(1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »
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(1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Paris, le 8 avril 1886.

Chronique du mois

L’événement de la saison a été, outre l’exécution de la Cloche de M. d’Indy sur laquelle nous aurons à revenir, l’exécution du premier acte, presque entier, de la Walküre, au concert-Lamoureux. Ainsi s’est de nouveau présentée la question de l’audition d’œuvres Wagnériennes au concert. A en juger d’après l’impression du public, il ne paraît pas que ces transpositions du drame Wagnérien dans une salle de concert soient bien fâcheuses : aux quatre auditions du premier acte de la Walküre, public nombreux, attentif, ému, finalement enthousiaste ; succès sans conteste. Qu’annonce-t-on en effet au public ? Un drame musical, donc une œuvre de musique dont la musique est motivée par les péripéties d’une aventure ; or, un scénario enseigne l’aventure aux auditeurs, les paroles que les interprètes chantent en français notent les moments de l’aventure ; comment alors ne pas suivre et saisir parfaitement le sens littéraire de la musique, la signification du développement émotionnel qu’est le drame musical ?

Nombre de critiques et d’amateurs, crus ardents Wagnéristes, protestent : — et l’action scénique, la mimique, le décor ? : la plastique n’est-elle pas indispensable à la compréhension du drame Wagnérien ?… le drame n’est-il fait pas pour le théâtre ?…

Certes, la joie serait grande si, tandis que la musique déroule les émotions d’où naissent les paroles, nous avions devant les yeux, en une correspondance parfaite, le tableau où les émotions, symbolisées dans une forme plastique, se renforceraient d’une vie nouvelle ;, la vie plastique. Tous, nous avons rêvé un Bayreuth idéal.

Aujourd’hui, nous avons ce choix : — ou bien un théâtre, des décors, des acteurs : des demi trompe-l’œil, l’apparence d’une forêt et les planches, ni convention pure, ni représentation artistique complète de la nature ; et les acteurs, des hommes nécessairement difformes, incapables de faire admettre qu’ils sont les dieux qu’ils singent, et ne nous laissant plus qu’ils sont simplement des porte-parole ; avec les décors de notre Opéra et les acteurs de Meiningen, un compromis entre une convention et une réalité, le faux par définition ; — ou bien le concert, c’est-à-dire nulle prétention de représentation, mais le champ libre à la conception, l’espace grand ouvert à la réalité supérieure des forêts et des hôtes divins qu’en nous suscitera l’imagination : car cette musique c’est un décor, la nuit est dans la musique où Siegmund solitaire contemple le foyer éteint, et cette musique c’est encore les personnages, je vois (et combien plus beau que M. Niemann !) Siegmund debout, arrachant la miraculeuse épée, quand l’orchestre répand ses prodigieuses fanfares ; et, les yeux fermés ou les yeux ouverts, pendant que chante la musique et que les paroles résonnent portées par des voix aussi absolument abstraites que les instruments de l’orchestre, volontiers nous localisons paroles et musiques, et, bien aisément, spontanément, nous recréons votre action scénique, votre mimique, vos décors et tout le drame.

Le public qui, à l’Eden-Théâtre, semblait comprendre si intelligemment les développements émotionnels du drame Wagnérien, regrettait-il l’absence des splendeurs théâtrales et des mines de nos tragédiens lyriques ? — Pas un opéra ne réussit plus depuis nombre d’années ; les théâtres de musique vivent de vieilles renommées et d’accessoires chorégraphiques : au contraire les entreprises symphoniques prospèrent. N’est-ce point que l’on commence à se désintéresser des demi-conventions dramatiques ? Le public qui applaudissait à une audition de la Walküre, ne se contentait-il pas déjà de cette puissance que lui donne pleinement la musique, de refaire le drame, mais glorieusement, selon la musique et l’âme Wagnérienne, non selon les inspirations du premier machiniste et du premier ténor ?

Une chose pourtant est encore défectueuse aux concerts de l’Eden-Théâtre, comme à tous les concerts. Il faudrait que la musique de Wagner fût exécutée exactement : or, la disposition de l’orchestre n’est pas celle qu’a voulue Wagner. Une sonnerie de trompes de chasse n’est plus la même entendue à deux mètres ou à deux kilomètres. La musique de la Tétralogie doit être entendue avec une disposition spéciale de l’orchestre : d’abord, les cuivres en bas, non en haut ; puis, l’orchestre atténué par une sourdine ; enfin, les voix en dehors et au-dessus.

 

Pour des raisons d’usage sans doute, M. Lamoureux n’a pas encore adopté ce système : donc on n’entend point comme on devrait entendre.p

Une autre faute a été le déséquilibrement terrible apporté à l’œuvre. Après l’avoir fait étudier à l’orchestre, M. Lamoureux a décidément retranché du premier acte de la Walküre la scène de Hunding. Passe encore que d’un deuxième acte de Tristan on supprime la dernière scène : un corps sans jambes se conçoit : mais un corps sans torse, la tête à la place du ventre, cela se conçoit-il ? — Le malheur est que la première scène de la Walküre, presque nulle psychologiquement, ne sert qu’à amener la seconde, et que le contraste de cette même scène ajoute beaucoup aux lumières et aux ors de la dernière.

M. Lamoureux a très finement le sens de la chose artistique : il veut une forme parfaite, et, dans son art spécial d’interprète, étant directeur de musique, il veut une interprétation parfaite des musiques qu’il admet à ses concerts. Comment y réussit-il ? à côté des grands directeurs d’orchestre allemands, à quel résultat arrive-t-il dans l’interprétation de l’œuvre Wagnérienne ? — grave interrogation, qui préoccupe ceux ayant besoin d’entendre exécuter la musique Wagnérienne, et qui nous sollicite par son puissant intérêt d’actualité : peut-être le concert tout Wagnérien du Vendredi-Saint, le dernier de la saison, sera-t-il, en même temps qu’une occasion, un document de plus pour que dans un mois nous abordions cette question, à la veille justement des grandes solennités musicales de Bayreuth.

Mais on doit toujours dire que les exécutions de l’Eden-Théâtre ont été des merveilles de précision et de communicative chaleur. Ainsi, pour le public parisien, mieux que ce n’eût été dans une salle de spectacle quelconque, cette première fois a vécu l’épopée du premier acte de la Walküre, —-l’une des plus brillantes pages du Maître, certes des moins affinées, des moins émotionnelles, grossière même en sa psychologie rudimentaire. En son intérêt anecdotique de romancero, de moins bon aloi avec ses gros effets de mélodrame à coups d’épée, œuvre de facile succès, mais hardie, vibrante, resplendissante et superbement menée, et débordant de cet entrain prestigieux de sensualité qui était la moitié du génie de Wagner.

La Mort de Richard Wagner par Algernon Charles Swinburneq

I

Lamentation de la Terre, comme alors que les taciturnes heures descendent

Large-ailées par les pestes, du Ciel ! comme alors que l’Espoir et l’Allégresse

Pâlissent et que nulles lèvres ne blâment et ne répréhendent

      La lamentation de la Terre !

 

L’âme, où les chants de Mort ou de Naissance,

De Ténèbres ou de Clartés universelles avaient l’accoutumance

  de résonner et s’emmêler,

Silencieuse à cette heure, laisse le monde entier diminué de valeur.

 

Souffles faisant surgir gémissements ou triomphes, Cieux chancelants,

Tonnerres des remous de marée dans les gouffres et les golfes,

Parlaient dans l’Esprit du verbe de Celui dont la mort fait descendre

      La lamentation sur la Terre.

II

Le grand cœur de la Terre, d’où toutes choses étranges et rares Prennent forme et verbe afin que chaque atome inséparé

Puisse porter sa partie dans tout l’accord des pensées qui partagent

      Le grand cœur de la Terre. 

Les Forces jaillissantes, d’où comme les coursiers qui s’élancent,

Bondissent les puissances du sol, du feu et des airs,

Les mers qui refluent et les fleuves qui s’écoulent

 

Prirent voix, — transformés en chant … oui, toutes choses

Avec toutes leurs œuvres reçurent de par son art magistral

Un verbe pareil à celui des Forces dont la voix met à nu

Le grand cœur de la Terre.

III

Des profondeurs de la Mer, des artères intimes de la Terre,

Des solitudes vastes et obscures de Minuit,

Des sources ténébreuses des orages et des tonnerres,

Des hauteurs où l’âme aspire à être, Le charme du magicien de l’harmonie évoqua un Esprit, comme une Clarté anonyme,

    Des profondeurs de la Mer.

 

Telle qu’une vision éthérée des creux de l’Océan, que nul qu’un dieu ne peut voir,

S’éleva hors du silence des choses ignorées une Présence, une Forme, une Force, Et nous écoutâmes, comme un Prophète écoute un message du

  Très-Haut tonnant et ne peut fuir.

 

L’œil ne pouvait l’endurer, mais l’oreille et le cœur, avec une extase de délices ténébreuses,

Avec une terreur et un émerveillement dont les racines étaient la joie et la force de la pensée mise en liberté, Percevait le surgissement d’un arrêt divin, comme une aube ensoleillée surgissante aux regards,

      Des profondeurs de la Mer.

                traduit par Tola Dorian

L’art aryen

Récemment, voulant représenter Lohengrin à Paris, le directeur du théâtre parisien de l’Opéra-Comique est venu en Allemagne étudier le style Wagnérien. — Pourquoi tant de façons, ont certes demandé maints Français ; pourquoi ne pas monter Lohengrin comme autrefois on a monté Don Juan, le Freischutz, et aussi ce Tannhaeuser du même compositeur ? pourquoi tout ce dérangement à propos de Lohengrin ? — légitimes question s’il ne s’agit en effet que d’une nouveauté d’opéra ou d’opéra-comique allemande. Mais il s’agit de plus. Les Français qui ont entendu la musique de Wagner le sentent déjà. Qu’il soit pourtant permis à un Allemand, à un compatriote de Wagner, d’expliquer ce que signifie à ses yeux l’introduction de la musique de Wagner sur la scène française.

Cette fatale représentation de Tannhjeuser à Paris en 1861 ne peut être considérée comme un commencement ; elle a été une plante sans racines, importée par l’ordre de l’empereur Napoléon, détruite par le Jockey-Clubr. L’art de Wagner n’admet point de ces procédés arbitraires. Il est un art plus qu’exclusivement allemand ; il est une nécessité de l’esprit moderne : il ne peut donc prospérer que là où cette nécessité est sentie. Dans la France de 1861 on ne pouvait encore y penser : Tannhaeuser y fit ce pèlerinage de Rome parce qu’on l’y envoya ; mais il dut s’en retourner sans rien avoir obtenu, parce que « le bâton ne se couvrit pas encore de feuilless ». Aujourd’hui, après vingt-cinq années, le miracle s’est accompli, — l’apparition du printemps après l’hiver ; le moment est arrivé pour l’esprit artistique français, où nécessairement le printemps doit venir. Ainsi, il y a soixante à soixante-dix ans, la poésie romantique est venue de ses branches fleuries balayer le classicisme mort. Le mouvement sortait alors également d’Allemagne ; de là Werther de Goethe fit son chemin jusque dans la poche du Petit Caporal ; là naquit la compréhension de Shakespeare qui pour Voltaire n’avait été qu’un sauvage ivre : là Madame de Staël trouva son livre de l’Allemagne ; la semence étant mûre, germa le nouveau génie français ; en 1827, Victor Hugo publiait son Cromwell ; en 1830, la victoire de la poésie romantique était décidée. Mais, presque en même temps, revenait à la surface de la vie européenne le démon de la politique, sous son costume du révolutionnaire moderne. Le monde politique de 1830 à 1880 faisait l’art à son image ou lui marquait sa place dans les boudoirs et les théâtres d’opérette ; le monde moderne cherchait son idéal ailleurs que dans l’art idéal : les poètes romantiques n’avaient aspiré qu’à faire avant tout et librement l’art idéal vivant, mais la vie, devenue encore plus libre, avant tout se consacrait à la politique, non à l’art. Cependant, l’esprit humain fut plus sage que les hommes ; durant cette longue campagne hivernale, il préparait le printemps là où chaque année il naît avec le soleil à l’est. En Allemagne, de 1830 à 1880, se développait le génie de Wagner : d’artiste il devenait le maître de l’œuvre d’art de l’avenir. En lui nous trouvons, si nous le considérons attentivement, l’art idéal animé, sous une forme sévère et classique, de la plus riche vie romantique ; car la vie romantique, cette âme joyeuse de la nature, qui ne peut et ne veut parler qu’artistiquement, n’est en son essence pas autre chose que la musique. Mais, aussitôt que les hommes ne sont plus obsédés par la seule politique qui les sépare entre eux, aussitôt qu’ils commencent à de nouveau sentir en eux le besoin de la profonde et vraie musique, ils sont dans le chemin de regagner cette pure harmonie qui unit les peuples comme des hommes-frères, — cette harmonie que Beethoven célébrait dans le chœur final de la neuvième symphonie, et sur laquelle Wagner a érigé son drame de musique.

L’art de Wagner marche vers ce désir, encore en maint lieu inconscient mais partout existant, de l’harmonie ; car il se manifeste aujourd’hui, depuis la grande victoire de Parsifal et à la face du monde entier, comme l’art de l’avenir ; et il est l’art dont a besoin le présent pour se faire l’avenir, au sens d’une humanité idéale. Si l’âme qui vit dans cette musique est l’âme ce l’harmonieuse fraternité des peuples, c’est qu’elle est l’âme de l’homme idéal, — de l’homme absolument naturel, franc, vrai, fort et grand, et qui à la fois dans la plus parfaite manifestation de son être est beau, digne et plein d’amour, parce qu’il est artiste et parce que l’exprimer est l’objet même de toute harmonie. Et, que nous soyons Français, Allemands, Italiens, Espagnols ou Russes, cet homme idéal s’éveille en nous dès que, entendant une musique pareille à celle de Wagner, nous sentons qu’elle exprime les plus intimes battements de notre cœur propre. Or, voici que déjà les âmes françaises commencent à éprouver ce sentiment, et à en prendre conscience : l’espoir commence en même temps d’une entente prochaine ; et il semble presque que tout le triste spectre de la politique ait eu pour seul but de mener ces deux peuples qui signifient le monde, — les Romains et les Germains, — au point où ils pourraient se connaître. Ils devaient sans doute s’opposer dans une opposition définitive pour se pouvoir enfin regarder plus librement, au-delà de la comédie politique, pour se regarder jusqu’à ce qu’ils se soient reconnus frères d’une même maison. Entre l’Allemagne et l’Autriche, naguère, des relations malsaines et menteuses devaient aboutir à une franche séparation, pour permettre aux deux peuples, après une explication acharnée mais loyale, d’apprendre enfin à se supporter, estimer et aimer : le même fait se doit produire entre les peuples de la France et de l’Allemagne, mais en des proportions infiniment plus grandes ; et il sera d’autant plus important pour la marche de l’histoire vers l’avenir idéal. Quand viendra l’heure de cette reconnaissance dernière, seuls le savent les dieux qui veulent cette solution !

Cependant cette solution serait impossible s’il n’y avait déjà un lien entre les deux peuples. Déjà entre toutes les nations de l’Europe existe un lien incontestable et qui peut faire espérer cette harmonie finale. On pourrait dire, semble-t-il, que ce bien consiste en ce que tous les membres de ces nations sont également des hommes : mais les Français et les Chinois, les Nègres du Congo et les Prussiens sont tous également des hommes, et, cependant, combien l’espoir d’une harmonie entre ces races est peu concevable ! Ce lien qui unit tous les Européens est-il donc en ce que tous sont chrétiens ? — La main sur le cœur, chers frères d’Europe, sommes-nous tous chrétiens ? Assurément, notre civilisation européenne contient des éléments chrétiens : mais ces éléments ont été, dès le début, profondément emmêlés à des éléments juifs ou gréco-romains, tout à fait étrangers au pur christianisme de notre Sauveur. C’est ainsi que notre civilisation européenne semble aujourd’hui païenne bien plus que chrétienne ; n’en est-ce point une preuve, cette nécessité pour les deux nations de ne pouvoir arriver à l’harmonie qu’à travers les carnages de batailles cruelles ?

Non, les peuples européens ne sont pas encore chrétiens ; sont-ils donc pareils en ce qu’ils sont hommes issus d’hommes ? Nous devons avouer que l’homme absolu n’existe pas dans la nature. L’homme naît seulement dans une famille, une maison, une nation, une race ; à ces origines il appartient corps et âme ; et tout homme qui appartient à une autre origine est séparé de lui par des barrières que la nature seule ne pourrait jamais aplanir. L’homme absolu n’est qu’une abstraction. Mais on peut concevoir comme concret et vivant l’homme idéal : il est un être indépendant et moral, le but de notre développement intellectuel, le résultat — aujourd’hui rêvé seulement — de tout notre progrès intérieur. Les Européens ne sont donc point parents parce qu’ils sont tous des hommes : mais parce qu’ils sont parents ils peuvent devenir des hommes, ces hommes idéals que l’art seul peut maintenant réaliser ; et ces hommes idéals, dans la vie réelle, ne pourront être autre chose que des chrétiens.

Mais en quoi consiste cette parenté naturelle des Français et des Allemands, nous autorisant ainsi à espérer qu’ils réaliseront un jour l’idéal de l’homme et du chrétien ? En ce que, s’ils diffèrent par la famille, la maison, la nation, ils sont au moins sortis d’une race commune. Cette race qui nous relie est la race Aryenne. Son nom signifie « les harmonieux » (ar : harmonieux), ou « les fidèles », ou encore, puisque la fidélité était l’honneur de cette race, « les honnêtes ». Trois fois la race Aryenne en Asie s’est divisée. D’abord elle s’est mêlée au nord avec des Mongols, puis avec les Nègres et les Malais au sud ; enfin les plus pures tribus de l’ancienne race sont venues en Europe, Parler d’une humanité européenne, c’est parler seulement de la race Aryenne : car en elle consiste la seule unité de ces peuples, promettant l’entente future. En Europe les Aryens se sont encore mêlés : au nord avec des Mongols, au sud avec des Sémites ; les races Slaves et Romanes sortirent de ces mélanges. Elles auraient péri, par l’impureté de leur sang, si près d’eux, un reste du vieux sang Aryen ne s’était conservé entièrement pur pour les fortifier. Ces derniers Aryens furent surnommés par les Romains Germani (frères). Etaient-ce donc les frères des Romains ? Leur parenté première avait été depuis longtemps oublies ; les Romains étaient sémitisés par le sang, hellénisés par l’esprit : or les Hellènes eux-mêmes, depuis la chute de Lacédémone, n’étaient plus de purs Aryens. Non, les Germains étaient frères des Gaulois : et les Romains le savaient clairement. Les Gaulois, surnommés Celtes ou Héros, étaient les gardes avancés, les derniers Aryens obstinés à défendre le monde contre la domination romaine. Il y avait encore une arrière-garde, qui, spontanément, a fait de curieuses campagnes : ce sont les Norvégiens, qui se nommaient aussi les Héros, Wikings. Entre eux et les Gaulois s’étendait le inonde germain. Habituons-nous à ne pas confondre ce mot avec le mot d’Allemagne ; l’Allemagne n’est qu’une partie du monde germain ; le monde germain comprend tout ce qui en Europe a conservé pur le sang Aryen. Les vieux Gaulois ont contracté des mélanges dangereux avec des survivants Mongols de l’Europe pré-aryenne que l’on a aussi nommés Celtes et qui sont presque toujours confondus avec les Celtes gaulois, encore que nul ne prendra le héros Vercingétorix pour issu d’une race irlandaise ou de Cornouailles. Mais, plus intensément encore, les Gaulois se sont mélangés aux conquérants de leur pays, les Romains ; ils sont devenus des Romans. Sans doute ils étaient loin de ressembler aux Italiens de Rome ou aux Espagnols de Sagonte ; peut-être y seraient-ils parvenus, si, à deux ou trois reprises, les vieux Aryens n’étaient venus raviver leur sang.

Dans un pays de forêts, au milieu de l’Europe, une tribu guerrière de la vieille race asiatique s’était conservée presque intacte du sémitisme romain. De là sortaient, après les premières rencontres avec les Romains sur les frontières du pays, maintes invasions très violentes ; c’était la suite naturelle des vieilles migrations Aryennes. Ainsi, peu à peu, dans le courant des siècles, le sang Aryen imprégna de nouveau les hommes de cette partie du monde. Ainsi les Goths, les Lombards et les Normands le portèrent en Italie jusqu’en Sicile ; les Goths et les Normands à travers les steppes slaves de l’est, les Danois, les Anglo-Saxons et les Normands dans les Iles Britanniques ; les Goths, les Suèves, les Vandales en Espagne et jusqu’en Afrique ; les Goths, les Francs, les Burgondes, les Normands aux peuples gaulois, romanisés mais encore demeurés frères. Toutes ces peuplades émigrantes n’étaient que des branches du même vieux tronc, de cette tribu Aryenne qui, en Europe, fut nommée Germaine. Les Allemands n’existaient pas encore ; les Alémans étaient une partie de la tribu suève, qui s’étaient fixés sur le Rhin lorsque leurs frères étaient allés en Gaule et en Espagne, L’empire des Francs s’est fondé en Gaule longtemps avant que n’existât l’idée d’une Allemagne ; cette idée fut ensuite par les Francs désignée par le nom des Alémans, cette grande tribu étant sur le Rhin la plus voisine des Francs. Ce n’est donc point du sang allemand, du sang de Factuelle nation allemande que nous parlons lorsque nous disons que le peuple franc de la Gaule est de race germanique. Nous indiquons seulement la vieille parenté de sang produite, entre les peuples qui aujourd’hui se nomment français et allemand, par les Gaulois, les Goths, les Francs, les Burgondes, les Normands, auxquels nous devons ajouter les Alémans et les Suèves. Ce nom des Français ou Francs signifie « libres » ; le nom des Allemands signifie « le peuple » ; ce qui montre que les Français ont en eux le sang des émigrés, les Allemands le sang de ceux qui sont restés fixés, qui ont conservé pure la race européenne des Aryens. Mats c’est le même sang toujours, qu’il soit romanisé dans l’ouest ou slavisé dans l’est ; et, au fond des révolutions les plus fortes et les plus importantes de ces peuples, le sang premier réapparaît sans cesse. Car c’est le sang de la plus noble espèce humaine naturelle, de la famille Aryenne, de la quelle seul peut naître l’homme idéal de l’avenir, parce que cet homme idéal représente seulement dans sa conscience morale la nature la plus noble de l’humanité.

De ce sang naquirent tous les génies de l’Europe. Aux lieux où, toujours pure, la goutte de sang Aryen s’était conservée et avait imprégné la vie, échappant à tous les mélanges historiques, là devaient surgir les grands hommes : les Dante, les Cervantès, les Rousseau, les Shakespeare, les Gœthe et les Wagner sont tous de belles efflorescences issues de la première parenté des peuples, et tous peuvent être nommés fils des dieux. Le principe qui dans les vieux temps avec cette divine force Aryenne conquérait les pays et versait le sang, — un sang qui produit la vie, non la mort, — ce même principe, dans ces hommes, conquit l’esprit des peuples et fit couler à travers les âmes des peuples frères, historiquement séparés, le fleuve de l’humanité idéale. Ces grands conquérants de l’esprit forment les degrés par lesquels l’homme idéal de la famille Aryenne doit peu à peu s’élever à l’humanité idéale ; et chacun d’eux ajoute un son à la puissante harmonie des peuples. Et chacun de ces grands héros Aryens contribue ainsi à affranchir le Christianisme des chaînes du Sémitisme.

Le Christianisme ne pouvait pas se répandre dans le monde avant de s’être arraché à la Judée. Paulus de Tarsos, issu de l’Asie-Mineure à demi grecque, fit le premier pas au-delà de la Méditerranée ; mais lui-même était encore de naissance juive. Vinfried, nommé le Boniface, porta la doctrine salutaire plus loin, sous les chênes des barbares de la Germanie ; mais il était encore d’une civilisation romaine et sémitique. Le Christianisme n’était pas libre ; mais déjà il avait la force de rendre libre : celui qui dans le Christianisme comprenait bien la doctrine du Dieu Homme gagnait la liberté de son âme. Dieu avait dû devenir homme pour s’attirer la toi vivante des hommes. Dieu ne fut point juif : qui oserait le prétendre ? mais il fut homme dans les limites du peuple juif ; car là il a trouvé l’être humain dans sa plus profonde misère et dans le désir le plus angoissé du salut. Mais lorsque ce désir ne se comprit pas lui-même et rejeta le Sauveur loin de lui, l’action du salut fut donnée au monde entier. Alors le Christianisme s’est détaché du judaïsme : il lui fallait désormais un meilleur appui. Mais cet appui de la religion la plus pure, la plus divine, ce pouvait être seulement la plus noble des races humaines ; ainsi le pur Christianisme affranchi devint nécessairement la propriété des Aryens, qui en ces temps dominaient l’Europe : dès ce moment il y avait une ère chrétienne, bien qu’il n’y eût pas encore des peuples vraiment chrétiens. Par ses grands hommes l’Aryen marcha vers l’humanité idéale, et il y amena avec lui le Christianisme qui dans cet idéal doit trouver sa libération et sa perfection. C’est que désormais l’esprit religieux n’a plus pour tâche de faire que Dieu devienne homme (Deus fiat homo), mais bien que l’homme parvienne à Dieu, son idéal. Non pas que l’homme devienne maintenant Dieu (homo fiat deus), ce serait une complète confusion d’idées : le devenir (fieri) signifie toujours quelque chose de réel : l’idéal ne peut être que conçu. Mais la connaissance de Dieu n’est pas une branche de la science, qui ne conçoit que ce qui est terrestre : la connaissance de Dieu est affaire de foi, et la vraie foi est l’expression nécessaire du degré que l’on a atteint sur le chemin de l’humanité idéale ; la foi ne vit pas non plus dans la tête, mais dans un cœur ; elle appartient absolument à l’essence de l’homme ; c’est son âme conçue dans ce mot, le Christ. Ce Christ senti par l’âme humaine, c’est la foi. Le Christ vivant qui de sentiment devient action, c’est l’amour. La vraie foi se manifeste par l’amour : les hommes croyants s’unissent dans une harmonie morale. Tout amour est un modèle, une Idée de la grande humanité idéale ; et le Dieu de cette harmonie, le Christ, c’est encore l’espérance. Jamais peut-être plus qu’en notre temps, depuis la naissance du Christianisme, n’a été aussi nécessaire une telle religion de la foi, de l’amour et de l’espérance. Car jamais, semble-t-il, la tête n’a aussi puissamment prévalu sur le cœur. Or, dans le cœur est enfermé le salutaire sang Aryen, comme dans le sanctuaire du Gral ; tandis que la tête peut concevoir tous les mélanges faux et bizarres, et s’en glorifie même, nommant cela un accroissement de la science. Dans une telle époque certes c’est par un miracle qu’un art peut encore exister ; l’art est le prophète d’une humanité idéale, mais il représente comme un idéal la plus noble image de la nature humaine. Et si nous, hommes vivants, nous regagnions la pure force, la beauté et la dignité de cette nature, nous serions, aussi, bons et nobles et chrétiens ; car le chemin qui mène à cette nature n’est pas un recul, mais une marche vers les hauteurs sur des degrés spirituels dans une sphère morale ; et ce n’est pas une marche de la tête mais du cœur ; et la religion secrète qui oblige le cœur à une telle marche spirituelle vers l’idéal, c’est le Christianisme. C’est pour cela que toute œuvre d’art vraie, pure et grande, qui ne se contente pas de jouer avec l’apparence, mais qui la représente idéalement comme l’être de l’homme, devient un fait chrétien.

Mais jamais auparavant la nature librement humaine et cependant idéale n’a pu être représentée d’une façon aussi vive et parfaite, et unie plus intimement à la pure expression de l’esprit chrétien que, aujourd’hui, dans l’art de l’Aryen Richard Wagner, dans cette grande œuvre d’ensemble dont Parsifal est l’acte final. Ici non plus la morale n’est pas prêchée ; mais l’esprit de la religion chrétienne y trouve nécessairement sa pleine expression, parce que l’homme idéal sorti de la plus pure nature humaine est, avec une complète force et vérité, représenté dans Parsifal. Oui, l’œuvre entier de Wagner, compris comme un grand drame, démontre ce fait miraculeux : que le cœur de l’homme retrouve en lui-même le Dieu, le conçoit, croit en lui, et par l’amour est introduit à la vie d’une humanité idéale. Cet amour est une démonstration morale affranchie de l’égoïsme sensuel ; elle prouve l’existence profonde d’une parenté entre des hommes frères. Mais jamais cet amour n’aurait pu trouver son expression vraie et pleine dans l’Art sans la force de la musique ; sans elle l’Art serait devenu moralisateur et froid : car le grand drame de la connaissance de Dieu est exécuté par le cœur humain, et le seul langage du cœur est la musique. Certes la musique parle aux âmes des peuples Aryens un langage qui franchit les barrières géographiques et les idiomes divers des divers peuples ; un langage pouvant être compris par ceux qui ne renient pas leur sang Aryen.

Et maintenant que signifie tout ce bruit ? Des Français ne reconnaissent pas leur propriété dans l’art qui de l’Allemagne vient en France. Ils ne savent pas que cet art ne vient point du tout de l’Allemagne moderne, mais de l’empire des Aryens, dont ils sont eux-mêmes les descendants. Car c’est au principe qui jadis, porté par les Francs, les Normands, les Anglo-Saxons, les Lombards, les Suèves et les Vandales, se répandit en France, en Angleterre, en Italie, en Espagne et en Russie, c’est à ce principe généreux et vivifiant que ces peuples doivent d’exister encore. Et tout ce qui aujourd’hui dans ces peuples peut être ému par la musique, par la représentation du drame d’un Wagner, même né en Allemagne, tout cela n’est autre chose que la goutte de sang Aryen. Et la joie que nous donne à tous Lohengrin, l’admiration que nous inspire Tristan, l’émotion que nous suggère Parsifal, tout cela est l’expression de la connaissance, enfin réveillée, de notre fraternité. Avec l’harmonie de l’art Wagnérien résonné l’harmonie de l’humanité idéale ; c’est la race Aryenne qui se retrouve, non plus comme la race barbare de la nature héroïque, mais comme la race chrétienne de la culture idéale. Au temps de la plus grande misère des cœurs, c’est par le sang Aryen que fut rendu possible le plus haut élan de l’Art vers la représentation parfaite de l’homme idéal. Et cette représentation devait être un drame, car dans un drame seulement peuvent vivre les idéals ; et ce drame devait naître de la musique, car la musique seule peut exprimer l’âme profonde de l’homme, de la nature, et le Divin. Dans une époque où chaque parole demeure incomprise parcs qu’elle ne résulte plus de la conscience d’une unité entre les peuples, mais sert seulement à constater leur différence, dans ce temps la musique seule pouvait parler à l’humanité des choses communes à tous ces hommes, et, par ce langage, ranimer le sang Aryen et le Christianisme.

 

  Nous avons reconnu combien il importe que maintenant cet art Chrétien et Aryen prenne la parole en France ; nous comprendrons aussi combien il importe que cet art soit correctement perçu. Car l’art le plus compréhensible peut amener des malentendus, s’il est représenté d’une façon incompréhensible. Pour saisir l’âme Aryenne en France et pour ne pas être trompé par les séparations historiques, il faut assister à une représentation suivant l’esprit vraiment Aryen, c’est-à-dire Wagnérien. Il faut que Wagner lui-même parle aux Français, et non l’Opéra-Comique. Il faut donc que les artistes des théâtres français en ce qui regarde leurs rôles deviennent wagnériens. Avant tout il faut que la musique exprime parfaitement l’âme de l’art de Wagner ; sans cela on n’entendra pas la vérité, et on pourra facilement ressentir un déplaisir et une révolte contre cette falsification importée de l’Allemagne. Il faut encore que l’orchestre soit rigoureusement ce que l’a fait Wagner, la base sur laquelle s’élève le drame. Or pour les spectateurs la compréhension de la musique est souvent rendue ou difficile ou tout à fait impossible, s’ils ne peuvent se faire une idée claire du drame qui tout d’abord s’offre à eux, s’ils ne comprennent pas les paroles par lesquelles les personnes du drame unissent dans leur sphère le cœur musical à la tête dramatique, pour former l’entier organisme artistique. Il faut donc à tout cela donner la plus grande attention ; il faut saluer avec joie et soutenir énergiquement tout ce qu’on fait à cet égard en France. Car il importe singulièrement que dans son chemin vers la fraternité idéale des nations, l’esprit Aryen ne parle plus seulement la langue de la littérature, mais qu’il s’exprime dans l’œuvre d’art vivante du drame, du drame musical. C’est une parole qui doit être chantée purement et prononcée précisément, parce que pureté et précision sont l’essence de cette parole. Cette parole dit à travers le monde : que la lumière soit ! mais lorsqu’elle ne résonne point purement et précisément, elle ne fait qu’accroître parmi les peuples le sombre crépuscule dont nous nous plaignons tous et que nous ne savons pas écarter. Faisons donc au moins ce dont nous sommes capables, puisqu’un maître de l’art nous a donné la grande parole ; et rappelons-nous ces mots de ses écrits posthumes :

« S’il se confirme que l’attention et l’espérance des nations » étrangères se tourne vers le déploiement de l’art allemand sur le terrain de la poésie et de la musique, nous pouvons admettre qu’elles tiennent avant tout à l’originalité et à la spécialité non troublée de ce déploiement ; puisque sans cela elles ne recevraient pas de nous de nouvelles impulsions, je crois que, à ce point de vue, il ne serait pas moins profitable à nos voisins qu’à nous-mêmes de voir former fidèlement par nous un vrai style germain. »

Ce style germain, c’est l’œuvre d’art Aryenne. Et si l’on ne devait point parvenir à lui donner en France une représentation parfaitement pure et précise, un seul espoir nous resterait : que l’esprit français n’en fut point rebuté, ruais plutôt conduit à contempler le déploiement original et spécial de cet art là où le Maître lui-même en a donné le modèle achevé, — dans la petite capitale franconienne de cette province allemande qui a le même nom que le grand pays français, à Bayreuth, la ville des Francs, des Libres, des Idéalistes, de la tribu Aryenne, de l’art Aryen.

Baron Hans de Wolzogen.t

Revue de Bayreuth

(Bayreuther Blaetter)

 

Analyse du numéro II8

1° Hans von Wolzogen : Tristan et Parsifal

 

Introduction.

 

Tristan et Parsifal, les deux pièces de fête de cette année, — deux mondes, mais tous deux, dans l’âme d’un seul Maître, arrivés à une plasticité idéale ! Lorsque nous comparons les deux introductions de ces drames, nous trouvons que est tout dit par et dans la musique ; Wagner lui-même nous les a expliquées : « l’inapaisable désir », dans l’introduction de Tristan, dans celle de Parsifal : « l’Amour, la Foi, et l’Espérance ». Les deux fois le Maître nous conduit dans l’empire de la mort ; mais tandis qu’en Tristan la mort signifie la fin, elle est en Parsifal le commencement ; la devise de Tristan pourrait être : « l’amour enseigne le souffrir, « celle de Parsifal » : la compassion sauve » ; les deux mondes qui dans le cœur de l’homme à jamais sont en lutte, « l’éternellement-naturel » et le « purement humain » sont proches l’un de l’autre comme Tristan et Parsifal, comme la souffrance et la rédemption même.

Dans Tristan l’éternelle souffrance de la nature humaine a été élevée à une manifestation de l’art idéal, mais dans Parsifal cette œuvre d’art idéale devient l’expression d’une religion purement humaine. Pour que ces deux mondes soient en harmonieuse contordance, il faut que cet art devienne en nous une vivante morale, il faut qu’en nous-mêmes nous vivions cet art, comme le Maître lui-même l’a vécu. Car voir et créer sont un dans l’artiste ; Wagner a dit : « Le vrai poète produit ce qu’il a vu, non ce qu’il a vécu : le voyant est par sympathie lié en créateur à ce qu’il a vu. » De cette sympathie naît l’harmonie de l’œuvre d’art, et la plus parfaite expression de la sympathie c’est l’art d’harmonie, la musique. Les deux œuvres, deux confessions de foi écrite avec le sang du martyre, nous disent donc ce que le Maître a vu ; et la connaissance de sa vie pendant les années de 1845-1882, dans les trente-sept années où sont nés Tristan et Parsifal nous fera comprendre les impressions qui les ont produits.

 

I. Musique et génie allemand.

Dès sa jeunesse, étant sous l’influence de la musique de Beethoven et de Weber, Wagner reconnut que la littérature participait au merveilleux empire de la musique. Le poète musicien F. A. Hoffmann avec ses profonds écrits fantastiques l’influençait dans la composition de ses premières œuvres. La tristesse de sa vie à Paris le fit trouver le nouveau monde de la poésie nationale, du mythe allemand. Retourné en Allemagne, Wagner se donna à des études ferventes de l’antiquité allemande ; à travers les œuvres des frères Grimm, de Simrock, de Gœrre, etc., à travers l’Edda et le mythe des Wolsungs il arriva aux restes des toutes les premières traditions. Là où les savants ne voient que des débris littéraires stériles, il voit Siegfried, le plus pur type de l’Eternellement-Naturel ; et à côté de lui, lui apparaît Brünnhilde, la Walkyre, l’élément purement humain. Les premières études germanistes ont lieu pendant le séjour à Dresde de 1845 à 1848 dans Tannhaeuser et Lohengrin. En 1848 le plan du Nibelungenring fut ébauché, et les poèmes achevés en 1853, couronnant la reconquête de l’antique nouveau monde allemand par Wagner.

De l’année 1845, à Marienbad, date la première esquisse des Maîtres Chanteurs, l’épilogue de Tannhaeuser et le poème de Lohengrin ; ce dernier reconduit Wagner vers d’autres légendes, le Parsifal et le Titurel de Wolfram, mais Wagner n’y voit encore que des grandes scènes, et non le drame ; profondément il lui fallait d’abord entrer et dans la mystique de l’esprit chrétien et dans les secrets de l’âme humaine, avant de pouvoir fondre la musique de ces deux mystères. C’est seulement de l’abîme de la misère tragique, Tristan, que pouvait naître la grande image du vainqueur du monde, Parsifal.

 

Hans Herrig : Théâtre de luxe et drame populaire.

I. L’art n’atteint son but que lorsqu’il est donné au public ; l’artiste a besoin de se communiquer, et de ce même désir na la création de l’œuvre d’art, Ce besoin de se communiquer distingue le vrai artiste de celui qui ne pratique l’art que par des raisons inférieures.

Le vrai artiste-s’adresse au peuple ; le non-artiste, l’artiste-artisan, s’adresse à la société. Nous nommons société un nombre d’individus entre eux coalisés pour différents buts. « Le peuple, dit Wagner, consiste en tous ceux qui sentent une misère commune. » La lutte pour l’existence et les besoins métaphysiques sont reliés par l’art qui ainsi a une signification pratique. De tous les genres d’art le drame a le plus d’influence, car il reflète la vie et s’adresse à nos plus intimes sentiments. Son origine est religieuse, il ne devint mondain qu’à la fin du Moyen Age. L’immense génie de Shakespeare ferait douter qu’après lui le drame pût encore se développer, si l’on ne devait le désigner comme l’Homère de l’art chrétien ; car, comme lui, il représente la mondalisation de la poésie. Mais le drame anglais a été tué par les Puritains, et de nos jours la pantomime est la seule forme nationale du théâtre anglais. Enfin, en Espagne la merveilleuse poésie dramatique nationale, ne se basant que sur le moyen âge, s’affaiblit ce plus en plus.

De toutes parts on reconnaît la nécessité de revenir aux anciens ; mais en prenant modèle sur les restes de leur poésie dramatique la tragédie classique française paraît s’être trompée. On croyait en Allemagne se rapprocher plus d’une compréhension vivante et vraie de Shakespeare qui était presque oublié sous la domination de la civilisation française. Mais on ne pouvait le saisir que littérairement, on ne savait pas inspirer au drame cette vraie vie qui se révèle à leur représentation théâtrale ; les meilleurs drames allemands souffrent de cette lutte entre la littérature et le théâtre, et ont besoin d’être arrangés pour la scène ; ils sont faits pour être lus. Alors une nouvelle expression fut trouvée pour le monde des sentiments : la musique. Émanant de la religion, elle reçut ses premiers grands mouvements du catholicisme qui a gardé de l’antiquité la plasticité, et du moyen-âge la magnificence des couleurs, et se développa plus tard dans l’Allemagne protestante. La marche de cette musique depuis Bach jusqu’à Wagner a été plusieurs fois exposée par Wagner lui-même ; Gluck et Mozart sont les véritables créateurs de l’opéra ; Beethoven, le représentant de l’élément universel et Weber celui de l’élément national, réalisent pleinement leur besoin d’artistes de se communiquer. Wagner représente la parfaite conciliation de ces deux artistes ; sa musique a aujourd’hui déjà une importance universelle et en même temps il est l’artiste le plus national. A Bayreuth se manifeste son idéal devenu une réalité, un fait comme nul pareil n’a été depuis le temps des Grecs.

 

3° J. van Santen Kolff : Considérations historiques et esthétiques sur le Motif de Réminiscence

4° Souvenirs sur Tichatscheku (mort le 18 janvier 1886 à Dresde, à l’âge de 79 ans)

Il fut l’ami intime de Wagner, le dernier « chanteur d’opéra » et le premier « chanteur-artiste » du Maître. En lui Richard Wagner rencontre pour la première fois un entier dévouement. Tichatschek étant resté toute sa vie attaché à la scène de Dresde, il n’a pu créer d’opéras de Wagner que Rienzi et Tannhaeuser, mais jusque dans l’âge avancé il est resté le grand artiste et l’admirateur de Wagner qui en 1867 écrivait : « Si de notre temps la nature a pu produire la merveille d’une belle voix mâle, c’est celle du ténor Tichatschek qui depuis quarante ans est toujours également restée forte et bien timbrée. Ceux qui entendaient le récit du Saint-Gral chanté par lui dans Lohengrin, étaient touchés et saisis de cette grande, noble et puissante simplicité, comme d’un miracle vraiment vécu. »

 

5° Communications

Analyse du numéro III

1° Hans von Wolzogen ; Tristan et Parsifal (suite)

 

Pour arriver à Monsalvat, Wagner devait traverser un troisième monde : celui de la métaphysique. Bien avant de connaître Schopenhauer, il avait composé son nibelungenring ; là le monde du paganisme périt parsa volonté ; c’est le monde du pur égoïsme ; l’« éternellement-naturel » a dans la consciente sensualité de son égoïsme perdu la force d’arriver au « purement-humain ». Wotan, la force première de la volonté dans la Nature, ne peut que renoncer à ce monde en renonçant à sa propre existence ; et l’apparition la plus noble et la plus pure, qui refuse à la nature, par son non-savoir, ce qui lui est dû, doit périr avec ce monde égoïste. Seul le « Féminin dans l’Humain », Brünnhilde, se rappelle du seul élément sauveur et à travers son renoncement nous voyons sur la fin du monde païen qui succombe, la lueur du nouveau message sauveur de l’amour. En 1853 le poème du Ring était achevé à Zurich, le Rheingold avait été composé et instrumenté jusqu’au printemps de 1854, lorsque le poète Herwegh, un autre exilé de 1848, lui apporta les œuvres de Schopenhauer. Alors il se comprit lui-même, il comprit son Wotan, et de la morale de la compassion il déduisit avec Schopenhauer la philosophie esthétique et éthique de l’art et du christianisme, et il créa Tristan et Parsifal. Tout en étudiant Schopenhauer, en composant la Walküre. Il ébaucha Tristan (1855) ; en même temps l’idée de Parsifal lui vint.

Pendant l’hiver de 1857, il compose le premier acte de Siegfried avec les chants de la forge, le deuxième pendant l’été ; en automne le poème de Tristan est achevé, et au printemps de la même année le drame de Parsifal est esquissé. Bientôt la composition de Tristan fut commencée ; le premier acte était fini à la fin de l’année ; le silence magique de Venise l’inspirait lors de l’achèvement du second acte, et il finissait le troisième l’été de 1859 à Lucerne, lui-même souffrant de nouveau de toutes les tristesses de la vie.

La certitude d’une vie plus élevée est contenue dans la tragédie de l’amour ; mais cet amour n’aura la force de la rédemption que lorsque la nature humaine délivrée d’égoïsme aura par sa propre force reconquis la pureté de l’idéalité, lorsqu’elle sera devenue l’amour de l’humanité. Le chemin de cette humanité idéale ne nous est pas montré dans Tristan, mais dans Parsifal : là l’amour n’est plus attaché par les sens aux manifestations de la vie, mais elle devient la compassion agissante pour les souffrances du monde, elle devient la volonté qui renonce à l’égoïsme et à la sensualité, la volonté pour tous, pour l’humanité.

 

2° Hans Herrig : Théâtre de luxe et drame national

 

Les Allemands ont toujours été mécontents de leur « théâtre national » ; bien des intelligences se sont usées à cette tâche ingrate, et toujours sans succès. Le théâtre français au contraire a toujours réussi ; car il s’est proposé un but bien défini, celui d’amuser, de divertir, et ce but il l’a atteint ; aussi les auteurs français écrivaient-ils, non pour une nation abstraite, mais pour une « société » réelle et connue, dans un milieu unique, Paris. Malgré tous leurs efforts, les Allemands ont toujours été réduits à importer et à imiter les productions étrangères. Schiller traduisit des pièces françaises, Gœthe, comme intendant du théâtre de Weimar, se montra incapable de susciter un développement du théâtre allemand, et finit par laisser aller les choses leur vieux train. Wagner seul comprit que pour qu’il y eût un théâtre allemand vraiment original, il fallait déclarer la guerre à l’autre, et rompre tout lien avec lui.

 

3° J. van Santen Kolff : — Considérations historiques et esthétiques sur le Motif de Réminiscence.

 

4° Bibliographie : — Arthur Seidl : « Les éléments de la métaphysique » du Dr. Paul Deussen. — Communications.

 

H. S. G.

Correspondances.

 

BAYREUTH. — M. Scaria, ne devant pas chanter cette année à Bayreuth, sera remplacé dans les rôles de Gurnemanz et de Mark par M. Fischer, attaché autrefois au théâtre royal de Dresde.

 

BRUXELLES. — 28 mars. — Il y a un an c’était l’obsession et l’enivrement !… L’illusion longtemps caressée était devenue réalité ; l’impatience longtemps contenue s’apaisait un soir et renaissait le lendemain. Tous les plaisirs étaient délaissés pour le spectacle inoui, magnifique ; c’était fête, chaque fois que, sur l’affiche, resplendissait le nom des Maîtres chanteurs !

L’interprétation était belle ; l’œuvre s’imposait et convertissait : le prodige avait opéré. Quelle magie, lorsque l’ouverture déroulait, en sa majestueuse ampleur, la rutilante broderie de ses thèmes symboliques ! Quelle intensité de poésie et quel noble réalisme à la fois, dans l’action pittoresque, étincelante de verve, exubérante d’humanité, qui transfigurait la scène et les interprètes !

Nous sommes loin, cette année, des Maîtres Chanteurs et du répertoire wagnérien, nous n’avons pas en la Walkyrie et nous n’aurons pas Lohengrin qui, cependant, nous avaient été promis, tous deux. Peut-être le premier acte de Tristan sera-t-il donné, un Concert-populaire ; ma prochaine correspondance vous renseignera mieux à ce sujet. Privés, au théâtre, de l’intérêt qui s’attache aux grandes œuvres, nous avons suivi avec intérêt les séances intimes où l’on en exécutait des fragments. La dernière séance, organisée par l’Association Wagnérienne Universelle, dans l’atelier du peintre Constantin Meunier, a eu un très vif succès. Le programme comprenait le premier acte et la scène troisième du troisième acte de la Walkyrie, version de M. H. La Fontaine, le secrétaire de l’association. Les interprètes étaient Mme Van Soust de Borkenfeld, très remarquable dans les rôles de Sieglinde et Brünnhilde ; M. Siverg et M. Van der Goten ; ce dernier, fort bien doué, promet un chanteur d’élite au théâtre wagnérien.

 

Edmond Evenepoel

 

COLOGNE. — La société chorale de M. Schwickerath donne le 20 et 21 avril, une audition du 3e acte de Parsifal et des Sept paroles de Schütz. La partie orchestrale de Parsifal sera exécutée par le petit orchestre, d’après les rédactions que M. Humperdinck a écrites pour le Petit-Bayreuth,

En mars 1884, M. Schwickerath avait donné le 1er acte.

 

LONDRES. — Du 3 mai au 7 juin, à Saint-Jame’s Hall, sous la direction de M. Hans Richter, 9 concerts organisés par M. Hermann Francke !

De Wagner, 2e acte de Tristan, 3e de Siegfried, prél. et fin. des Maîtres, marche fin. de Goetterdaemmerung, chevauchée, Siegfried-idyll, ouv. de Tannhaeuser ; — de Beethoven, ouv. d’Egmond et de Léonore (3e), 3e, 5e, 6e, 7e, 9e symph., Missa Solemnis ; — œuvres de Brahms, Schumann, Mendelssohn, Berlioz, Liszt. Solistes : Gudchus, Henschel, Mlles Malten et Hieser.

 

MANNHEIM. — Nous avons annoncé par erreur, an mois de janvier, la mort de M. Emil Heckei, le célèbre propagateur et ami de Richard Wagner ; c’est le frère de M. Emil Heckei qui venait de mourir.

 

NEW-YORK, — 18 mars. Le métropolitain ferme ses portes jusqu’à l’hiver prochain. L’heure est donc venue de résumer en quelques lignes les travaux accomplis, pendant les quatre derniers mois, par les vaillants artistes de la troupe allemande.

Lohengrin a été représenté six fois, la Walküre sept fois, Tannhaeuser sept fois, les Maîtres Chanteurs huit fois, Rienzi sept fois.

Outre les drames Wagnériens, nous avons entendu Faust, le Prophète, Carmen et la Reine de Saba de Goldmark.

A l’Opéra Américain, où l’année dernière les Patti et les Schalchi perlaient leurs trilles, la musique allemande triomphe. Lohengrin s’y chante en anglais, et l’on nous promet, pour le 15 mars. Le hollandais volant.

La partition de Parsifal a été interprétée à ceux reprises par les chœurs et l’orchestre de l’« Oratorio Society », sous la direction de M. Walter Damrosch ; Mlle Brandt a repris pour l’occasion le rôle de Kundry qu’elle créa à Bayreuth.

Deux fois par semaine, M. Thomas, le Lamoureux de New-York, dirige, en ses concerts populaires, l’exécution de morceaux wagnériens.

Le capellmeister Anton Seid : remporte les honneurs de la saison. Grâce à cet incomparable chef d’orchestre, la musique de Wagner s’est révélée tout entière, de sa vague pénombre à ses sonores éblouissements. Vous n’ignorez pas du reste que M. Seidl se retrouvera, cet été, aux fêtes de Bayreuth.

Le bruit court qu’en vue du succès complet de la propagande wagnérienne à New-York, M. Stanten, le directeur du Métropolitain, serait autorisé à signer avec les principaux artistes d’Autriche et d’Allemagne des contrats de trois ans. Mesdames Lehmann, Brandt et Kraus, Messieurs Sylva, Stritt et Fischer nous reviendront sans doute l’hiver prochain. 

 

Stuart Merrill.

 

 

ROME. — La Société Orchestrale, bien connue dans la haute société et dans le monde artistique de Rome, aussi bien qu’à l’étranger, vient de donner, pour la première fois en Italie, une audition d’une partie du Parsifal, sons la direction de M. Pinelli, rémittent artiste qui propage avec autant d’intelligence que de succès, dans le public italien, le goût de la musique wagnérienne, ainsi que le sentiment de l’art classique, et auquel est dû un véritable réveil musical.

L’audition a en lien dans le salon du théâtre Costanzi, avec le concours d’interprètes de premier ordre, comme orchestra et comme chant, et devant un public très nombreux composé de l’élite du monde romain.

La partie qu’on avait choisie était le 1er acte ou l’agate sacrée, en réservant les autres parties pour des soirées successives. L’exécution fut splendide, et les chœurs marchèrent à perfection, malgré la difficulté de les discipliner st de les soumettre à un travail orchestrai aussi compliqué que celui du Parsifal. Le public écouta religieusement de la première note à la dernière, avec une admiration croissante, et se retira plein d’enthousiasme pour ce grand poème musical.

Malheureusement les conditions locales ne se prêtaient pas à une exacte interprétation du chef-d’œuvre wagnérien, car les voix de soprano, qui sont des chérubins, auraient dû descendre d’une très-haute coupole, et venir aussi comme de côté, voilées par la hauteur — ce qu’on ne pouvait obtenir dans ce salon.

Mais M. Pinelli, qui est une véritable âme d’artiste, remédiera à cet inconvénient en donnant les prochaines auditions dans la salle même du théâtre Costanzi, dont la vastité permettra d’atteindre sans aucun doute l’effet de la hauteur.

Complément à l’histoire de la question Lohengrin

Articles des journaux à ajouter :

La Revue d’art dramatique du 1er janvier : chronique de M. Albert Sourbies.

La Soirée du 4.

Le Succès du 6.

Le Matin du 8 : « Le patriotisme » par M. Octave Mirbeau.

La France libre du 11.

Le National du 12.

Le Monde du 13.

L’anti-Prussien, et le National du 16.

La République radicale, la Bataille et le Tintamare du 17.

La France libre du 18.

Le Pays, et la Soirée du 19.

La Journée du 27 : « Le dossier de l’affaire Lohengrin », par Corbel.

La République illustrée du 25.

Le Wiener Witt-Blatt du 31 : « Saint-Saëns aus Berlin », caricature.

La Revue d’art dramatique du 1er février : chronique de M. Albert Soubies.

La Revue contemporaine du 25 : chronique de M. Alfred Ernst.

Le Gaulois du 2 mars : « La soirée parisienne ».

La France du 14 : « En voyage », par M. Saint-Saëns.

La Revue illustrée du 1er avril : « La vérité sur Lohengrin », par M. Adolphe Jullien : le dernier mot sur la question :

« … Pourquoi cette campagne d’abord menée à la sourdine et puis éclatant un beau jour en charivari patriotique ? Uniquement parce que certaines gens qui font commerce de musique — qu’ils en composent ou qu’ils en vendent — avaient calculé quel coup irrémédiable un tel chef d’œuvre allait porter à leur trafic habituel…

… Émouvant spectacle à suivre que cette lutte acharnée pour l’existence … Et quel cri du cœur que cette exclamation d’éditeur affamé : « Mais si Richard Wagner s’implante avec sa musique à Paris, je n’aurai plus qu’à fermer boutique. » Assurément : reste à savoir qui s’en plaindrait. »

 

 

Le directeur gérant : Edouard Dujardin