IV. M. Henri Martin.
Histoire de France
I
Ce n’est pas un petit embarras pour la Critique, obligée de resserrer ses observations dans le cadre étroit d’un chapitre, que de parler d’un ouvrage qui compte en ce moment quinze énormes volumes, et cependant il le faut ; c’est de nécessité. L’ouvrage de M. Henri Martin n’est pas de ceux-là qu’on puisse oublier quand on s’occupe de la bibliographie contemporaine. Par la visée, par l’étendue matérielle, par le sujet, ce livre fait le monument. En est-il un ? C’est autre chose. Grosseur n’est pas grandeur, mais il est tant de gens, hélas ! qui sont organisés de manière à prendre le gros pour le grand, et où il y a masse, — et masse la plus épaisse, — à puérilement admirer ! Le nombre des volumes qu’un homme publie, les matières qu’ils renferment, les lectures qu’ils supposent, tout cela produit dans les têtes innocentes un effet qui commence le succès et qui l’a commencé pour M. Martin… Or, voici… voici ce qui pourrait l’achever.
Le xixe siècle, ce siècle profondément historique et qui ne sera probablement que cela, du moins chez nous, n’avait pas Histoire de France, il y a encore quelques années. Les anciennes histoires, celles de Mezerai, de Daniel, de Velly et ses continuateurs, auxquelles (qui sait ?) l’Érudition et l’Opinion, ces deux vieilles valseuses, pourront bien, en tournant, revenir, les anciennes histoires avaient été un jour déshonorées avec trop d’éclat par le terrible jeune critique qui fut depuis M. Augustin Thierry, pour ne pas être immédiatement méprisées de cette nation qui a toujours aimé l’insolence et la force. On ne les lisait plus. M. Augustin Thierry n’avait pas, il est vrai, ajouté à sa coupante critique la démonstration d’un grand exemple. Ou sa présomption de jeune homme n’alla pas jusqu’à vouloir prouver qu’il était capable d’exécuter ce que les autres avaient manqué, ou son imagination fut emportée d’un autre côté, mais toujours est-il que le vide qu’il avait creusé, il ne le remplit pas.
Un homme doué de plus de facultés que M. Augustin Thierry, mais qui s’est entièrement perdu dans un pays qui aime à rire, et qui respecte le sérieux, — qui le respecte jusqu’à l’ennui, — M. Michelet avait bien entrepris à sa façon une Histoire de France, mais c’était moins une histoire que de brillantes échappées sur l’histoire, et pour bien comprendre les unes, il fallait déjà savoir l’autre. À côté de M. Michelet, il n’y avait personne. À côté de ses fantasias historiques, il n’y avait rien. On avait des Histoires de la civilisation, plus générales qu’une Histoire de France ; — on avait des histoires en France, des règnes plus ou moins étudiés et approfondis. On ployait sous les monographies. On était offusqué de renseignements. Mais on n’avait pas de récit complet, asservi aux dates, allant, comme une chaîne qui a tous ses anneaux, du premier fait jusqu’au dernier de nos annales. L’histoire existait en puissance et on pourrait dire en chantier. Elle existait pour les historiens. Elle n’existait pas pour le commun des esprits, qui a pourtant besoin de savoir quelque peu d’histoire.
M. Henri Martin, qui vit le moment bon, se dévoua à ce genre historique, — l’histoire pour les gens qui ne la savent pas et qui ne la sauront jamais très bien ; et il fit alors cette teinture qu’il a extrêmement travaillée, destinée à tremper le commun des esprits dans des notions d’histoire, suffisantes et convenables. Touchée, sans doute, de ce dévouement à la chose publique, l’Académie mit son estampille à cette teinture, en donnant à plusieurs reprises le prix Gobert à son auteur. Grande chose pour lui, indépendamment de l’agrément pudibond, mais profond, qui vient des écus ! En effet, l’Académie, pour les bourgeois qui devaient lire l’Histoire de France de M. Martin, comme ils lisent le Dictionnaire historique et géographique de M. Douillet, une publication du même genre, l’Académie, c’est plus qu’une puissance, c’est une infaillibilité ! Comme ils disent : « Ce sont les quarante immortels ! »
Telles étaient les raisons du succès actuel, et du plus grand succès futur et possible de l’histoire de M. Martin. Écrite exclusivement pour le nombre, par un homme du nombre qui n’est pas campé pour en sortir, ni même pour aspirer à cette glorieuse impopularité des grands artistes dont se vantait Goethe, quand il disait avec orgueil : « Raphaël et moi, nous n’avons jamais été populaires », placée sous le patronage et la protection d’un Aréopage littéraire qui a finances et qui est le seul pouvoir de la société ancienne qui soit resté… dans son fauteuil, quand tous les autres se sont écroulés, cette histoire de M. Martin, qui ajoute encore à tout cela la médiocrité dans la forme, — cette médiocrité, cause des plus hautes fortunes, — nous semble appelée à un avenir immense. Elle peut coiffer un jour intégralement la mémoire de nos neveux.
Et c’est précisément pourquoi nous avons peut-être, en oncles prudents, le droit de regarder un peu dans l’intérieur de ce bonnet que M. Martin peut leur mettre. S’il n’était doublé que d’insignifiances et de platitudes, que de faits plus ou moins bien racontés et même plus ou moins bien compris, mon Dieu ! nous ne sommes pas des rêveurs et nous connaissons la vie. Nous ne dirions rien, car nous n’ignorons pas que le bonnet des masses est plutôt fait pour leur donner de la chaleur que de la lumière. Mais, si c’était l’erreur, — une erreur à froid, combinée, réfléchie, qui en fût le fond, ah ! ma foi ! alors la Critique qui, au désert, si elle l’y rencontrait, laisserait peut-être M. Martin tranquille, la Critique n’aurait vraiment d’autre moyen, pour l’empêcher de le planter sur la tête de la foule, que de lui prendre et de lui retourner son bonnet !
Et c’est ce que nous voulons faire. Nous voulons seulement montrer aujourd’hui un peu de la doublure de l’histoire de M. Martin. Cette erreur, qui la double, du reste, il ne l’a pas même inventée. M. Henri Martin s’est couvert de la peau de lion de MM. Pierre Leroux et J. Raynaud, qui sont pour lui des peaux de lion relatives, et il s’est cru un lion d’historien !
II
C’est un disciple, en effet, de ces deux célèbres philosophes, quoique depuis vingt-cinq ans, et après les malheurs et les ébrèchements arrivés à leurs philosophies, il soit moins disposé à se vanter de ses auteurs que quand il était jeune et n’était pas superbe. Il y a plus. Dans ces remaniements à la Vaugelas, que M. Martin pratique sur son livre comme le fameux et opiniâtre traducteur de Quinte-Curce en exécutait sur le sien, M. Henri Martin a, dit-on, fort pesé, pour les faire disparaître, sur les marques des philosophies d’où il est sorti : mais, s’il a gratté et regratté, il ne les a pas effacées. Elles percent toujours. Il a voulu rentrer ses peaux de lion empruntées ; mais ils sont rebelles et résistent à tous les efforts, ces diables de poils !
Probablement métempsychosiste comme le sont ses maîtres, mais avec discrétion et n’ayant pas besoin de l’être expressément dans une Histoire de France, de manière à troubler le Jean Jeannot de lecteur qui ne demande qu’à grignoter sa petite touffe de thym historique ; ne lâchant le mot « transformation » qu’avec prudence, mais le risquant parfois, comme une petite lumière pour les yeux prévenus et fidèles, qui savent bien ce que veut dire cette petite lueur, M. Martin est ouvertement du moins un déiste, un providentiel de haute quintessence, qui croit à l’immortalité, sans dire où il la place, et qui hait le catholicisme avec des tendresses et des larmoiements de lamantin respectueux. Voilà à peu près les idées générales, qu’il ose déboutonner, de sa philosophie, mais ses idées générales en histoire, empruntées à des maîtres qui les ont eux-mêmes empruntées, ont-elles plus d’originalité ?
Dans le travail de Pénélope que font toutes les Sciences, à cette heure, en attendant un Ulysse qui ne viendra pas, la Science historique, comme les autres, entasse systèmes sur systèmes. Elle a subi et épuisé déjà le ridicule de bien des phases. Elle fut, en ce qui nous concerne, nous Français, un jour franque et romaine avec l’abbé Dubos, un autre jour féodale avec Boulainvilliers. Peut-être demain sera-t-elle indienne avec un Martin inconnu, comme aujourd’hui elle est celtique avec le M. Martin que vous connaissez. Seulement, homme du dix-neuvième siècle, qui tâtonne et a ses mollesses, M. Henri Martin n’entend pas assurément le celtisme comme l’entendait cet excentrique La Tour-d’Auvergne, d’une solidité de dolmen, avec sa tête étroite, dure et enragée de Breton, et pourtant, tout moderne qu’il est, M. Martin l’admet très positivement en histoire et jusqu’à vouloir retrouver l’influence celtique là où elle est le moins, emportée qu’elle fut et perdue dans l’énergique torrent de la circulation chrétienne et française ! Qui ne le sait pas ? Et qui n’en a pas souri ?
Si M. Henri Martin n’est pas le père certain, il est le père putatif et démontré de cette chose comique nouvellement exprimée en histoire, et qui a retenti depuis plusieurs années, comme la trompette d’un Josaphat, excessivement burlesque : — le druidisme ! À tort ou à raison, l’opinion l’a revêtu de cette grotesque livrée du druidisme et en a fait ce masque qu’on appelle le druide dans l’histoire ! Et vraiment peut-on dire à tort, quand on a lu cette histoire de France et ces claires paroles dans l’avertissement de l’édition de 1854 : « la philosophie de l’histoire est en mesure aujourd’hui de restituer au druidisme la part très considérable qui lui revient dans le développement de l’humanité, et au génie celtique une part plus grande dans le développement moral du moyen âge et de l’âge moderne »
?
Ce n’est pas tout. Il ajoute encore : « Il n’est plus permis de douter que l’idéal de la chevalerie ne soit tout celtique »
, et il finit par assurer « que les tendances de l’esprit celtique se retrouvent dans les manifestations de l’esprit français »
, conclusion qui embrasse tout et qui ne va à rien moins qu’à la plus insolente négation, et la plus hypocrite, de tous les mérites chrétiens du Moyen Âge, le temps le plus détesté par les philosophes, parce qu’il est le plus catholique de tous les temps, de ce Moyen Âge auquel on essaie de voler sa gloire, quand il est impossible de la nier !
Car voilà tout le sens vrai de cette Histoire de France d’aujourd’hui, qui s’enveloppe la main dans de la critique incertaine, chimérique ou fausse, pour faire mieux son mauvais coup contre le Moyen Âge et pour qu’on sente moins ainsi la main du voleur. Prendre à la religion chrétienne, qui nous a pétris dans le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ (qui nous a donné le sein, si nous ne sommes pas sortis de son flanc ; qui est notre nourrice, si elle n’est pas notre mère), prendre à la religion chrétienne la plus belle civilisation qui fut jamais, — la civilisation de la chevalerie, — pour la donner à une société morte, atroce et barbare ; opposer et substituer à cette monarchie faite par des évêques, comme disait Gibbon, une monarchie faite… par des druides, voilà de l’habileté profonde, car elle semble désintéressée et ne prétend être que scientifique !
Lorsque je lis le reste de cette Histoire de France qui n’a que le druidisme pour tout aperçu, M. Henri Martin ne me paraît pas ce qu’on peut appeler une tête très forte. Mais l’ubiquité de la pensée diabolique est pour les sots autant que pour les gens qui ont le plus d’esprit, et les égalise dans une perversité de génie. On dirait un ordre donné et une même manière d’y obéir. Qu’on s’appelle M. Renan ou M. Martin, c’est toujours la destruction du christianisme que l’on veut et à quoi l’on travaille. La consigne actuelle n’est plus celle de Voltaire, qui du moins était franc ! Il faut toujours détruire cet infâme christianisme, mais sans avoir l’air d’y toucher ! Il faut le détruire en ne s’occupant que de simple science ! Il faut l’
étouffer dans la boue
, comme le dit dans son dernier livre
le suave et charmant M. Quinet, mais il ne faut pas la ramasser, cette boue, dans des mains ardentes dont le geste dirait la haine. Il vaut bien mieux la faire tout doucement couler du pressoir de la Science désintéressée, comme une huile d’olive d’impartialité, qui ne pèse, ne souille et n’étouffe que quand enfin elle est tombée !
III
Sans cette haine et sans ce dessein contre le christianisme, la bouffonnerie du druidisme aurait paru trop forte, même à M. Martin. Un savant, ancien élève de l’école des Chartres, aussi meurtrier par sa cruelle politesse contre l’éloquent M. Martin, qu’il crible méchamment de cette épithète, que par sa calme et ferme érudition, a demandé, dans un livre spécial, à cet éloquent M. Martin, de vouloir bien lui faire la preuve de cette incroyable théorie qui fait la Gaule plus belle et meilleure que la France d’après César, Clovis, et nos saints et glorieux évêques ! Il ne reste rien pour en juger, dit M. d’Arbois de Jubainville, de l’histoire des Gaulois écrite par Callisthènes ou de celle que, sous Auguste, avait composée Timagène, et ce qu’on en sait fait frémir. M. d’Arbois de Jubainville empile dans des notes, qui ressemblent à des remparts, textes sur textes et autorités sur autorités. Il cite César, Strabon, Ammien-Marcellin, Polybe, Athénée, Diodore de Sicile, Tite-Live, Pline, Pomponius Méla, Plutarque, Solin, qui tous ont donné une si épouvantante idée de cette société dont les druides furent les chefs et dont l’inextinguible esprit flambe encore, à ce qu’il paraît, jusque dans les veines de M. Martin.
Le savant critique de cet historien examine et ruine le seul argument sur lequel la thèse gauloise s’appuie, et qui est tiré (par les cheveux) de ces chansons galloises qui furent traduites et remaniées en français du temps, au douzième siècle. Les raisons qu’il donne contre l’unique argument sont sans réplique, mais à quoi bon tout ce luxe, toute cette générosité d’érudition et de discussion, quand on a affaire à une bouffonnerie sterling qui en renferme vingt-cinq autres, aussi difficiles de digestion pour le bon sens que faciles à avaler pour la gaîté qui se moque de l’extravagance ! Ainsi, pour n’en citer que deux seulement sur vingt-cinq, le culte de la femme, relevée, purifiée, anoblie par la religion d’un Dieu né d’une Vierge, la galanterie des chevaliers, le respect de leur force devant la faiblesse, c’est là, subsistant, le souffle des druidesses, qui a tenu bon, ce souffle-là !
Ainsi Jeanne d’Arc, que M. Martin écrit Jeanne d’Arc, pour la démocratiser, et dont il fait un Jésus-Christ en femme (que Dieu me pardonne de répéter le blasphème d’une telle pensée !), une Messie, tuée comme l’autre Messie, par des prêtres et des Pharisiens, est — après tout — une druidesse, une fille libre des Gaules, opposant le génie gaulois au clergé romain, et — voyez ceci, bonnes âmes ! — « subissant des faits de subjectivité, c’est-à-dire, les Révélations du férouer Mazaéen, du bon démon, de l’ange gardien
de cet autre moi qui n’est que le moi éternel, en pleine possession de lui-même, planant sur le moi enveloppé dans les ombres de la vie ! »
Certes, voilà qui dispensait de tout le reste. Est-ce que cela ne suffisait pas ?
Cela n’a pas suffi cependant. Un autre critique, M. de Beaucourt, a traité avec une noblesse spirituelle cette question de Jeanne d’Arc, profanée une fois de plus aussi bien par le spiritualisme ou le spiritisme de M. Martin, que par le matérialisme hideux de Voltaire. Ailleurs, dans cette histoire d’halluciné, Abailard est aussi un druide, comme Jeanne d’Arc est une druidesse. C’est un druide « qui soutient le libre arbitre de la vieille doctrine gauloise et bretonne, tout au moins de l’école de Lérins, qui sape l’ascétisme par la réhabilitation de la nature et tend à transformer Jésus-Christ en initiateur… Mais —
continue M. Martin — Abailard, tout grand qu’il est, est bien petit par le cœur auprès de la sublime enfant qu’il enchaîne à sa destinée… L’importance du personnage d’Héloïse, c’est qu’elle ne change pas intérieurement, qu’elle ne subit pas la mort mystique du cloître, c’est qu’elle ne se repent jamais (tiens ! comme Stendhal. Stendhal ne voulait pas non plus qu’on se repentît !) C’est enfin qu’elle n’est pas à Dieu parce que la femme ne doit pas s’élever seule à Dieu. »
Que si avec tout cela Héloïse n’est pas druidesse, elle est du moins la grande sainte de l’amour ! « et, c’est ainsi, dit l’historien dont la tête fait l’effet d’une table tournante, que la grande âme de la Gaule éclate partout, partout — dans le sanctuaire du chêne, — dans le libre arbitre de Lérins et du Paraclet, dans la souveraine indépendance de
l’inspiration de Jeanne d’Arc et… dans le moi de Descartes »
. À la bonne heure ! Il fallait bien y arriver !
Eh bien ! vous comprenez, n’est-ce pas ? Vous trouvez et vous tâtez bien l’impie sous le grotesque et vous lui prenez son secret. M. Henri Martin croit-il réellement à ce qu’il écrit ? Nous n’outragerons pas son intelligence au point même de le supposer, mais c’est un ennemi de l’Église qui écrit pour le commun des esprits et pour l’éducation élémentaire des pauvres jeunes gens qui ne se collèteront jamais avec les difficultés de l’histoire, et cela lui constitue un terrain sur lequel, si grotesque qu’on soit, on finit par devenir▶ dangereux. Les esprits sains comme les esprits d’élite l’ont bien senti et des Critiques se sont levés de partout autour de ce terrible M. Martin, cabré contre le christianisme, et l’ont secoué pour le rabattre.
Les travaux que j’ai cités de MM. d’Arbois de Jubainville et de Beaucourt, sur lesquels je ne puis m’étendre, sont excellents. Il en est un autre que je signalerai, c’est l’Étude critique de M. Henri de l’Espinois, comme M. de Jubainville, de l’École des Chartes. M. de l’Espinois a fait un véritable herbier des altérations de texte, des ignorances, des oublis et des faussetés de ce savant M. Martin, dès qu’il s’agit de théologie, d’église, de saint père, de conciles. Détail énorme et impudent ! M. de l’Espinois l’a percé à jour, déchiqueté, rongé, et ce qui en reste, s’il reste quelque chose, on peut l’abandonner au vent des Gaules, à l’esprit qui souffle de la Cambrie, et si peu qu’il souffle, il n’aura pas grand’peine à l’emporter !
IV
Je veux cependant être juste pour M. Henri Martin et pour son histoire : tout, dans ce gros ouvrage, n’est pas monté à cette octave de folie, puissancialisée par la haine. Le druidisme, qui est la seule idée historique de ces quinze volumes et qui déborde au Moyen Âge, est rentré un peu dans ses forêts, quand on est sorti du Moyen Âge. M. Henri Martin, si druidant qu’il soit, n’a pas été assez hardi pour affronter son propre ridicule en promenant des Druides à travers les temps modernes, quoique pourtant Fénelon, Voltaire, Rousseau, Montesquieu, etc., soient au fond aussi des druides, mais des druides de robe courte comme nous avons des jésuites de robe courte, — d’anciens druides déguisés !
Les deux derniers volumes, que nous venons de lire avec moins de dégoût que les autres, contiennent la fin de Louis XIV, la Régence et les commencements de Louis XV. Quand il s’agit de la question de l’Église, en ces différents règnes, on retrouve M. Martin tout entier et tout aussi acharné qu’au Moyen Âge, mais plus désarmé, car il n’ose pas se servir de sa catapulte du druidisme. Il en craint l’effet sur les bourgeois. Il a la bonté de parler moderne et de raconter l’histoire sans en faire un carnaval. L’histoire de ces temps auxquels nous touchons ◀devient plus facile. Les faits dont elle est composée, qui ne les sait ?… Ils foisonnent sous la main. Mais franchement, lorsque l’érudition est à cette portée, dans des conditions si abondantes et qui demandent si peu d’efforts pour être saisies, quel mérite a-t-on de raconter ces faits, à peu près exacts, de leur exactitude extérieure ?… Ce qu’il faudrait, c’est les dominer. Or, M. Henri Martin, qui aime l’égalité civile et politique, doit aimer toutes les égalités, car il ne peut dominer rien. En dehors même des idées catholiques auxquelles le disciple de M. P. Leroux fait la guerre, dans sa spécialité, et n’est pas tenu à justice, il n’est juste jamais que petitement, et toute grande politique lui échappe. Nous l’avons dit, c’est un esprit médiocre de forme et de fond. Sa perspective, très réelle, nous le croyons, et très agréable, si on veut, de gagner beaucoup d’argent pour avoir déposé sur le marché une histoire qui était demandée, cette perspective ne nous trouble pas. Nous n’avons pas d’éblouissements, non plus, devant les patentes de l’Académie. S’il nous fallait d’un mot dire notre opinion sur l’historien meuble meublant des bibliothèques de bourgeois au xixe siècle, nous dirions que c’est un pacotilleur d’histoire, non un historien. La seule chose qui nuira peut-être à cette gloire des idées communes qui doit être la sienne, c’est son druidisme. Le druidisme le voue à cette excentricité que les esprits, pour lesquels il écrit, détestent. Elle les prend aux nerfs. Ils la laissent aux artistes… Le druidisme ! Voilà ce qui met sur l’oreille de M. Martin une cocarde, — une branche de chêne, qui sera, je crois, tout son laurier, mais que la gaîté française saluera toujours !