(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 266-268
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 266-268

Benserade, [Isaac de] de l’Académie Françoise, né à Lyons, petite ville de la Haute-Normandie, en 1612, mort à Paris en 1691.

Pour avoir eu, pendant sa vie, une réputation au dessus de son mérite, ce Poëte est aujourd’hui beaucoup moins estimé qu’il ne vaut. La postérité devient toujours sévere à l’égard des Auteurs, dont les contemporains ont été trop légérement enthousiastes. On ne peut refuser à Benserade une facilité singuliere pour composer des vers sur toutes sortes de sujets. C’est lui qui a fait la plus grande partie des Chansons, sur lesquelles le célebre Lambert a mis les airs les plus beaux & les plus touchans. On lit encore avec plaisir les vers qu’il fit pour les Ballets qu’on représentoit à la Cour de Louis XIV, avant qu’on connût l’Opéra, & dont la musique & la danse formoient toute l’économie. Les paroles qu’il avoit l’art d’adapter à ces sortes de divertissemens, convenoient parfaitement au caractere des Dieux & des Déesses qui y figuroient, en même temps qu’ils offroient une peinture délicate des mœurs, des inclinations, des qualités des Danseurs qui représentoient ces Divinités.

Benserade mit en Rondeaux les Métamorphoses d’Ovide. Ce travail ne lui fait honneur, que parce qu’il fut entrepris par ordre du Roi & pour l’usage de M. le Dauphin. Les ordres des Princes peuvent inspirer du zele, mais ne donnent pas les talens. Cet Ouvrage en est la preuve. Rien ne fut négligé pour le décorer de tout le luxe typographique. Il fut imprimé au Louvre sur le plus beau papier, & orné de figures magnifiques. Tant de soins ne purent le garantir de l’épigramme. Chapelle répondit à l’Auteur, qui lui en avoit envoyé un exemplaire, par un Rondeau qu’il finit ainsi :

De ces Rondeaux un Livre tout nouveau
A bien des gens n’a pas eu l’art de plaire ;
Mais quant à moi, je trouve tout fort beau,
Papier, dorure, image, caractere,
Hormis les vers, qu’il falloit laisser faire
A la Fontaine.

Ces Rondeaux eurent néanmoins pour partisans les personnes les plus distinguées de la Cour, ce qui ne tournoit pas à la gloire de leur goût. Le Duc d’Enghien, fils du grand Condé, n’eut pas le pouvoir de convertir Boileau, qui les méprisoit. Mais les vers en sont clairs, disoit ce Prince à l’Auteur de l’Art poétique, ils sont parfaitement rimés, & disent bien ce qu’ils veulent dire. « Monseigneur, lui répondit Boileau, il y a quelque temps que je vis une Estampe qui représentoit un Soldat qui se laissoit manger par les poules, au bas de laquelle étoit ce distique :

Le Soldat qui craint le danger,
Aux poules se laisse manger.

« cela est clair, cela est bien rimé, cela dit ce que cela veut dire, cela ne laisse pas d’être le plus plat du monde, ajouta le Prévôt du Parnasse ».