Conclusion
Voilà, mon ami, tout ce que j’ai vu au Salon. Je vous l’écris au courant de la plume. Corrigez, réformez, allongez, raccourcissez ; j’approuve tout ce que vous ferez. Je puis m’être trompé dans mes jugements, soit par défaut de connaissance, soit par défaut de goût ; mais je proteste que je ne connais aucun des artistes dont j’ai parlé, autrement que par leurs ouvrages, et qu’il n’y a pas un mot dans ces feuilles que la haine ou la flatterie ait dicté. J’ai senti, et j’ai dit comme je sentais. La seule partialité dont je ne me sois pas garanti, parce que franchement je ne sais pas comment on s’en garantirait, c’est celle qu’on a tout naturellement pour certains sujets, ou pour certains faire.
Vous aurez sans doute remarqué, comme moi, que quoique le Salon de cette année offrît beaucoup de belles productions, il y en avait une multitude de médiocres et de misérables, et qu’à tout prendre, il était moins riche que le précédent ; que ceux qui étaient bons, sont restés bons ; qu’à l’exception de La Grenée, ceux qui étaient médiocres, sont encore médiocres, et que les mauvais ne valent pas mieux qu’autrefois.
Et surtout, souvenez-vous que c’est pour mon ami, et non pour le public que j’écris. Oui, j’aimerais mieux perdre un doigt que de contrister d’honnêtes gens qui se sont épuisés de fatigues, pour nous plaire. Parce qu’un tableau n’aura pas fait notre admiration, faut-il qu’il devienne la honte et le supplice de l’artiste ? S’il est bon d’avoir de la sévérité pour l’ouvrage, il est mieux encore de ménager la fortune et le bonheur de l’ouvrier. Qu’un morceau de toile soit barbouillé, ou qu’un cube de marbre soit gâté, qu’est-ce que cette perte en comparaison du soupir amer qui s’échappe du cœur de l’homme affligé ? voilà de ces fautes qui ne méritèrent jamais la correction publique. Réservons notre fouet pour les méchants, les fous dangereux, les ingrats, les hypocrites, les concussionnaires, les tyrans, les fanatiques et les autres fléaux du genre humain ; mais que notre amour pour les arts et les lettres, et pour ceux qui les cultivent, soit vrai et aussi inaltérable que notre amitié.