(1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403
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(1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

M. Ernest Hello

Les Plateaux de la balance.

I

S’il y a, comme je le crois, du génie dans M. Ernest Hello, il faut avouer cependant que ce n’est pas celui des titres… Déjà, dans ses Contes, qui certainement méritaient mieux, il avait mis à leur tête, pour les caractériser, l’épithète triviale et insuffisante d’extraordinaires. Aujourd’hui, c’est Les Plateaux de la balance, — disons-le-lui brutalement ! — une platitude. Et si ce n’était que plat, encore ! Mais c’est, tout à la fois vulgaire et précieux, sentant d’une lieue sa vieille mythologie grecque, à laquelle, moins que personne, M. Ernest Hello devrait toucher ; prétintaille de rhétorique plaquée au front du livre le plus contraire à la rhétorique, c’est-à-dire à toute convention dans les idées et dans le style… Le titre d’un livre doit engager à l’ouvrir, — comme le regard d’une femme inconnue doit donner l’envie de la connaître et de lire dans le cœur qui a ce regard… Tel n’est point le titre que M. Hello a choisi ; et si on n’avait que l’impression de ce titre, si on ne connaissait pas déjà l’auteur des Plateaux de la balance, si, à défaut de l’attirance de son titre, on n’avait pas l’attirance de son nom, j’imagine qu’on pourrait bien tourner le dos à cette Justice de papier timbré dont il nous rappelle l’image, et qu’on planterait là l’auteur et sa balance, comme si c’était… un épicier !

Mais, heureusement, M. Ernest Hello, quoique sa gloire ne soit pas faite encore, n’est pas un inconnu, du moins pour moi qui en ai souvent et vainement parlé, et qui aimerais tant à être le héraut de sa gloire future ! M. Ernest Hello, à chacune de ses publications, a été signalé et salué par moi comme un de ces esprits qui, dans un temps donné, — hélas, toujours trop long ! — doivent vaincre les affreux et nombreux obstacles que toute supériorité, dans quelque genre que ce soit, trouve fatalement devant elle. Excepté son dernier et son plus magnifique ouvrage, intitulé « Les Paroles de Dieu », d’une hauteur de mysticisme qui épouvante l’admiration et dont je ne me suis pas senti digne de rendre compte, j’ai toujours parlé de ses livres avec l’intérêt passionné qu’ils excitent. J’ai particulièrement montré dans M. Ernest Hello l’intuitif dans l’histoire (Physionomie de saints), et l’inventeur, l’homme d’imagination dans ses contes (les Contes extraordinaires). Aujourd’hui, c’est une autre face de cet esprit multiface, sur un fond identique, que je vais montrer. Aujourd’hui, je vais parler du moraliste et du critique, mais d’un moraliste et d’un critique dont on n’a plus actuellement la moindre idée, — car voilà le caractère du talent de M. Ernest Hello, c’est de ne rien faire comme personne, non par originalité littéraire ou calcul d’art, mais par une originalité bien autrement grandiose et profonde, l’embrasement d’une foi religieuse qui, dans un temps où l’enthousiasme est tué dans tous les esprits et dans tous les cœurs, est la plus étonnante, — la plus stupéfiante originalité !

II

Et c’est aussi la plus funeste ! C’est cette sorte d’originalité qui retarde aujourd’hui M. Hello dans sa renommée, et qui empêchera peut-être… qui le sait ? pendant combien de temps ? son ascension dans la gloire. C’est, encore plus que son talent, l’originalité de son christianisme absolu, trop sublime pour intéresser la masse impie d’une époque qui ne comprend plus rien à l’enthousiasme d’une foi comme la sienne. Le génie tout seul, quand il se manifeste » sous quelque forme et sous quelque influence que ce soit, a toujours contre lui, de cela seul qu’il est le génie, toute la foule des médiocres et des imbéciles, qui n’en comprennent pas la beauté. Mais quand à cette épaisseur il s’en ajoute une autre, impossible à percer, celle-là ! quand à cet arcane du génie se joint l’arcane d’un sentiment religieux qui fut autrefois une chose vivante, même lorsqu’elle était haïe, mais qui est devenue une chose méprisée, indifférente, presque détruite et de plus en plus incompréhensible, on reste incompréhensible comme elle. Voilà l’histoire de M. Ernest Hello ! Il rame, depuis des années, sur les galères de la publicité, qui n’est pas pour lui comme pour nous, profanes écrivains, la publicité de l’amour-propre, mais celle de la charité, et certainement il n’a pas trouvé dans l’opinion des hommes une récompense en proportion de ses efforts et de ses travaux. Indépendamment de sa Physionomie de saints, des Paroles de Dieu et des Contes extraordinaires que je viens de rappeler, il a publié les deux traités : L’Homme et le Style, Le Jour du Seigneur ; Renan, l’Allemagne et l’athéisme au xixe  siècle ; les Œuvres choisies, mises en ordre et précédées d’une Introduction, de Jeanne Chezard de Martel ; La bienheureuse Angèle de Foligno et Rusbrock l’admirable, et tout cela, qui mériterait pourtant de retentir, n’a pas rompu le silence étendu autour de cet harmonieux nom d’Hello, si bien fait, à ce qu’il semble, pour résonner comme un clairon d’or sur les lèvres de la gloire ; tout cela n’a pas mordu sur l’esprit d’un temps éperdument sorti des voies où la pensée et la piété de M. Hello se concentrent. Ce grand mystique, qui est un grand écrivain, ignoré et déplacé dans un temps où l’esprit humain brutalisé n’est plus fier que de son sens pratique et descend chaque jour plus bas dans sa poussière., reste donc dans le désert de l’inconnu, comme Saint Siméon Stylite sur sa colonne, mais avec cette différence que des populations tout entières allaient se grouper d’admiration et de respect aux pieds du Solitaire miraculeux, comme autour d’un Prophète, pour entendre tomber ses oracles, tandis que le Saint Siméon Stylite du xixe  siècle reste sur la colonne de ses écrits, sans que la foule qui passe y prenne garde et s’aperçoive que cette colonne est rayonnante ! Triste chose ! triste temps ! temps désespérant et désespéré que celui où l’esprit humain, qui se croit entier, a fini par se mutiler de sa propre main et s’est émasculé de la plus grande de ses facultés, — la faculté religieuse. Allez ! ce n’est pas un malheur arrivé à M. Hello tout seul, que le peu de souci pris de ses œuvres par l’impiété du temps où il vit. Tout ce qui a écrit depuis trente ans avec une plume chrétienne, a subi l’outrage de cette indifférence aveugle et terrible ; et plus la plume a été chrétienne, plus l’insouciance pour l’œuvre, si belle qu’elle fût, a été complète. Brucker — le Charles-Quint de son propre esprit qu’il abdiqua — la subit, et n’en souffrit pas. Il avait pris ses précautions contre elle. Il s’était encapuchonné dans le silence résigné du moine. Mais Saint-Bonnet, qui vient de mourir et dont la mort a fait un trou dans le siècle, que personne, du reste, ne voit, ne se résigna pas comme Brucker, et ses Œuvres, malgré tout ce que j’en ai crié, sont à peine lues, même par les lettrés. Après eux, voici M. Hello, qui souffre à son tour de l’indifférence, maudite un jour par Lamennais, d’une époque qui n’aurait pas écouté Balzac lui-même, le Balzac qu’elle adore ! s’il n’avait pas mis le catholicisme de sa pensée sous le couvert de ses romans, ou s’il y en avait mis davantage. L’horrible et l’inepte oubli dans lequel est tombé Lamartine, le plus grand poète que la France ait jamais eu, vient de cet hébétement mortel du sens religieux. Consolation qui ne console pas ! Ni Saint Augustin, ni Saint Denys l’Aréopagite, ni Saint Chrysostôme, ni aucun des Pères de l’Église — qui furent les plus grands esprits de l’humanité — dont nous savons les noms, mais dont nous ne lisons plus les ouvrages, ne trouveraient maintenant une miette de gloire à ramasser pour leur génie, — ce génie qui fut consubstantiel à leur foi. Et leur successeur à distance, par l’inspiration et par l’enthousiasme ; cet Ernest Hello qui me fait l’effet d’un Saint Siméon Stylite au xixe  siècle, par l’isolement et par la hauteur, a beau le savoir, il ne prend pas, lui, si haut qu’il soit, son parti de cette accablante destinée. L’influence qui pourrait s’échapper de lui, repoussée, revient sur lui et l’écrase… Il est souvent descendu — et dans quel trouble ! — de cette colonne où ne monte pas vers lui le regard des hommes, pour se livrer à la recherche violente, haletante, presque furieuse, d’une renommée sur le désir ambitieux de laquelle tout le monde s’est mépris, — et moi-même. D’aujourd’hui seulement, on ne s’y méprendra plus. Son dernier livre vient, en effet, de révéler dans un de ses plus beaux chapitres — le chapitre de la charité intellectuelle — le secret de cette ardente préoccupation de la gloire, opposée si longtemps dans M. Hello à l’humilité calme du chrétien. Et en le lisant, ce chapitre, on comprendra enfin que ce qui semblait un vulgaire sentiment humain, traînant encore dans une grande âme dévorée de Christianisme, était, au contraire, tout ce qu’il y avait au monde de plus chrétien, puisque c’était le sentiment exaspéré d’un apostolat impossible !

III

Et cette révélation n’est pas la seule de ce livre profond, entrepris contre toutes les idées communes, et qui pourrait s’appeler, au lieu des Plateaux de la balance, le livre des révélations. Le puissant moraliste que le traité de l’Homme avait annoncé avec tant d’éclat, a persisté dans M. Ernest Hello et s’est comme spécialisé dans l’ouvrage qu’il publie. Non pas que le mystique, le mystique de ses précédentes publications s’y soit éteint ! Dans une pareille nature, il est inextinguible. Mais le mystique, à la parole perdue dans le désert d’hommes sans écho de ce monde ambiant, a dû nécessairement se détourner quelque peu des choses divines pour envisager les choses humaines qu’il voulait voir, et il les a percées d’un tel regard que le monde, inattentif et indifférent au mystique, prendra peut-être garde à l’observateur !

Il est redoutable, en effet, car il voit juste, et la justesse d’esprit mène à la terrible justice… mais il n’est pas cruel, comme la plupart des moralistes, et même comme ceux-là qui passent aux yeux des hommes pour les plus grands. Il n’a ni la tristesse du comique Molière, qui fait rire les cœurs désespérés comme le sien ; ni l’ironie froide de La Rochefoucauld contre l’égoïsme humain, la seule chose à laquelle il croie et veuille nous faire croire ; ni la misanthropie féroce de Chamfort, dont la bouche saigne des morsures qu’elle fait. M. Ernest Hello est un moraliste d’un autre ordre et d’un autre accent que ces moralistes blessés qui, en la jugeant, se vengent de la vie. Il n’a point à se venger d’elle. Dans l’absorption religieuse où il a vécu, il ne s’est pas, comme eux, déchiré aux dures réalités de ce monde et il n’a pas, comme eux, l’âpre ressentiment qui donne à leur talent et à leurs œuvres cette saveur amère que recherche et qui tonifie la faiblesse de nos cœurs froissés… L’auteur de ces Plateaux de la balance est bien plus le moraliste de l’esprit que le moraliste du cœur. Il s’occupe bien plus des erreurs de l’intelligence que des vices de l’âme. Il sait qu’en tombant dans la sphère de l’action et de la volonté, les erreurs de l’esprit deviennent toujours immanquablement les vices du cœur, et ce sont ces erreurs de l’esprit sur lesquelles il porte aujourd’hui le coup de hache de son regard.

IV

Faits de dix-neuf chapitre s, ou, comme on dit maintenant, dans ce temps de journalisme et d’éparpillement, d’articles qui peut-être ont passé dans quelque Revue catholique où leur beauté, cette beauté fatale des choses chrétiennes, a été étouffée dans l’obscurité qui est présentement leur destin, ces Plateaux de la balance n’ont pas d’autre unité que l’âme de leur auteur, et c’est cette âme, enthousiaste comme on ne l’est plus et qui palpite partout en cette dispersion de sujets différents, qui les relie entre eux et en fait un livre. Dès la première ligne de sa préface, l’auteur des Plateaux de la balance explique ce titre, que je n’aime pas, quoique j’aime ce qu’il veut exprimer puisque c’est la Justice, « J’ai eu » — dit-il, de ce ton d’autorité majestueuse qu’il a gardé de sa familiarité avec les Livres Sacrés, réverbérés à chaque instant dans les formes de son langage, — « j’ai eu faim et soif de la Justice. J’ai voulu la faire ; j’ai voulu la penser ; j’ai voulu la parler ; j’ai voulu mettre à leur place les hommes et les choses ; j’ai voulu prendre leur mesure et la donner… J’ai promené la balance à travers le monde intellectuel, n’ayant qu’un poids et qu’une mesure, et j’ai laissé les plateaux monter et descendre comme ils voulaient, abandonnés aux lois de l’équilibré… Les chapitres de ce livre ne sont pas juxtaposés par une unité mécanique, mais ils sont liés, si je ne me trompe, par une unité organique, et cette unité, c’est la faim et la soif de la « Justice. » Et comme le mystique ne s’éteint jamais, ainsi que je Fai dit, dans M. Hello, même dans les sujets, à ce qu’il semble, le moins mystiques, il ajoute : « La faim et la soif courent où elles veulent, et je les ai laissées courir. La faim et la soif sont les symboles du Désir, et le Désir est le précurseur de la Justice… Quiconque a le Désir en lui, a la Justice devant lui, comme le pain de sa faim et le vin de sa soif. » Et, quelques lignes plus bas, il ajoute encore : « J’ai voulu élever la Critique assez haut pour qu’elle pût cesser d’être une irritation. » Tels l’esprit, l’essence, l’unité organique (comme dit M. Hello) d’un livre qui va nous promener parmi les hommes et les choses du monde contemporain, et nous donner sur eux et sur elles ridée qu’il faut en avoir et le sentiment qu’ils doivent inspirer.

Eh bien ! cela seul, cette visée, fût-elle chimérique, d’élever la Critique assez haut pour qu’elle cesse d’être une irritation et, comme dit encore le mystique écrivain dans sa langue mystique, pour que l’œuvre du Désir et de la Justice conduise à la Paix, cette visée inattendue établit d’emblée une différence des plus tranchées, — une différence absolue entre l’auteur des Plateaux de la balance et les autres critiques et moralistes connus. Ils ont aussi, eux sinon la faim et la soif, au moins le sentiment de la Justice, car on ne juge que pour faire justice, et tout moraliste est un juge ; mais pour la plupart, si ce n’est pour tous, l’arrêt une fois prononcé, le vice flétri, le faux démontré, la sottise livrée au ridicule, — son bourreau, — le moraliste, dans la mesure de son talent, a fait son œuvre. Seulement, l’auteur des Plateaux de la balance ne croirait pas pour si peu avoir fait la sienne. Il ne veut pas s’enfermer, lui, dans un si étroit horizon ; il va au-delà. Il ne s’en tient ni à la simple observation des choses humaines, si formidable qu’il puisse l’exercer, ni au sévère plaisir du penseur qui pénètre dans le fond de l’âme et lui arrache sa vérité, ni à l’art qui enchâsse cette vérité, arrachée de l’âme, dans des pages plus ou moins dignes d’être immortelles. Le chrétien, plus fort encore que l’observateur et que l’artiste, se mêle à tout, dans M. Hello, pour tout dominer. Et ce n’est point le chrétien à la manière de La Bruyère, par exemple, — cet autre moraliste, qui fut un chrétien comme les grands esprits de son temps, — qui le fut tranquillement, solidement, une fois pour toutes ? mais qui regarda souvent les choses humaines par-dessus son christianisme. Non ! c’est le chrétien comme l’est M. Hello, qui voit tout à travers le sien, le chrétien enflammé du livre des Paroles de Dieu et qui, pour la première fois, dans la Critique, s’efforce d’introduire l’onction, l’apaisement et le ciel de sa mysticité.

Et ne croyez pas que la sagacité de sa critique en soit diminuée ! Il n’en ôte que l’acerbité. Qu’elle soit humaine, sociale ou littéraire, la critique de M. Hello est toujours d’une vigueur de regard incomparable. Je n’en connais pas qui voie les choses sous un angle de lumière plus hardiment ouvert et plus large. Il n’y a nulle trace ici de La Rochefoucauld et de La Bruyère ; M. Ernest Hello, je l’ai dit au commencement de ce chapitre, ne procède de personne. Il ne se ramasse pas en petits pelotons d’idées et ne se condense pas en Maximes comme La Rochefoucauld, et il a plus d’étendue et de profondeur que La Bruyère, qui n’est, après tout, qu’un portraitiste, éclatant de couleur comme une tapisserie des Gobelins. M. Ernest Hello pense plus qu’il ne peint. Il est plus métaphysicien, plus théologien, plus creusé, plus à fond, d’idées générales plus hautes, plus arrêtées et plus fermes que le brillant auteur des Caractères. Dans les chapitres de son livre, qui n’a que des chapitres et dont l’unité n’existe que dans la personnalité très particulière de l’auteur, ceux-là qui sont intitulés : La Lumière et la Foule, Les Ténèbres et la Foule, Les Sables mouvants, Les Préjugés, Les Caractères, Les Passions et les Âmes, La Charité intellectuelle, sont de ces choses qu’il est difficile dénommer, parce qu’elles n’ont pas d’analogue en littérature… Le côté que j’oserai appeler le côté divin de cette critique, échappera sans nul doute à ceux qui ont le mépris insolent et bestial du mysticisme de l’auteur. Mais le côté humain ravira tout le monde, même les ennemis de ce mysticisme, s’ils ont quelque race et quelque aristocratie intellectuelle. Et, en effet, c’est la détestation du vulgaire et la chasse aux idées communes. Il en est fait dans ce livre une curée superbe. Jamais on ne les a mieux massacrées. Ce mystique les prend les unes après les autres, et il les creuse jusqu’au tuf, avec une verve de vilebrequin merveilleuse, jusqu’à ce qu’il n’en reste absolument rien sous son implacable vilebrequin.

V

Cette puissance dans la critique de M. Hello serait franchement et chaudement admirée — je n’en doute pas — si elle y était seule, et si elle n’avait pas à côté d’elle une autre puissance, qui paraît aux sagesses de ce siècle une infirmité. Le mysticisme, cet état si spécialement élevé dans la croyance religieuse et ses surnaturelles illuminations, est tout ce qui doit faire le plus horreur, si ce n’est mépris, à la raison définitive de messieurs les hommes. Si, demain, M. Ernest Hello, par le fait d’une volonté qu’il n’aura pas, puisqu’il est un mystique, — quand Lamennais apostasia il n’en était pas un ! — pouvait soudainement renoncer à ce mysticisme qui est la vie de son cœur et de sa pensée et fouler aux pieds le flambeau à la lueur divine dont la clarté n’éclaire que lui, vous verriez le sourire s’arrêter sur les lèvres impertinentes des sceptiques, l’éclat de rire bête ravalé par la bouche ouverte des incrédules et des blasphémateurs ! Les hommes accepteraient avec applaudissement ce livre, dont il aurait éteint la flamme et enlevé la plus belle moitié, même en clairvoyance, et ils y applaudiraient d’autant plus que ce serait une apostasie ! Du coup, ce fou d’Hello, comme ils l’appellent peut-être, s’ils ont essayé de lire ses ouvrages, monterait de vingt-cinq crans dans leur estime. Il prendrait à leurs yeux des proportions incontestables, et ils en vanteraient les qualités, délicieusement goûtées par eux. Alors Hello, ce fanatique de gloire, non pour lui, mais pour ses idées, parce que la gloire serait pour elles une toute-puissante propagande, aurait de cette gloire désirée, convoitée, poursuivie en vain, autant qu’il en faudrait pour satisfaire l’orgueil d’un homme qui n’aurait plus que de l’orgueil.

Mais, malheureusement pour la sagesse et l’orgueil des hommes, l’auteur à l’enthousiasme sacré du livre Les Paroles de Dieu, cette perle jetée sur le fumier du siècle aux porcs qui ne la ramassent pas, restera le mystique Hello, dans sa nuit invisible de flamme, avec son amour, son enthousiasme et sa foi ! Il restera méconnu, inconnu ; connu ; et de ce que la gloire, qu’il a attendue si longtemps, ne lui vient pas, il se mettra à genoux une fois de plus, et ce sera tout ! Pourquoi ce qui fut facile au grand poète du Paradis perdu, qui prit son mâle parti de l’obscurité, ne serait-il pas facile à un mystique qui est sur la terre exclusivement le poète de Dieu ?… Et, s’il doit souffrir de ce manque de gloire comme il en a déjà souffert, eh bien ! il en souffrira ; mais qu’y faire ? Il faut avertir toute la littérature chrétienne qu’elle est livrée aux bêtes, et à des bêtes qui n’en veulent pas ! Pour les attardés qui parlent encore de Dieu, et qui bourrent leurs livres de ce vieux fagot avec lequel les hommes ne veulent plus se chauffer, il n’y a désormais, par ce temps sans Dieu, que l’enterrement vivant du silence, et le sacrifice des œuvres les plus belles et les plus pleines de lui, à brûler comme un dernier encens sur l’autel secret des Catacombes !