Amiel, Henri Frédéric (1821-1881)
[Bibliographie]
Les Grains de mil (1854). — Il Penseroso (1858). — La Part du rêve (1863). — Les Étrangères (1876). — Charles le Téméraire, romancero historique (1877). — Jour à jour (1880). — Journal intime, 2 vol. (1883-1884).
OPINIONS.
Edmond Scherer
Je ne sais à comparer au Journal d’Amiel, comme drame de la pensée, comme méditation à la fois religieuse et inquiète sur les mystères de l’existence, que les monologues de Maine de Biran, de Maurice de Guérin et d’Obermann ; mais Amiel dépasse, à mon avis, tous ces martyrs de la pensée ; il va bien plus au fond de tout ; sa philosophie spéculative est bien autrement vaste, sa psychologie morbide bien autrement curieuse, sa perplexité morale bien autrement pathétique.
Ferdinand Brunetière
Comme ses amis, je pourrais croire à ce respect, à cet amour, à cette religion de l’idéal, si cet idéaliste, se renfermant en lui-même ou seulement dans son Journal, n’avait rien écrit, rien publié, ni jamais essayé de conquérir, à défaut d’un peu de gloire, cette notoriété qui fuyait devant lui… En réalité, il mettait dans ses Grains de mil des fragments de ce Journal, tissé, comme on nous dit, de sa propre substance. Plus tard il essayait, dans son Penseroso, de traduire en grands vers le plus pur de ce Journal même, toute son expérience de lui-même, de l’homme et de la vie. Et plus tard encore, dans ses Étrangères, le bruit qu’il n’avait pu faire avec ses Grains de mil et son Penseroso, ses articles et ses notices, il essayait de le faire en innovant, dans notre poésie, le vers de quatorze et de seize syllabes :
Quand le lion, roi des déserts, pense à revoir son vaste empire,Vers la lagune, allant tout droit, dans les roseaux il se retire ;
ou encore :
Les chênes de la forêt, à l’ombre épaisse et tranquilleAujourd’hui, comme autrefois, m’ont chanté leur grave idylle…
Qu’était-ce donc qu’Amiel, et où le mettrons nous ? Poète, c’est à peine si ses vers sont des vers, et je ne ferai pas à ses amis le chagrin d’en citer davantage.
Ferdinand Brunetière
Le professeur obscur de Genève, le poète inconnu de Jour à jour et des Étrangères, est célèbre ; et il le restera, comme il l’est devenu d’abord à cause de la sincérité inexorable de sa confession, et aussi parce qu’il est un exemplaire accompli d’une certaine variété d’âmes modernes… Comme M. Taine et comme M. Renan, il fut imbu des idées germaniques et il tenta de les accommoder aux exigences de son éducation toute latine. Comme Stendhal, comme Flaubert, comme tant d’autres moins illustres, il subit les conséquences de l’abus de l’esprit d’analyse. Comme M. Leconte de Lisle et comme Baudelaire, il tenta de s’enfuir dans le rêve, ayant trop souffert de la vie. Seulement, des conditions spéciales de milieu et de tempérament firent que ces tendances diverses n’eurent, dans Amiel aucun contrepoids, en sorte qu’il laissa s’exagérer chez lui jusqu’à la maladie et l’esprit germanique et l’analyse, et le goût du songe.