[À mon ami Monsieur Grimm.
Bénie soit à jamais la mémoire de celui qui en instituant cette exposition publique de tableaux, excita l’émulation entre les artistes, prépara à tous les ordres de la société, et surtout aux hommes de goût, un exercice utile et une récréation douce ; recula parmi nous la décadence de la peinture de plus de cent ans peut-être, et rendit la nation plus instruite et plus difficile en ce genre.
C’est le génie d’un seul qui fait éclore les arts ; c’est le goût général qui perfectionne les artistes. Pourquoi les Anciens eurent-ils de si grands peintres et de si grands sculpteurs ? C’est que les récompenses et les honneurs éveillèrent les talents, et que le peuple accoutumé à regarder la nature et à comparer les productions des arts, fut un juge redoutable. Pourquoi de si grands musiciens ? C’est que la musique faisait partie de l’éducation libérale : on présentait une lyre à tout enfant bien né. Pourquoi de si grands poètes ? C’est qu’il y avait des combats de poésie et des couronnes pour le vainqueur. Qu’on institue parmi nous les mêmes luttes ; qu’il soit permis d’espérer les mêmes honneurs et les mêmes récompenses, et bientôt nous verrons les beaux-arts s’avancer rapidement à la perfection. J’en excepte l’éloquence. La véritable éloquence ne se montrera qu’au milieu des grands intérêts publics. Il faut que l’art de la parole promette à l’orateur les premières dignités de l’État. Sans cette attente, l’esprit occupé de sujets imaginaires et donnés, ne s’échauffera jamais d’un feu réel, d’une chaleur profonde, et l’on n’aura que des rhéteurs. Pour bien dire, il faut être tribun du peuple, ou pouvoir devenir consul. Après la perte de la liberté, plus d’orateurs ni dans Athenes, ni dans Rome ; les déclamateurs parurent en même temps que les tyrans.
Après avoir payé ce léger tribut à celui qui institua le Salon, venons à la description que vous m’en demandez.
Pour décrire un Salon à mon gré et au vôtre, savez-vous, mon ami, ce qu’il faudrait avoir ? Toutes les sortes de goût, un cœur sensible à tous les charmes, une âme susceptible d’une infinité d’enthousiasmes différents, une variété de style qui répondît à la variété des pinceaux ; pouvoir être grand ou voluptueux avec Deshays, simple et vrai avec Chardin, délicat avec Vien, pathétique avec Greuze, produire toutes les illusions possibles avec Vernet. Et dites-moi où est ce Vertumne-là ? Il faudrait aller jusque sur les bords du lac Leman pour le trouver peut-être.
Encore si l’on avait devant soi le tableau dont on écrit ; mais il est loin, et tandis que la tête appuyée sur les mains, ou les yeux égarés dans l’air, on en recherche la composition, l’esprit se fatigue, et l’on ne trace plus que des lignes insipides et froides. Mais j’en serai quitte pour faire de mon mieux, et vous redire ma vieille chanson :
Si quid nosti rectius istis, Candidus imperti : si non, his utere.
Je vous parlerai des tableaux exposés cette année à mesure que le livret qu’on distribue à la porte du Salon, me les offrira. Peut-être y aurait-il quelque ordre sous lequel on pourrait les ranger ; mais je ne vois pas nettement ce travail compensé par ses avantages.