(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 424-425
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 424-425

Vernes, [Jacob] Pasteur d'une Eglise de Geneve, né en Languedoc en 17..

J.J. Rousseau & nos autres Philosophes n'ont point eu jusqu'ici d'adversaire plus vigoureux & plus adroit. Ses Lettres sur le christianisme de l'Auteur d'Emile, & son dernier Ouvrage, intitulé Confidence philosophique, sont les fruits d'une raison lumineuse & du vrai talent, si nécessaire lorsqu'il s'agit de faire triompher la vérité & de confondre l'erreur. Il seroit difficile de présenter sous un jour plus frappant les dangers des maximes de nos Celses modernes, la folie de leurs systêmes, & les contradictions perpétuelles de leurs demi-idées, qu'on l'a fait dans ce dernier Livre, dont l'Auteur vient de publier une nouvelle édition augmentée de plusieurs traits capables de lui donner un nouveau prix. La Philosophie du Siecle y est mise en action & ridiculisée par une apologie ironique de ses principes les plus dangereux, fidélement puisés dans les écrits de ses Apôtres. « Si le style d'un Etranger pouvoit être celui de Pascal, dit un ami de l'Auteur, ce Livre, mieux fondé en preuves que les Lettres Provinciales, n'eût pas été moins redoutable aux Philosophes du jour, que celles-ci ne le furent aux Jésuites ». Depuis Pascal, en effet, on n'a rien écrit de plus piquant dans ce genre, que ces douze Lettres. Il faut sur-tout renvoyer nos ingénieux Mécréans à celle d'un prétendu Militaire à un jeune Impie, placée à la fin de l'Ouvrage, pour les mettre à portée de juger sainement du cas qu'on doit faire de la déplorable gloire attachée à la Philosophie. C'est dommage que ce Livre, dont l'idée est si heureuse & qui renferme tant d'excellentes choses, puisse devenir dangereux à quelques égards, faute d'être assez décidé dans le ton qu'on a choisi pour le rendre intéressant. L'Auteur, en employant l'ironie, ne la marque point assez, & ne s'est pas assez attaché à la faire sentir. Il est arrivé de là, que de petits Esprits, qui se mêlent cependant de décider, ont pris pour des éloges ce qui n'étoit dans le but de l'Ecrivain qu'une satire des ridicules systêmes qu'ils avoient follement adoptés.

Ce défaut moins sensible dans la seconde édition, est vraisemblablement ce qui a empêché le Gouvernement de permettre le débit de ce Livre, & l'a privé de la plénitude du suffrage des honnêtes gens. Après tout, ce défaut est facile à corriger, & nous exhortons M. Vernes à le faire disparoître entiérement, & pour le succès de ses bonnes intentions, & pour l'intérêt de sa gloire.