Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840)
[Bibliographie]
Méléagre, tragédie (1792). — Clarisse Marlowe, drame en vers (1795). — Le Tartufe révolutionnaire, parodie (1795). — Le Lévite d’Éphraïm (1796). — Agamemnon (1797). — La Prude, comédie (1797). — Les Quatre Métamorphoses (1799). — Ophis, tragédie (1799). — Pinto, comédie (1800). — Homère et Alexandre, poème (1801). — Les Trois Fanatiques ; Un de mes songes ; les Âges français, poème en quinze chants (1803). — Isule et Orovèse, tragédie (1803). — Beaudoin, tragédie (1808). — La Comédie romaine, pièce en vers libres (1808). — Christophe Colomb (1809). — L’Atlantiade ou la Théogonie newtonienne (1812). — Le Frère et la Sœur jumeaux (1816). — Charlemagne, tragédie (1816). — Le Faux Bonhomme (1817). — Mérovéide, poème en quatorze chants (1818). — Saint-Louis, tragédie (1818). — Panhypocrisiade ou la Comédie infernale du xvie siècle (1819-1832). — Moïse, poème en cinq chants (1820). — Clovis, tragédie en cinq actes (1820). — La Démence de Charles VI, tragédie (1820). — Frédégonde et Brunehaut, tragédie (1821). — Le Corrupteur, comédie (1822). — Les Martyrs de Souly (1825). — Le Chant héroïque des matelots grecs (1825). — Hérologues ou les Chants du Poète-Roi (1824-1825). — Camille ou Borne sauvée, tragédie (1826). — Richelieu ou la Journée des Dupes (1828). — Caïn ou le premier meurtre (1829). — Almanty ou le Mariage sacrilège, roman (1833). — L’Héroïne de Montpellier, drame (1837).
OPINIONS.
Marie-Joseph Chénier
L’auteur de la tragédie d’Agamemnon , M. Lemercier, s’est essayé plusieurs fois dans le genre de la comédie. L’idée de son Pinto est singulière. Présenter au point de vue comique, et dans la partie secrète, une de ces révolutions qui changent les États, telle est l’intention de l’auteur. Peut-être l’événement choisi ne s’y prêtait pas beaucoup. Le Portugal délivré de ses oppresseurs avec tant de courage et d’activité ; une révolution durable et complètement faite en quelques heures ; une seule victime, Vasconcellos ; la multitude agissante, et soudain le calme rendu à cette multitude redevenue corps de nation : tout cela ne paraissait guère susceptible de ridicule. La duchesse de Bragance, qui parut si digne du trône que son époux lui dut en partie ; le brave Almeida, véritable chef de l’entreprise, et qui, bien plus que Pinto, en détermina le succès ; le cardinal de Richelieu la favorisait de loin, non pour servir la nation portugaise, mais pour affaiblir la monarchie espagnole ; des noms, des caractères, des motifs, des résultats d’un tel ordre, étaient dignes de la tragédie. Aussi, dans l’ouvrage dont nous parions, la scène où Pinto vient rassurer les conjurés saisis d’une terreur panique et donne le signal de l’attaque est de beaucoup la meilleure, précisément parce qu’elle est tragique : elle est tragique parce qu’elle est essentielle au sujet. En ces derniers temps, le même écrivain, dans sa comédie de Plaute, a imité quelques scènes de Plaute lui-même. Mais une conception ingénieuse, et qui appartient à M. Lemercier, c’est de représenter le poète comique conduisant une intrigue réelle, faisant agir des personnages et les peignant à mesure qu’ils agissent. L’esclave d’un meunier fonde la comédie latine.
De Salvandy
Lemercier soutint sans plainte et sans faste l’inimitié du chef de l’Empire. Ses vertus étaient simples parce qu’elles ne lui coûtaient pas. Mais quelle misère que, Napoléon devenu▶ maître du monde, Lemercier voie toutes les amertumes empoisonner sa vie ; qu’incrédule envers l’empereur, il doive marcher de revers en revers, comme l’empereur de triomphes en triomphes ; qu’il finisse par être attaqué jusque dans les débris de sa fortune ! Il fut réduit un moment à vivre avec dix-sept sous par jour, et ses amis même l’ignorèrent : il était de ces hommes qu’on croit toujours riches parce qu’ils sont dignes. Interdit du théâtre, il s’était jeté dans les sciences et avait composé l’Atlantide ; pauvre, il monta dans la chaire de l’Athénée ; il dota les lettres françaises de ce Cours de littérature qui est un des plus beaux monuments que la science de l’antiquité ait élevés parmi nous.
Victor Hugo
Il mena la vie mondaine et littéraire. Il étudia et partagea, en souriant parfois, les mœurs de cette époque du Directoire qui est après Robespierre ce que la Régence est après Louis XIV ; le tumulte joyeux d’une nation intelligente échappée à l’ennui ou à la peur ; l’esprit, la gaîté et la licence protestant par une orgie, ici, contre la tristesse d’un despotisme dévot, là, contre l’abrutissement d’une tyrannie puritaine. M. Lemercier, célèbre alors par le succès d’Agamemnon, rechercha tous les hommes d’élite de ce temps et en fut recherché. Il connut Écouchard-Lebrun chez Ducis, comme il avait connu André Chénier chez Mme Pourrat. Lebrun l’aimait tant, qu’il n’a pas fait une seule épigramme contre lui. Le duc de Fitz-James et le prince de Talleyrand, Mme de Lameth et M. de Florian, la duchesse d’Aiguillon et Mme Tallien, Bernardin de Saint-Pierre et Mme de Staël lui firent fête et l’accueillirent. Beaumarchais voulut être son éditeur, comme, vingt ans plus tard, Dupuytren voulut être son professeur. Déjà placé trop haut pour descendre aux exclusions de partis, de plain-pied avec tout ce qui était supérieur, il ◀devint en même temps l’ami de David, qui avait jugé le roi, et de Delille, qui l’avait pleuré. C’est ainsi qu’en ces années-là, de ces échanges d’idées avec tant de natures diverses, de la contemplation des mœurs et de l’observation des individus, naquirent et se développèrent dans M. Lemercier, pour faire face à toutes les rencontres de la vie, deux hommes, — deux hommes libres, — un homme politique indépendant, un homme littéraire original…
Charles Nodier
Il y a dans cette œuvre (La Panhypocrisiade) tout ce qu’il
fallait de ridicule pour gâter toutes les épopées de tous les siècles et, à côté
de cela, tout ce qu’il fallait d’inspiration pour fonder une grande réputation
littéraire. Ce chaos monstrueux de vers étonnés de se rencontrer ensemble rappelle
de temps en temps ce que le goût a de plus pur, ce que la verve a de plus
vigoureux. Tel hémistiche, tel vers, telle période ne seraient pas désavoués par
les grands maîtres. C’est quelquefois Rabelais, Aristophane, Lucien, Milton,
disjecti membra poetæ, à travers le fatras d’un parodiste de
Chapelain. Ouvrez le
livre, vous avez retrouvé l’auteur d’Agamemnon
, et l’on peut se contenter à
moins. Une page de plus et vous aurez beau le chercher, vous serez réduit à dire
comme le bon abbé de
Chaulieu :
C’est quelqu’un de
l’Académie.
De Pongerville
On reconnaîtra que Lemercier possédait une partie des éminentes qualités du grand écrivain, mais qu’il lui manquait le sentiment exquis, le gout qui en dirige l’emploi ; il méconnut trop souvent la précision harmonieuse du langage, la beauté des formes qui donnent la vie et la durée aux créations idéales. Sa verve facile, sa capricieuse fécondité n’ont produit que peu de fruits durables ; dispersant ses ressources, il a perdu en valeur ce qu’il gagnait en étendue. Quoi qu’il en soit, il a conquis sa place parmi les hommes considérables d’une époque de désordre et de transition littéraire.
Hippolyte Babou
Népomucène
Lemercier fut un enfant sublime. À l’âge de seize ans, il était
applaudi au théâtre par la reine Marie-Antoinette ; à l’âge de vingt-cinq ans, il
avait les suffrages du public tout entier. Génie surabondant et incomplet, coureur
infatigable d’aventures littéraires, novateur en ébullition perpétuelle, il fut,
sous le Directoire et le Consulat, une espèce de Lemierre agrandi, qui
marqua vigoureusement sa trace au débouché de toutes les avenues qui mènent du
xviiie
siècle au xixe
siècle. Quoique très attaché à la tradition classique, il
poursuivit en tous sens l’inconnu et le nouveau, tantôt avec une inquiétude
nerveuse, tantôt avec une décision clairvoyante et virile. « Le génie fait sa
langue », disait-il, et les épigraphes de ses œuvres prouvent qu’il ne craignait
ni les difficultés ni les injustices :
Me raris juvat auribus
placere… incedo per ignes !
Philarète Chasles
Népomucène Lemercier, le probe et vigoureux poète.
Édouard Fournier
Quand vint la guerre des Hellènes, Lemercier y apporta ses hymnes de combat ; il publia une belle et fière traduction des Chants héroïques des montagnards et matelots grecs. On voit ainsi qu’il était de toutes les inspirations du moment ; que, par tous les côtés, il s’était fait jour vers la jeune école. Il refusait cependant de la reconnaître. À sa mort, il en était encore l’ennemi déclaré.