Tencin, [Claudine-Alexandrine Guerin de] sœur du Cardinal de ce nom, née à Grenoble, morte à Paris en 1749.
De la Vie monastique elle passa dans le monde, à la faveur d'un Bref du Pape, & s'engagea dans la Vie littéraire, pour laquelle elle parut avoir plus de vocation. Sa maison fut constamment le rendez-vous des Gens de Lettres, qui, à ce titre, étoient assurés d'être bien accueillis. A force de voir des Auteurs, elle voulut le devenir à son tour. Cette émulation a produit le Siége de Calais, le Comte de Comminges, & les malheurs de l'Amour, trois Romans, dont le premier est, sans contredit, celui qu'on lit avec le plus de plaisir. Voici ce qui lui donna envie de le composer.
On avoit beaucoup parlé de Romans dans sa Société. On se plaignoit d'y trouver une marche & un dénouement trop uniforme, des Héros toujours amoureux & toujours sages. [Nos Romans modernes, fruit du libertinage de l'esprit & de la corruption des mœurs, n'avoient pas encore osé paroître.] Madame de Tencin prétendit qu'il étoit possible d'en composer un décent, en le faisant commencer à peu près où les autres finissent. Cette idée fut combattue, & la Dame promit de la réaliser, ce qu'elle fit dans le Siége de Calais. Elle ne tint pas tout à fait sa promesse, au moins quant à la décence ; mais on y trouve de l'art, de la délicatesse, le ton de la bonne Compagnie : agrémens cependant peu capables d'intéresser dans un Roman dont la vertu n'est pas le fondement, surchargé d'ailleurs d'épisodes & d'incidens peu vraisemblables.
Nous ne parlerons pas des anonymes Productions de Madame de Tencin.
On se ressouvient encore de l'empire que cette Dame exerçoit sur les Auteurs qu'elle recevoit. Elle les appeloit ses Bêtes, & proposa un jour à un Seigneur qui étoit venu la voir, le matin, de dîner avec sa Ménagerie. Le goût de ces sortes de Ménageries n'est pas tout à fait passé ; les Bêtes, qui les composent, sont même plus soumises, plus apprivoisées que celles qui existoient du temps de Madame de Tencin ; mais, il faut en convenir, les nouvelles Surintendantes ne sont pas, à beaucoup près, ni aussi prévoyantes*, ni aussi agréables.