LAURÉS, [Antoine , Chevalier de] né à Gignac, dans le Diocese de Montpellier, mort à Paris en 1778.
Nous n’établirons pas l’éloge de ses talens sur quatre couronnes obtenues à l’Académie des Jeux Floraux, ni sur trois autres décernées par l’Académie Françoise. Ces lauriers littéraires ont été si souvent prodigués au hasard ou à la faveur, que la gloire qui peut en revenir, commence à être généralement décriée. Il seroit cependant injuste de refuser des éloges à quelques Odes de M. le Chevalier de Laurés, pleines de verve & d’enthousiasme, principalement dans celle qu’il a faite sur le Jeu.
Mais ce Poëte a oublié volontiers ces petits triomphes, pour s’attacher à un Ouvrage plus capable d’établir & d’étendre solidement sa réputation, quoique l’exécution n’ait pas entiérement répondu à l’idée qu’on avoit conçue de son talent pour la Poésie héroïque. C’est de la Traduction ou imitation de la Pharsale de Lucain, que nous voulons parler. On sait qu’il ne s’est point assujetti à rendre scrupuleusement son modele ; qu’il l’a réformé, changé, imité, selon les divers effors de sa Muse & les inspirations de son goût ; & l’on peut dire que son travail est d’autant plus propre à lui faire honneur, que les morceaux où il s’est le plus écarté de l’original, ne sont pas les moins estimables de son Poëme. C’est dommage qu’à force d’avoir abrégé l’Auteur Latin, sous prétexte de faire disparoître les défauts qui le déparent, & de rapprocher les beautés qui le font admirer, M. le Chevalier de Laurés soit quelquefois tombé dans une sécheresse non moins condamnable que l’enflure & le faux sublime de l’Original. Si Lucain s’abandonne trop à la fecondite de son imagination ; son imitateur, à force de vouloir le réduire, le rend maigre, décharné, & c’est sur-tout à ce défaut de juste embonpoint qu’on doit attribuer le peu de succès de son Ouvrage. Il faut cependant convenir qu’il mérite, à plusieurs égards, l’estime des gens de goût. M. le Chevalier de Laurés s’y montre souvent égal & quelquefois même supérieur au Poëte Latin, comme dans le discours que Pompée adresse aux compagnons de sa fuite, après sa défaite. Ce morceau, ainsi que beaucoup d’autres, où il a employé des images qui ne sont point dans l’Original, donnent l’idée la plus avantageuse de son talent, & doivent le faire distinguer de la foule des Poëtes Traducteurs.
Jusqu’à présent on ne paroît pas avoir assez senti l’utilité des imitations, pour le développement des dispositions de l’esprit & de l’imagination. On s’est persuadé qu’il n’y avoit d’autre parti à prendre, à l’égard des Auteurs Grecs & Latins, que de traduire, & l’on n’a pas fait attention que la diversité du génie des Peuples, celle des Langues, étoient des obstacles insurmontables pour une bonne Traduction. On a souvent dit, avec raison, que la meilleure de toutes ne sauroit ressembler qu’à l’envers d’une tapisserie, ou, tout au plus, qu’à l’Estampe d’un tableau.
Il est donc bien plus digne des soins de quiconque est né avec du talent, de ne pas s’asservir à rendre un Original mot à mot, phrase par phrase, idée par idée, image par image. Il est bien plus noble d’imiter ces Fondeurs habiles, qui, sachant conserver l’attitude & les principaux traits d’une Statue, forment un nouveau moule pour la rendre avec les beautés qu’elle avoit déjà, lui donner celles qui lui manquoient, & la corriger des défauts qui en rendoient l’exécution moins heureuse.
Telle a été, de tout temps, la marche des Hommes de génie. Virgile a imité Homere ; Horace s’est formé sur Pindare & sur Anacréon ; Boileau avoit pris Horace pour modele, avant de tirer des chef-d’œuvres de son propre fonds. Corneille & Racine ont puisé dans Sophocle & Euripide les alimens qui ont nourri & échauffé leur Muse ; & après s’être nourris & pénétrés de la substance des Grands Hommes qui les avoient précédés, ils sont devenus eux-mêmes propres à seconder l’essor de quiconque voudroit s’élever sur leurs traces.