Voiture, [Vincent] de l’Académie Françoise, né à Amiens en 1598, mort à Paris en 1648.
Boileau en faisoit trop de cas. Il est pourtant vrai qu’il a été le premier, parmi nous, ce qu’on appelle un Auteur Bel-Esprit. L’accueil qu’il recevoit dans les meilleures Sociétés de son temps, l’enhardit sans doute à répandre dans ses Ouvrages le même caractere d’agrément & de liberté qui le faisoit rechercher à la Cour & à la Ville. Il écrivoit facilement en Latin, en Italien, & en Espagnol ; on ne connoît plus aujourd’hui que ce qu’il a écrit en François. On lit encore avec plaisir quelques-unes de ses Lettres, sans cependant pouvoir les lire de suite. L’esprit, quand il cherche à se montrer, devient un supplice pour un homme sensé ; & les pensées brillantes éblouissent & fatiguent plus qu’elles ne plaisent, quand elles sont indiscrétement prodiguées, & encore plus quand elles paroissent jetées toutes dans le même moule. Cette affectation ôte au Lecteur le seul plaisir qui puisse le captiver, celui du naturel & de la variété.
Voiture dut ce travers à un penchant trop marqué pour les Poëtes Italiens : le Marini, qu’il cite presque toujours avec admiration, lui gâta le goût. Il en sera toujours de même des Auteurs qui se passionnent trop pour les modeles, choisis plus par attrait que par jugement.
Malgré cela, Voiture ne mérite pas tout le mépris qu’on paroit en faire aujourd’hui. Peu d’Ecrivains fournissent plus d’exemples de pensées fines & delicates. Le P. Bouhours ne se lasse point d’en citer dans son Recueil, connu sous le titre de Pensées ingénieuses. Nos Poëtes actuels, les plus agréables, ne désavoueroient pas ces Vers, tirés d’une de ses Epîtres au grand Condé.
Nous autres faiseurs de Chansons,De Phébus sacrés Nourrissons,Peu prisés au Siecle où nous sommes,Saurions bien mieux vendre nos sons,S’ils faisoient revivre les HommesComme ils font revivre les noms…..Commencez, Seigneur, à songerQu’il importe d’être & de vivre ;Pensez à vous mieux ménager.Quel charme a pour vous le danger,Que vous aimiez tant à le suivre ?Si vous aviez dans les combatsD’Amadis l’armure enchantée,Comme vous en avez le brasEt la vaillance tant vantée,Seigneur, je ne me plaindrois pas.Mais en nos Siecles où les charmesNe font pas de pareilles armes ;Qu’on voit que le plus noble sang.Fût-il d’Hector ou d’Alexandre,Est aussi facile à répandreQue l’est celui du plus bas rang ;Que, d’une force sans seconde,La Mort sait ses traits élancer,Et qu’un peu de plomb peut casserLa plus belle tête du monde ;Qui l’a bonne y doit regarder.Mais une telle que la vôtre,Ne se doit jamais hasarder ;Pour votre bien, & pour le nôtre,Seigneur, il vous la faut garder,C’est injustement que la vieFait le plus petit de vos soins ;Dès qu’elle vous sera ravie,Vous en vaudrez de moitié moins.Ce respect, cette déférence,Cette foule qui suit vos pas,Toute cette vaine apparence,Au tombeau ne vous suivront pas.Quoi que votre esprit se propose,Quand votre course sera close,On vous abandonnera fort,Et, Seigneur, c’est fort peu de choseQu’un demi-Dieu, quand il est mort.Du moment que la fiere ParqueNous a fait entrer dans la barqueOù l’on ne reçoit point les corps,Et la Gloire & la RenomméeNe sont que songe & que fumée,Et ne vont point jusques aux Morts ;Au delà des bords du Cocyte,Il n’est plus parlé de mérite,Ni de vaillance, ni de sang ;L’ombre d’Achille ou de Thersite,La plus grande & la plus petiteVont toutes en un même rang.