(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 378-380
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 378-380

1. MOTHE LE VAYER, [François de la] Précepteur du Duc d’Orléans frere de Louis XIV, de l’Académie Françoise, né à Paris en 1588, mort en 1672.

Jamais homme n’aima plus l’étude : il est vrai qu’il n’a pas toujours fait un bon usage de son savoir. En s’attachant à toutes les Sciences, ses recherches n’ont souvent abouti qu’à rassembler dans son esprit des doutes sur les plus intéressantes matieres. On peut le regarder, avec Montagne & Bayle, comme un de ces Sceptiques qui, voulant tout approfondir, n’ont rien digéré, & dont les résultats ne sont qu’un amas d’incertitudes & de ténebres. Il faut pourtant convenir, à la décharge de M. le Vayer, qu’il a été plus modéré que ces deux Philosophes. Il est Sceptique, mais il n’admet le Scepticisme que dans les Sciences, & ne l’érige point en systême. Il respecte toujours la Révélation & tout ce qui en découle. « Comme humainement parlant, dit-il, tout est problématique dans les Sciences, & dans la Physique principalement, tout doit y être exposé aux doutes de la Philosophie sceptique, n’y ayant que la véritable science du Ciel, qui nous est venue par révélation divine, qui puisse donner à nos esprits un solide contentement avec une satisfaction entiere ».

Le style de ses Ouvrages, qui sont en très-grand nombre, est clair, net, plein de pensées saillantes, quelquefois nerveux, plus souvent diffus & beaucoup trop chargé de citations. Cet Ecrivain est comme Montagne, il perd continuellement son objet de vue, mais n’a pas, comme lui, l’art de répandre de la force & de l’agrément dans ses écarts. Montagne a le talent de développer tellement chacun des objets successifs, qu’il devient l’objet principal, & fait oublier volontiers le point duquel l’Ecrivain est parti ; on s’y arrête avec complaisance, par le nouvel intérêt qu’il inspire.

Il n’en est pas de même des digressions de la Mothe le Vayer. Elles sont trop courtes pour attacher, trop multipliées pour fixer l’attention sur aucun objet. On voit un Ecrivain qui veut établir un principe & n’établit rien. On se trouve à la fin de l’Ouvrage, sans avoir été instruit du fond de la question, & sans que les propositions accessoires vous aient dédommagé : ce qui prouve combien la démangeaison de discuter est dangereuse. Elle est une espece de Chimie destructive, qui anéantit les substances en les divisant, & ne tire des corps dépouillés de leurs parties, qu’une cendre stérile, fruit ordinaire de ses opérations. Malgré cela, M. de Voltaire & quelques autres Ecrivains ont su ressusciter cette cendre, & se parer très-souvent des dépouilles de ce Discoureur. Le doute est une espece de fonds héréditaire que les Philosophes se transmettent les uns aux autres : mais la vérité n’est point leur héritage ; elle est celui du bon usage, des lumieres, & de la raison.