(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 409-411
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 409-411

Vaniere, [Jacques] Jésuite, né dans le Diocese de Beziers, en 1664, mort à Toulouse en 1739 ; est un des Poëtes Latins qui a le mieux saisi la maniere & le ton de Virgile, dans le genre pastoral. Son premier Ouvrage fut un Poëme, intitulé Stagna. Celui qui a pour titre Columba, parut un an après, & fit dire au célebre Santeuil, que ce nouveau venu les avoit tous dérangés sur le Parnasse. Mais le chef-d'œuvre de son génie vraiment singulier pour la Poésie Latine, est le Predium rusticum, traduit dans toutes les Langues, & qui fait surtout les délices des Allemands & des Anglois. Les Savans de ces deux Nations ne craignent pas de le comparer aux Géorgiques de Virgile.

Non seulement le P. Vaniere nous a laissé des modeles, mais il a encore contribué à faciliter aux jeunes gens le goût de la bonne Latinité, par un Dictionnaire poétique, aussi généralement estimé que généralement utile. M. de Voltaire & M. d'Alembert qui pensent trop souvent d'après ce Poëte, ont beau dire qu'on doit s'attacher à sa Langue, & renoncer aux Langues mortes, dans lesquelles, selon eux, il est impossible de bien écrire, ils ont oublié, sans doute, que c'est en étudiant la Langue de Virgile, d'Horace, de Cicéron & de Tacite, celle d'Homere, de Sophocle, de Démosthenes, & de Thucydide, qu'on peut se former le goût pour bien écrire dans la sienne. Le même Siecle qui a vu naître Corneille, Racine, Moliere, Despréaux, Lafontaine, a produit aussi Cossart, Rapin, Commire, Santeuil, Huet ; & ces Auteurs ne sont pas, nous osons le dire, ceux dont la réputation est la moins étendue & sera la moins durable. Rapin, Huet, Santeuil, ont même aussi bien écrit en François qu'en Latin, preuve que l'étude d'une Langue ne nuit point à la perfection de l'autre. Faudra-t-il donc que les jeunes Littérateurs s'en tiennent à la lecture des Auteurs nationaux ? Sera-ce en se nourrissant du style ampoulé de la Philosophie, ou de la frivole légéreté de quelques-uns de nos Ecrivains, qu'ils apprendront à devenir véritablement éloquens ? Sera-ce dans la plupart de nos Tragédies modernés qu'ils puiseront cette force tragique, cette élévation, ce naturel, cette belle simplicité, qui sont les parties essentielles de l'Art ? Sera-ce enfin dans ce Siecle qu'ils trouveront des modeles ? & les dégoûter de l'étude des Anciens, n'est-ce pas vouloir anéantir la saine & belle Littérature ? A la bonne heure, qu'on n'écrive point en latin, quand on ne pourra tout au plus atteindre qu'au style des Philosophes, qui, dans les trois âges de la Littérature, a été la premiere époque de la dépravation des Lettres, ainsi qu'il commence à l'être dans celle-ci ; mais quand on pourra approcher des Auteurs faits pour être les modeles de tous les temps, ce sera un nouveau genre de gloire qu'on répandra sur sa Patrie.