfant debout qui oublie son péril et qui regarde son père ; trois figures non groupées, trois figures isolées, liées par les seules convolutions d’un serpent. Venez ensuite chez moi voir la première pensée de ces artistes, c’est le laocoon, tel qu’il est, mais un des enfans est renversé sur sa cuisse le cou embarrassé dans les plis du serpent ; mais l’autre enfant se rejette en arrière et cherche à se délivrer. Il y a bien plus d’action, plus de mouvement, plus de groupe ; cela n’est que beau. La composition précédente est sublime. Plus on est enfant, plus on aime les incidens entassés les uns sur les autres ; le strapassé, le groupe, la masse, le tumulte, en peinture, en sculpture, au théâtre. ô Guyart ! Ton monument était simple, deux seules figures attachaient toute l’attention, tout l’intérêt. Il régnait là un morne silence, une grande solitude. Ce génie qu’ils ont exigé de toi est beau ; mais tout beau qu’il est il fait nombre ; il me distrait.

Je l’ai déjà dit et je le répète, les groupes ne sont pas aussi fréquens en nature qu’on le croirait, ils sont presque absurdes dans les sujets tranquilles. Pierre a dit qu’il n’y avait pas deux peintres dans l’académie capables de sentir le mérite de ce morceau, et Pierre pourrait bien avoir raison. Celui qui sent le mérite de ce morceau est plus avancé que celui qui en apperçoit les défauts. La sculpture ne l’aurait guère ordonné autrement. Les figures ne tiennent pas davantage dans le jugement de Salomon du Poussin.

Elles sont presqu’aussi isolées dans plusieurs compositions de Raphaël. C’est un tableau d’élève qui me promet plus que celui de Restout. Je conseillerais presque à Bounieu de se jetter du côté de la sculpture ; qu’on modèle son tableau et l’on en jugera. Il y a une certaine sagesse qu’il n’est donné qu’à peu de gens de posséder et de sentir. Je ne proscris pas les groupes, il s’en manque beaucoup. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de se passer de masses ; sans masses point d’effet. Mais les groupes qui multiplient communément les actions particulières doivent aussi communément distraire de la scène principale. Avec un peu d’imagination et de fécondité, il s’en présente de si heureuses qu’on ne saurait y renoncer ; qu’arrive-t-il alors ? C’est qu’une idée accessoire donne la loi à l’ensemble au lieu de la recevoir.

Quand on a le courage de faire le sacrifice de ces épisodes intéressans, on est vraiment un grand maître, un homme d’un jugement profond ; on s’attache à la scène générale qui en devient tout autrement énergique, naturelle, grande, imposante et forte.

J’avoue que la tâche n’en est pas pour cela plus facile. Une chose qu’on ne remarque guère, c’est qu’on papillote à l’esprit par la multiplicité des incidens aussi cruellement qu’aux yeux par la mauvaise distribution des lumières, et que si le papillotage de lumières détruit l’harmonie, le papillotage d’actions partage l’intérêt et détruit l’unité.

Je ne vous citerai point en ma faveur la multitude des bas-reliefs antiques ; je suis de bonne foi ; et je persiste à croire que, si l’on y remarque un dessin si pur, un art si avancé et si peu d’action, c’est que ces ouvrages sont autant d’articles du catéchisme payen. Il ne s’agit pas dans ces morceaux de montrer au peuple comment Persée vainquit le dragon et lui ravit Andromède, mais de fixer ce point de religion dans sa mémoire.

Aussi voyez ce sujet que je vous ai fait dessiner exprès d’après un marbre antique ; Persée a l’air de donner la main à Andromède pour descendre ;

Andromède, plus obligée aux dieux de sa délivrance qu’à Persée, qu’elle ne regarde pas, droite, presque sans action, sans passion, sans mouvement, les regards et les mains levés vers le ciel, touchée, en actions de grâces, est debout sur une petite éminence qui ne ressemble guère à un rocher, et ce méchant petit dragon mort n’est là que pour désigner le fait. Si ce n’est pas là un tableau d’église, je n’y entends rien.

Le petit faune placé debout derrière Apollon est très-beau. S’il y avait eu de l’effet, de la couleur, de l’expression ; si, sans rien changer à l’ordonnance, à la position des figures, l’artiste avait su leur donner seulement ce contour mou et fluant, cette variété d’attitudes naturelles faciles, aisées, qui tient à l’âge, au caractère, à l’action, à la sympathie des membres, à l’organisation, on aurait après cela jugé de ce morceau. Je gage que l’esquisse en était très-belle.

Voici comment l’on prétend que Bounieu ordonne sur sa toile. Il place d’abord une figure et la finit ; il en place ensuite une seconde, qu’il peint et finit de même ; puis une troisième, une quatrième, jusqu’à fin de payement. Si ce n’est pas une mauvaise plaisanterie, Bounieu est un artiste sans tête et sans ressource. figures et fruits. on voit sur un piédestal deux petits amours en marbre ; ils sont debout. Celui qui est à gauche porte un carquois sur son dos. On apperçoit entre les jambes de l’autre une urne renversée. Ils se battent ; celui qui est à gauche égratigne son camarade à la joue, et lui arrache des fruits. Il ne manque pas d’expression. Autour du piédestal, on en voit d’autres en bas-relief, tournés, contournés, de la manière la plus déplaisante ; ce sont des morceaux de pâte molle pétris entre les doigts, de la sculpture comme Carle Van Loo disait qu’il en savait faire. Le tout est placé sous une arcade d’où prend une guirlande de fleurs à laquelle un panier de fleurs est suspendu.

L’artiste a répandu autour de sa statue un vase riche et doré, un pot de porcelaine bleue couvert, des fruits sur un bassin, des raisins, un tambour de basque.

Voulez-vous sentir la misère de cela ? Allez à Marli voir ces enfans de Sarrazin qui font brouter des feuilles de vigne à une chèvre.

Regardez bien le caractère innocent, champêtre, fin, original et de verve des enfans. Si vous aimez la richesse et la richesse à profusion, voyez ce sep et ces raisins qui décorent le piédestal ; et quand vous aurez jetté un coup d’œil sur l’ouvrage du sculpteur, vous cracherez sur celui du peintre.

Je vous reconnais, beau masque ; c’est de vous, cela, Monsieur Descamp, cela ne peut être que de vous. Je vous avais conseillé, il y a deux ans, de ne plus peindre ; un peintre de son côté vous avait conseillé de ne plus écrire ; puisque vous avez pu suivre un de ces conseils, pourquoi n’avez-vous pas pu suivre l’autre ? Je me connais en tableaux presque aussi bien qu’un artiste en littérature.

Que signifie cette femme de chambre cauchoise avec sa cafetière et sa lettre ? Cela est plat.

La maîtresse ne dit pas davantage. Vous n’avez pas une idée dans la tête.

Cette petite fille qui joue avec son chat est misérable. Vous n’en trouverez pas sur le pont le prix de la toile ; cela est raide, sans couleur, sans expression, sans esprit ; ni linge, ni étoffe, ni dessin.

Est-ce que vous n’avez pas autour de vous une femme, un enfant, un ami qui puisse vous dire, ne peignez plus ?

Autres tableaux

Monsieur Descamp, c’est vous encore. à la platitude, à la mauvaise couleur grise, au défaut d’esprit, d’expression, et de toutes les parties de la peinture, c’est vous.

Le bon Chardin que vous connaissez me prend par la main, me mène devant ces tableaux et me dit avec le nez et la lèvre que vous savez : tenez, voilà de l’ouvrage de littérateur… il ne tenait qu’à moi de tirer certains papiers de ma poche, et de lui dire : tenez, voilà de l’ouvrage de peintre. Le bon Chardin ne sait pas que si j’avais seulement en peinture les connaissances de Descamp, tout pauvre artiste qu’il est, ou que M. Descamp eût mon talent chétif en littérature, il désolerait l’académie, sans en excepter le bon Chardin. Ils sont trop heureux, les faquins, que celui qui sait raisonner, écrire, ne sache ni dessiner, ni peindre, ni colorier.

Combien de défauts dans leurs ouvrages qui m’échappent, faute d’avoir pratiqué ; et comme je les leur remontrerais !

M. Descamp, pauvre peintre, littérateur ignoré, a mis devant une table à café, où l’on voit une serviette étalée, une cafetière, une tasse avec sa soucoupe, une petite chambrière de campagne, assise, le coude appuyé sur la table, la tête penchée sur sa main, rêvant tristement. Cela n’est pas mal de position, c’est une imitation de la pleureuse de Greuze, mais quelle imitation ! Point de grâce, point de chair, point de couleur ; cou, bras, mains noires, le bras qui soutient la tête, paralitique et décharné ; vêtemens grossiers et raides ; et le tout si pâle, si pâle, si gris, qu’on dirait que l’artiste n’avait pas vingt-quatre sous dans sa poche pour avoir six vessies. Grande tache de blanc sale ; figure comme Gauthier prétend que le sperme rendu chaud en engendre dans l’eau froide : et puis il faut voir le faire de ces vaisseaux épars sur la table. Fi ! Fi ! Monsieur Descamp.

Le pendant, ou la nourrice placée devant le berceau de son nourrisson qui dort et recommandant le silence du doigt, on ne le croirait pas, plus mauvaise encore. On voit le petit dormeur dans sa mane d’osier. Sa tête n’est pas mal, en comparaison du reste, c’est celle d’un joli petit ange ou d’un petit amour, tant les traits en sont formés. M. Descamp ignore qu’on peut donner aux anges, aux amours, aux chérubins, aux génies des figures charmantes et aussi développées qu’on veut, parce que tels ils sont, tels ils ont été, tels ils seront ; ce sont des êtres symboliques et éternels ; encore s’écarte-t-on quelquefois de cette règle et leur conserve-t-on le joufflu, le chiffonné, le gras, l’informe, le potelé de nos marmots. Mais il n’en est pas de même de ceux-ci, ce ne sont pas des natures sveltes ; ils ont un caractère dont on ne saurait s’affranchir sans pécher contre la vérité ; des chairs molles, je ne sais quoi de non développé qui est de leur âge. D’un de nos pouparts on en fera, si l’on veut, un génie, mais d’un joli génie on n’en fait point un de nos pouparts. La nourrice cauchoise est plate, sotte, bête, grise, raide, vide d’expression, à mille lieues de Greuze débutant, et à dix mille de Chardin qui travaillait autrefois dans ce genre.

Je ne doute point qu’il n’y ait encore quelque part d’autres misérables Descamp qui vous reviendront. Je ne vous ferai grâce de rien cette année. un concert espagnol de Michel Van Loo.

C’est un très-beau tableau, sage sans être froid ; une grande variété de figures charmantes, toutes aussi vraies, aussi soignées que des portraits ; et des draperies qu’il faut voir. une femme de distinction qui secourt la peinture découragée.un grand seigneur qui ne dédaigne pas d’entrer dans la chaumière d’un paysan malheureux. ces deux tableaux de Mme Therbouche sont ce qu’elle a fait de mieux. Il y a de la couleur et de l’expression. La tête et la poitrine de la peinture sont comme d’un ancien maître. un saint Louis . encore un st Louis et tout aussi plat que le premier. Il y a des physionomies malheureuses en peinture, le Christ et st Louis ont tous les deux été porteurs de ces physionomies-là. Celle du saint est donnée par ses portraits multipliés à l’infini, portraits auxquels l’artiste est forcé de se conformer, celle du Christ est traditionnelle.

C’est la même entrave, à peu de chose près.

Webb, écrivain élégant et homme de goût, dit dans ses réflexions sur la peinture, que les sujets tirés des livres saints ou du martyrologe ne peuvent jamais fournir un beau tableau. Cet homme n’a vu ni le massacre des innocents par Le Brun, ni le même massacre par Rubens, ni la descente de croix d’Annibal Carrache, ni st Paul prêchant à Athènes par Le Sueur, ni je ne sais quel apôtre ou disciple se déchirant les vêtements sur la poitrine à l’aspect d’un sacrifice païen, ni la Magdeleine essuyant les pieds du sauveur de ses beaux cheveux ; ni la même sainte si voluptueusement étendue à terre dans sa caverne, par Le Corrège, ni une foule de saintes familles plus touchantes, plus belles, plus simples, plus nobles, plus intéressantes les unes que les autres, ni ma vierge du Barroche, tenant sur ses genoux l’enfant Jésus debout et tout nu.

Cet écrivain n’a pas prévu qu’on lui demanderait pourquoi Hercule étouffant le lion de Némée serait beau en peinture, et Samson fesant la même action déplairait ? Pourquoi on peut peindre Marsyas écorché, et non st Barthélemi ?

Pourquoi le Christ, écrivant du doigt sur le sable l’absolution de la femme adultère, au milieu des pharisiens honteux, ne serait pas un beau tableau, aussi beau que Phryné accusée d’impiété devant l’aréopage ?

Notre abbé Galiani que j’aime autant écouter quand il soutient un paradoxe que quand il prouve une vérité, pense comme Webb ; et il ajoute que Michel-Ange l’avait bien senti ; qu’il avait réprouvé les cheveux plats, les barbes à la juive, les physionomies pâles, maigres, mesquines, communes et traditionnelles des apôtres, qu’il leur avait substitué le caractère de l’antique, et qu’il avait envoyé à des religieux qui lui avaient demandé une statue de Jésus-Christ, l’Hercule Farnèse la croix à la main ; que dans d’autres morceaux, notre bon sauveur est Jupiter foudroyant ; st Jean, Ganymède ; les apôtres Bacchus, Mars, Mercure, Apollon, etc.

Je demanderai d’abord : le fait est-il vrai ? Quels sont précisément ces morceaux ? Où les voit-on ?

Ensuite je chercherai si Michel-Ange a pu, avec quelque jugement, mettre la figure de l’homme en contradiction avec ses mœurs, son histoire et sa vie. Est-ce que les proportions, les caractères, les figures des dieux payens n’étaient pas déterminés par leurs fonctions ? Et Jésus-Christ pauvre, débonnaire, jeûnant, priant, veillant, souffrant, battu, foueté, bafoué, souffleté a-t-il jamais pu être taillé d’après un brigand nerveux qui avait débuté par étouffer des serpens au berceau, et employé le reste de sa vie à courir les grands chemins, une massue à la main, écrasant des monstres et dépucelant des filles ? Je ne puis permettre la métamorphose d’Apollon en st Jean, sans permettre de montrer la vierge avec des lèvres rebordées, des yeux languissants de luxure, une gorge charmante, le cou, les bras, les pieds, les mains, les épaules et les cuisses de Vénus ; la vierge Marie Vénus aux belles fesses, cela ne me convient pas. Mais voici ce qu’a fait le Poussin ; il a tâché d’ennoblir les caractères ; il s’est assujetti selon les convenances de l’âge, aux proportions de l’antique ; il a fondu avec un tel art la bible avec le paganisme, les dieux de la fable antique avec les personnages de la mythologie moderne, qu’il n’y a que les yeux savans et expérimentés qui s’en aperçoivent, et que le reste en est satisfait. Voilà le parti sage. C’est celui de Raphaël ; et je ne doute point que ce n’ait été celui de Michel-Ange. Est-ce là ce qu’voulu dire l’abbé Galiani ? Nous sommes d’accord.

Prononcer que la superstition régnante soit aussi ingrate pour l’art que Webb le prétend, c’est ignorer l’art et l’histoire de la religion ; c’est n’avoir jamais vu la ste Thérèse du Bernin, c’est n’avoir jamais vu cette vierge, le sein découvert, à qui son petit tout nu sur ses genoux pince en se jouant le bout du téton. C’est n’avoir aucune idée de la fierté avec laquelle certains chrétiens fanatiques se sont présentés au pied des tribunaux des préteurs, de la majesté prétoriale, de la férocité froide et tranquille des prêtres, et de la leçon que je reçois de ces compositions qui m’instruisent bien mieux que tous les philosophes du monde de ce que peut l’homme possédé de cette sorte de démon. Le patriotisme et la théophobie sont les sources de grandes tragédies et de tableaux effrayans. Quoi ! Le chrétien interrompant un sacrifice, renversant des autels, brisant des dieux, insultant le pontife, bravant le magistrat, n’offre pas un grand spectacle ! Tout cela me paraît apperçu avec les petites besicles de l’anticomanie. Serviteur à M. Webb et à l’abbé Galiani.

On voit, dans une chapelle à gauche, au pied d’un autel, un benêt de st Louis… mais j’ai juré de ne décrire aucun mauvais tableau, et j’allais commettre un énorme parjure. Mon ami, c’est du Parocel, c’est du Brenet, c’est pis encore, si vous voulez. Il serait plaisant que cette grosse, matérielle, lourde, ignoble figure, fût de l’un ou de l’autre, devenu, comme par miracle, plus mauvais que lui-même. état actuel de l’école française. voyons maintenant quel est l’état actuel de notre école, et revenons un peu sur les peintres qui composent notre académie.

Remarquez d’abord, mon ami, qu’il y a quelques savans, quelques érudits, et même quelques poëtes dans nos provinces : aucun peintre, aucun sculpteur.

Ils sont tous dans la grande ville, le seul endroit du royaume où ils naissent et soient employés.