(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »
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(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

Livre douzième.

Tout ce douzième livre est dédié à M. le duc de Bourgogne, alors âgé de huit ans. On avait ménagé la protection de ce prince à l’auteur des fables, déjà vieux, presque sans fortune et dénué d’appui. C’est, comme on l’a déjà observé, presque le seul grand homme de ce siècle, qui n’ait point eu part aux bienfaits de Louis XIV. L’inimitié de Colbert, le peu d’habileté de La Fontaine à faire sa cour, un talent peu fait pour être apprécié par le roi, de petites pièces qui paraissaient successivement, ne pouvaient avoir l’éclat d’un grand ouvrage, et semblaient manquer de cette importance qui frappait Louis XIV ; des contes un peu libres, dont on avait le souvenir dans une cour qui commençait à devenir dévote : toutes ces circonstances s’étaient réunies contre La Fontaine, et l’avaient fait négliger. Il songeait à passer en Angleterre ; il apprenait même la langue anglaise, lorsque les bienfaits de M. le duc de Bourgogne le retinrent en France, et sauvèrent à sa vieillesse les désagrémens de ce voyage.

Il faut pardonner à un vieillard déjà accablé de peines et d’infirmités, le ton faible et le style languissant de cette épître dédicatoire ; il faut même s’étonner de retrouver dans plusieurs des fables de ce douzième livre, une partie de son talent poétique, et, dans quelques-unes, des morceaux où ce talent brille de tout son éclat.

Fable I.

V. 1. Prince, l’unique objet du soin des immortels…

Pourquoi l’unique ? La Fontaine fait mieux parler les animaux qu’il ne parle lui-même. Voyez, dans ce livre douzième, dédié à ce même duc de Bourgogne, la fable de l’Eléphant et du Singe de Jupiter. Elle a pour objet d’établir que les petits et les grands sont égaux aux yeux des immortels. Je n’accuserai point ici La Fontaine d’une flatterie malheureusement autorisée par trop d’exemples. J’observerai seulement que, tant que les écrivains, soit en vers, soit en prose, mettront, dans leurs dédicaces, des idées ou des sentimens contraires à la morale énoncée dans leurs livres, les princes croiront toujours que la dédicace a raison et que le livre a tort ; que, dans l’une, l’auteur parle sérieusement, comme il convient ; et dans l’autre, qu’il se joue de son esprit et de son imagination ; enfin qu’il faut lui pardonner sa morale, qui n’est qu’une fantaisie de poète, un jeu d’auteur.

V. 10. Il ne tient pas à lui…

M. le dauphin, qu’on appelait monseigneur, père du duc de Bourgogne, commandait l’armée d’Allemagne, et avait, sous ses ordres, et pour conseil, MM. les maréchaux de Duras, de Boufflers et d’Humières.

V. 16. Peut-être elle serait aujourd’hui téméraire.

Ne dirait-on pas que le dauphin avait le choix d’avancer ou de n’avancer pas ? Il n’avançait point, parce qu’il ne le pouvait, parce qu’il s’élevait souvent des sujets de division entre les trois maréchaux.

V. 17…. Aussi bien les ris et les amours.

On ne voit pas trop ce que les ris et les amours ont à faire dans une pièce de vers adressée à un prince de huit ans, élevé par le duc de Beauvilliers et par M. de Fénélon.

Ces sortes de dieux, et la raison qui tient le haut bout est d’un style très-négligé.

V. 27. Les compagnons d’Ulysse….

Le sujet qu’a pris ici La Fontaine, est plutôt un cadre heureux et piquant, pour faire une satire de l’humanité, qu’un texte d’où il puisse sortir naturellement des vérités bien utiles : aussi l’auteur italien que La Fontaine imite dans cet Apologue, en a-t-il fait un usage purement satirique. La force du sujet a même obligé La Fontaine à suivre l’intention du premier auteur, jusqu’au dénouement, où il l’abandonne. Nous nous réservons à faire quelques observations sur ce dénouement.

V. 40…. Exemplum ut talpa :

C’est une espèce de proverbe latin, la taupe par exemple : j’ignore l’origine de ce proverbe.

V. 46. Prit un autre poison peu différent du sien.

Quel bonheur dans le rapprochement de ces deux idées ! et quelle grâce fine à la fois et naïve, pour justifier Circé qui parle la première !

V. 47. Une déesse dit tout ce qu’elle a dans l’âme
V. 52. Mais le voudront-ils bien ? etc….

Ceci prépare le refus des compagnons d’Ulysse. On voit que chacune de leurs réponses est une satire très-forte de l’homme en société ; et l’auteur italien développe, d’une manière encore plus satirique, les raisons de leur refus.

V. 104. Tous renonçaient au lot des belles actions.

C’est ici que La Fontaine abandonne son auteur pour approprier la morale de ce conte à l’âge et à l’état du prince auquel il est adressé ; mais l’auteur italien n’en use pas ainsi : il poursuit son projet ; et quand Ulysse, pour amener ses gens à l’état d’hommes, leur parle de belles actions et de gloire, voici ce que l’un d’eux lui répond : « Vraiment nous voilà bien. N’est-ce pas lui qui est la cause de tous nos malheurs passés, de dix ans de travaux devant Troye, de dix autres années de souffrances et d’alarmes sur les mers ? N’est-ce pas ton amour de la gloire qui a fait de nous si longtemps des meurtriers mercenaires, couverts de cicatrices ? Lequel valait le mieux pour toi d’être l’appui de ton vieux père qui se meurt de douleur, de ta femme qu’on cherche à séduire depuis vingt ans quoiqu’elle n’en vaille pas la peine, de ton fils que les princes voisins vont dépouiller, de gouverner tes sujets avec sagesse, de nous rendre heureux en nous laissant pratiquer sous nos cabanes des vertus que tu aurais pratiquées dans ton palais ? Lequel valait mieux de goûter tous ces avantages de la paix et de la vertu, ou de t’expatrier, toi et la plus grande partie de tes sujets, pour aller restituer une femme fausse et perfide à son imbécille époux, qui a la constance de la redemander pendant dix ans ? Retire-toi et ne me parle plus de ta gloire, qui d’ailleurs n’est pas la mienne, mais que je déteste comme la source de toutes nos calamités. »

Il me semble qu’il y a, dans cette réponse, des choses fort sensées et auxquelles il n’est pas facile de répondre. Je suis bien loin de blâmer La Fontaine du parti qu’il a pris ; mais il est curieux d’observer que ce que dit le compagnon d’Ulysse, sur les guerres, sur les conquêtes, sur la gloire, etc., offre le même fond d’idées que Fénélon développa depuis dans le Télémaque : ce sont les principes dont il fit la base de l’éducation du duc de Bourgogne. Si ces principes, connus ensuite de Louis XIV, plus de quinze ans après, occasionnèrent la disgrâce de Fénélon, on peut juger de la manière dont La Fontaine aurait été reçu, s’il se fût avisé d’imiter jusqu’au bout l’original italien.

Fable II.

Cette fable est joliment contée ; mais voilà, je crois, le seul éloge que l’on puisse lui donner.

V. 33. J’en crois voir quelques traits, mais leur ombre m’abuse.

Il ne faut pas voir quelques traits de la moralité d’un Apologue, il faut voir l’image toute entière. Dans la fable des animaux, dans celle de l’alouette et de ses petits, dans celle du rat retiré du monde, ce n’est pas une ombre douteuse et confuse que le lecteur entrevoit, c’est la chose même. L’auteur sait ce qu’il a voulu dire, et n’est pas obligé de s’en rapporter aux lumières d’un prince âgé de huit ans.

Fable III.

V. 1. Un homme accumulait, etc.

Fort jolie historiette, dont il n’y a pas non plus beaucoup de morale à extraire, sinon que l’avarice est un vice ridicule ; et que, quand on a le malheur d’en être atteint, il faut bien fermer son coffre.

Fable IV.

V. 1. Dès que les chèvres ont brouté.

L’auteur emploie ici deux vers à insister sur cet instinct des chèvres, de grimper et de chercher les endroits périlleux. Il en a une bonne raison : c’est qu’il fallait inculquer au lecteur cette propriété des chèvres qui fait le fondement de sa fable.

V. 11. Toutes deux ayant pattes blanches.

C’est que ce sont deux chèvres de grande distinction, de grandes dames, comme on le verra plus bas. Aussi quittent-elles les bas prés pour ne point se gâter les pattes.

V. 13…. Pour quelque bon hazard.

Pour quelque plante, quelque arbuste appétissant. Cela pourrait être mieux exprimé.

V. 16. Sur ce pont :

Ce vers inégal de trois syllabes fait ici un effet très-heureux. La Fontaine aurait dû ne pas prodiguer ces hardiesses, et les réserver pour les occasions où elles sont pittoresques comme ici.

V. 18…. Ces Amazones.

Nous sommes accoutumés à ce jeu brillant et facile de l’imagination de La Fontaine, à qui le plus léger rapport suffit pour rapprocher les grandes choses et les petites. La comparaison de ces deux chèvres avec Louis-le-Grand et Philippe IV, et surtout la généalogie des deux chèvres, rendent la fin de cette fable un des plus jolis morceaux de La Fontaine.

Fable V.

V. 11. A présent je suis maigre, etc….

Ceci rentre dans la moralité de carpillon frétin et du chien maigre.

V. 17. Chat et vieux, pardonner !…

Cela est plaisant : mais il ne fallait pas revenir sur cette idée à la fin de la fable. Cette maxime, que la vieillesse est impitoyable, n’est pas appliquée ici avec assez de justesse. Si le chat ne pardonne pas à la souris, ce n’est pas en qualité de vieux, c’est en qualité de chat. De plus, ces vérités qui ont besoin d’explication, de restriction, ne doivent-elles pas être réservées pour un âge plus avancé que celui du duc de Bourgogne ? Pourquoi mettre dans l’esprit d’un enfant que son grand-père, et peut-être son père, sont impitoyables. Je dis son père, car les enfans trouvent tout le monde vieux. Si Louis XIV lut cette fable, dut-il être bien aise que son petit-fils le crût homme dur et impitoyable ?

Fable VI.

V. 2. Incontinent maint camarade.

Cette fable rentre absolument dans la morale du Jardinier et son Seigneur, (livre IV, fable 4) et dans celle de l’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin (livre IX, fable 5) ; mais elle est fort au-dessus des deux autres.

Fable VII.

V. 1. Le buisson, le canard et la chauve-souris.

Voilà une association dont l’idée blesse le bon sens. Nul rapport, nul besoin réel entre les êtres qu’elle rassemble ; et l’esprit la rejette comme absurde. Comment un buisson peut-il voyager ? Quel besoin a-t-il de faire fortune, lui et ces deux animaux ? De ce fond défectueux, il ne peut naître que des détails non moins ridicules : tel est celui-ci,

V. 21. Prêt à porter le bonnet verd.

On sait que c’était le symbole des banqueroutiers. La Fontaine baisse beaucoup.

Fable VIII.

V. 10. Autrefois un logis plein de chiens et de chats…

C’est ici que cette vieillesse se montre encore davantage. Quel sens peut-on tirer de cette fable ? quelle était l’idée de La Fontaine ? On est fâché de dire que c’est une espèce de radotage. Quel rapport y a-t-il entre une querelle de chiens et de chats, et le combat des élémens, dont il résulte une harmonie qu’on ne peut concevoir, et dont le fabuliste ne parle pas ?

Fable IX.

V. 29. Le renard dit au loup, etc.

Voici une fable plus heureuse que les trois précédentes. La Fontaine a déjà établi plusieurs fois qu’on revient toujours à son caractère ; mais de toutes les fables où il a cherché à établir cette vérité, celle-ci est sans contredit la meilleure : aussi y avons-nous souvent renvoyé le lecteur. La manière dont le renard répète sa leçon, la comparaison de Patrocle revêtu des armes d’Achille, sont des détails très-agréables, et du ton auquel La Fontaine nous a accoutumés.

Fable X.

V. 7. Mon sujet est petit, cet accessoire est grand.

Si grand, qu’il l’est peut-être trop ; si grand, qu’il mériterait l’honneur d’un Apologue particulier. Cet accessoire est trop étranger à l’idée d’éducation qui est ici la principale

V. 11. N’est d’abord qu’un secret, puis devient des conquêtes.

Ce vers, dont le tour est très-hardi, est fort beau pour exprimer la rapidité avec laquelle Louis XIV fit plusieurs conquêtes, celle de la Franche-Comté, par exemple ; le secret du roi avait été impénétrable jusqu’au moment où l’on se mit en campagne.

V. 19…. Ne peux-tu marcher droit ?

Cette idée, qui fait le fonds de la fable, ne me paraît pas heureuse. Ce ne doit point être un défaut, aux yeux de l’écrevisse, de marcher comme elle fait. Elle ne saurait en faire un reproche à sa fille. Sa fille et elle marchent comme elles doivent marcher, par un effet des lois de la nature. C’est un faux rapport que celui qui a été saisi entre les deux écrevisses, et celui d’une mère vicieuse que sa fille imite. Cet Apologue, pour être d’Ésope, ne m’en paraît pas meilleur. Il a réussi, parce que cette image offre, en résultat, une très-bonne leçon.

V. 27…. Quant à tourner le dos
A son but, j’y reviens…

Il ne fallait pas y revenir. J’en ai dit la raison plus haut.

Fable XI.

V. 6…. Mais l’aigle ayant fort bien dîné…

L’auteur explique pourquoi l’aigle ne mangea pas la pie.

La raison que donne l’aigle du besoin qu’elle a d’être désennuyée, est très-plaisante ; et l’exemple de Jupiter est choisi merveilleusement.

V. 25. Ce n’est pas ce qu’on croit, que d’entrer chez les dieux.

Vers excellent ; mais je n’aime point l’habit de deux paroisses.

Fable XII.

Le prince à qui cette fable est dédiée, était le prince Louis de Conti, neveu du Grand Condé, et fils de celui qui joua un si grand rôle dans la guerre de la fronde. C’était un des grands protecteurs de La Fontaine, ainsi que le prince de la Roche-sur-Yon son frère, qui eut depuis le nom de prince de Conti. Ce dernier se rendit célèbre, par la valeur et les talens qu’il montra dans les journées de Fleurus et de Nervinde. C’est lui qui fut élu roi de Pologne en 1697, et qui mourut en 1709, sans avoir pu prendre possession de cette couronne.

V. 4. Non les douceurs de la vengeance.

Ceci est d’une meilleure morale que les deux vers qui se trouvent dans la fable 12 du livre X.

… Je sais que la vengeance
Est un morceau de roi, car vous vivez en dieux.

J’ai négligé alors d’y mettre un correctif, pour éviter la longueur ; mais voilà La Fontaine qui met ce correctif lui-même. Il vaut mieux l’entendre que moi.

V. 11…. En cet âge où nous sommes.

C’est un malheur de notre poésie, que, dès qu’on voit le mot hommes à la fin d’un vers, on puisse être sûr de voir arriver à la fin de l’autre vers, où nous sommes, ou bien tous tant que nous sommes. L’habileté de l’écrivain consiste à sauver cette misère de la langue, par le naturel et l’exactitude de la phrase où ces mots sont employés.

V. 12. L’univers leur sait gré du mal qu’ils ne font pas.

C’est un fort bon vers, quoique l’idée en soit assez commune.

V. 13. Un siècle de séjour ici doit vous suffire.

Ce pronostic fut malheureusement bien démenti, puisque ce jeune prince mourut en 1685, deux ou trois ans peut-être après cette pièce.

V. 25. Et la princesse, etc….

C’était elle qui, avant d’être mariée, s’appelait mademoiselle de Blois. Elle était fille du roi et de madame la duchesse de la Valière. Elle ne mourut qu’en 1739. Il y eut aussi une autre mademoiselle de Blois, fille de Louis XIV et de madame de Montespan. Cette dernière fut mariée au duc d’Orléans régent, et ne mourut qu’en 1749.

V. 27. Des qualités qui n’ont qu’en vous, etc….

Tous ces éloges directs ne me paraissent ni ingénieux ni dignes de La Fontaine : et ce qui sait se faire estimer joint à ce qui sait se faire aimer, tout cela me paraît d’un ton trivial et bourgeois.

V. 33. Il ne m’appartient pas d’étaler votre joie,

Manque un peu trop de délicatesse ; et c’est une transition bien lourde que celle-ci.

V. 34. Je me tais donc et vais rimer
Ce que fit un oiseau de proie.

Cela me rappelle une transition aussi brusque, mais plus plaisante de Scarron, je crois. La voici : Des aventures de ce jeune prince à l’histoire de ma vieille gouvernante, il n’y a pas loin, car nous y voilà.

Je ne ferai aucune note sur cette fable, qui me paraît au-dessous du médiocre, et où l’on ne retrouve La Fontaine que dans ces deux jolis vers :

V. 71…. Ils n’avaient appris à connaître
Que les hôtes des bois ; était-ce un si grand mal ?

Fable XIII.

V. 2. Renard fin, subtil et matois.

La note de Coste indique une application assez juste de cet Apologue. Mais alors, pourquoi prendre le renard, le plus fin des animaux ? Il me semble que c’est mal choisir le représentant du peuple, lequel n’est pas, à beaucoup près, si spirituel et si délié. C’est qu’il fallait de l’esprit pour faire la réponse que fait l’animal mangé des mouches ; et sous ce rapport, le renard a paru mieux convenir.

Fable XIV.

V. 7. Comment l’aveugle que voici.

La Fontaine suppose que l’amour est là, et lui tient compagnie. Cela devrait être, quand on écrit une fable aussi charmante que celle-ci.

V. 8. (C’est un dieu.).

Cette parenthèse est pleine de grâces, et les deux vers suivans sont au-dessus de tout éloge.

V. 9. Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ?
J’en fais juge un amant, et ne décide rien.

Est-ce un bien, est-ce un mal, que l’amour soit aveugle ? Question embarrassante que La Fontaine ne laisse résoudre qu’au sentiment.

Toute cette allégorie est parfaite d’un bout à l’autre : et quel dénouement ! Est-ce un bien, est-ce un mal que la folie soit le guide de l’amour ? C’est le cas de répéter le mot de La Fontaine :

V. 10. J’en fais juge un amant, et ne décide rien.

Fable XV.

V. 6. Que dans ce temple on aurait adorée.

Il me semble que les six vers suivans ne disent pas grand chose : Junon et le maître des dieux, qui seraient fiers de porter les messages de la déesse Iris ; cela n’ajoute pas beaucoup à l’idée qu’on avait de madame de la Sablière. Il faut, dans la louange, le ton de la vérité. C’est lui seul qui accrédite la louange, en même temps qu’il honore et celui qui la reçoit et celui qui la donne.

V. 22. Son art de plaire et de n’y penser pas.

Voilà un de ces vers qui font pardonner mille négligences, un de ces vers après lequel on n’a presque plus le courage de critiquer La Fontaine.

V. 26. Même des dieux : ce que le monde adore
Vient quelquefois parfumer ses autels.

Sa société étoit en effet très-recherchée, et cela déplaisait à plus d’une princesse. Mademoiselle de Montpensier, qui ne la connaissait pas, qui même ne l’avait jamais vue, dit, dans ses Mémoires, que le « marquis de Lafare et nombre d’autres passaient leur vie chez une petite bourgeoise, savante et précieuse, qu’on appelait madame de la Sablière. » Cela veut dire seulement, en style de princesse, que madame de la Sablière avait de l’esprit et de l’instruction, qu’elle voyait bonne compagnie à Paris, et n’avait pas l’honneur de vivre à la cour.

V. 32. Car cet esprit qui, né du firmament.

Ces quatre rimes masculines de suite sont aussi trop négligées. Et puis le firmament est presque un mot de théologie qui paraît ici déplacé.

V. 38. Ceci soit dit sans nul soupçon d’amour.

Il ne fallait pas revenir là-dessus, après avoir dit beaucoup mieux et sans apprêt :

V. 30. Car ce cœur vif et tendre infiniment
Pour ses amis, et non point autrement.

Le reste me paraît faible.

Je trouve aussi l’idée de la fable un peu bizarre, mais il y a des vers heureux. J’en remarquerai quelques-uns.

V. 35…. Douce société.

A la bonne heure, quoique je la trouve un peu singulière.

V. 56. Le choix d’une demeure aux humains inconnue.

La Fontaine ne passe point pour misanthrope. C’est qu’il n’a point la mauvaise humeur attachée à ce défaut. Mais nous avons déjà vu plusieurs traits sanglans de satire contre l’humanité : et ce dernier montre assez ce qu’il pensait des hommes.

V. 77. Car, à l’égard du cœur, il en faut mieux juger.

C’est-là un trait charmant d’amitié, de ne pas croire à l’oubli, aux torts, au refroidissement de ses amis.

V. 134. A qui donner le prix ? au cœur, si l’on m’en croit.

C’est donc La Fontaine qui aura ce prix : car on ne peut mieux prendre le ton du cœur qu’il ne le prend dans ce dernier morceau. Il rappelle en quelque sorte celui qui termine la fable des deux amis, celle des deux pigeons. Mais le sujet ne permettait pas une effusion de sentimens aussi touchante. Il y a, entre ce morceau et les deux que je cite, la même différence qui se trouve entre l’intérêt d’une société aimable et le charme d’une amitié parfaite.

Il paraît que cette fable avait été laissée dans le porte-feuille de l’auteur, et qu’elle était faite depuis longtemps  ; car il y parle un peu d’amour : ce qui eût été ridicule à l’âge où il était, quand ce douzième livre parut. Au reste, peut-être n’y regardait-il pas de si près ; peut-être croyait-il que, tant que l’âme éprouve des sentimens, elle peut les énoncer avec franchise. Il ne songeait point à une vérité triste qu’un autre poète a, depuis La Fontaine, exprimée dans un vers très-heureux ; la voici :

Quand on n’a que son cœur, il faut s’aller cacher.

Fable XVI.

V. 5. L’homme enfin la prie humblement.

Pourquoi cette prière si humble ? Pourquoi l’homme n’arrachait-il pas une branche ? Cela n’est pas motivé. D’ailleurs la morale de cet Apologue rentre dans celui du cerf et de la vigne, qui est beaucoup meilleur (Livre V, fable 15).

Fable XVII.

V. 1. Un renard jeune encore….

Même défaut dans cet Apologue que dans le précédent. C’est presque la même chose que celui du loup et du cheval (livre V, fable 8). Il est vrai qu’il a une leçon de plus, celle de la vanité punie.

V. 25. Le loup, par ce discours flatté,
S’approcha. Mais sa vanité
Lui coûta quatre dents, etc…

L’avantage aussi que La Fontaine a trouvé en introduisant ici un acteur de plus qu’en l’autre, c’est de faire débiter la morale par le renard, au lieu que, dans l’autre fable, le loup se la débite à lui-même, malgré le mauvais état de sa mâchoire.

Fable XVIII.

V. 3. Le perfide ayant fait tout le tour du rempart.

Cette fable est jolie et bien contée ; mais elle aura peu d’applications, tant qu’il sera vrai de dire qu’on ne guérit pas de la peur.

Fable XIX.

V. 1. Il est un singe dans Paris….

Comment est-il possible que La Fontaine ait fait une aussi mauvaise petite fable ? Comment ses amis la lui ont-ils laissé mettre dans ce recueil ? Un singe qui bat sa femme, qui va à la taverne, qui s’enivre : qu’est-ce que cela signifie ? et quel rapport cela a-t-il avec les mauvais auteurs ? Le froid imitateur, le plagiaire même d’un grand écrivain peut d’ailleurs n’être ni mauvais mari, ni mauvais père, ni ivrogne, etc., enfin ne faire nul tort à la société, que de l’excéder d’ennui.

Fable XX.

V. 1. Un philosophe austère….

Après une mauvaise petite pièce, en voici une excellente. Ce n’est point à la vérité un Apologue, mais une fort bonne leçon de morale, et plusieurs vers sont admirables ; tels sont ceux-ci :

V. 4. Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,
Homme égalant les rois, homme approchant des dieux,
Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille.

Tel est encore le dernier :

Ils font cesser de vivre ayant que l’on soit mort.

Mais ce qui est au-dessus de tout, c’est ce trait de poésie vive et animée, qui suppose que des arbres coupés et, pour ainsi dire, mis à mort, vont revivre sur les bords du Styx.

V. 17. Laissez agir la faux du temps :
Ils iront assez-tôt border le noir rivage.

Nul poète n’est plus hardi que La Fontaine ; mais ses hardiesses sont si naturelles, que très-souvent on ne s’en aperçoit pas, ou du moins on ne voit pas à quel point ce sont des hardiesses. C’est ce qu’on peut dire aussi de Racine.

Fable XXI.

V. 1. Autrefois l’éléphant et le rhinocéros…

Nous retrouvons pourtant un véritable Apologue, c’est-à-dire, une action d’où naît une vérité morale voilée dans le récit de cette action même.

Cette fable est excellente, et on la croirait du bon temps de La Fontaine. La vanité de l’éléphant, le besoin qu’il a de parler voyant que Gille ne lui dit mot, l’air de satisfaction et d’importance qui déguise mal son amour-propre, le ton qu’il prend en parlant du combat qu’il va livrer et de sa capitale : tout cela est parfait. La réponse du singe ne l’est pas moins, et le dénouement du brin d’herbe à partager entre quelques fourmis, est digne du reste.

Fable XXII.

V. 1. Certain Fou poursuivait….

Joli petit conte, et bonne leçon pour qui peut en profiter ; mais j’imagine que les occasions en sont rares.

Fable XXIII.

À Madame Harvey.

 

Madame Harvey était une dame anglaise qui avait beaucoup d’amitié pour La Fontaine, et même c’est elle principalement qui l’engageait à passer en Angleterre, après la mort de madame de la Sablière et de M. Hervard. C’était une femme de beaucoup d’esprit.

V. 5….. Et le don d’être amie,

Expression bien heureuse que La Fontaine a inventée et rendue célèbre.

V. 16. Ils étendent partout l’empire des sciences.

Rien n’était plus vrai et plus exact. La société royale de Londres fondée sous Charles II, jetait les fondemens de la vraie physique établie sur les expériences et sur les faits.

V. 19. Même les chiens de leur séjour.

Voilà qui me paraît étrange ; mais à toute force peut-être les chiens anglais sentent-ils mieux le renard que les nôtres. Ils le chassent plus souvent.

V. 49. Tant il est vrai qu’il faut changer de stratagème.

Nous avons vu dans la fable du chat et du renard :

N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.

Il faut qu’un auteur évite ces contradictions formelles.

V. 52…. Est-il quelqu’un qui nie
Que tout anglais…

Quoi ! tous les anglais ont de l’esprit ! il n’y a point de sots chez eux ! A quoi La Fontaine songeait-il en écrivant cela ?

V. 56. Je reviens à vous….

Ce tour est froid. Il faut revenir à son ami sans y penser et sans l’y faire songer lui-même.

V. 62…. Des nations étranges.

Il veut dire étrangères. Corneille se sert du même mot dans ce sens ; mais ni Boileau, ni Racine ne se le sont permis. Toute cette fin me paraît dénuée de grâces, et le mot de Charles II à madame Harvey :

V. 63…. Qu’il aimait mieux un trait d’amour,
Que quatre pages de louanges ;

Ce mot seul vaut mieux que tout ce que dit ici La Fontaine à cette dame et à madame de Mazarin.

Fable XXIV.

V. 8. Et que j’ai le secret de rendre exquis et doux.

Cela est très-vrai, témoin les quatre vers de cette pièce et ceux qui suivent.

V. 15. Vous n’auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l’éloge rejaillit.
V. 17. Gardez d’environner ces roses
De trop d’épines, etc….

Mais, malgré la louange dont La Fontaine se gratifie, nous avons vu qu’il n’était pas si heureux dans l’éloge de M. le prince de Conti et de madame Harvey.

Au reste, toute cette pièce est très-agréable ; mais elle fait peut-être allusion à quelque petit secret de société qui la rendait plus piquante : par exemple, au peu de goût que mademoiselle de la Mésangère pouvait avoir pour le mariage, ou pour quelque prétendant appuyé par sa mère.

V. dernier. Non plus qu’Ajax, Ulysse, et Didon son perfide.

Deux silences cités comme sublimes, l’un dans l’Odyssée, l’autre dans l’Énéide.

Fable XXV.

V. 4. Tous chemins vont à Rome….

C’est un vieux proverbe qui devient ici plaisant, appliqué à la canonisation.

V. 8. S’offrit de les juger sans récompense aucune.

Ce vers aurait pu donner l’idée de la petite comédie intitulée le Procureur arbitre, dont le héros se conduit de la même manière.

V. 18. Les malades d’alors étant tels que les nôtres.

Manière bien plaisante d’expliquer pourquoi les malades d’alors étaient insupportables. Le ton de satire appartient absolument à La Fontaine.

V. 37. Il faut, dit l’autre ami, le prendre de soi-même.

C’est-là un des meilleurs conseils que le sage pût donner ; et je voudrais que La Fontaine eût composé un ou deux Apologues pour en faire sentir l’importance.

Tout le discours du solitaire est parfait, et ceux qui aiment les vers le savent par cœur.

V. 53. Ce n’est pas qu’un emploi….

La Fontaine a senti l’objection prise du tort que l’on ferait à la société, si le goût de la retraite devenait trop général. Il nie que cela puisse arriver.

V. 56. Ces secours, grâce à dieu, ne nous manqueront pas :
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.

Et il revient de nouveau au plaisir de prêcher l’amour de la retraite : et quelle force de sens dans ces vers-ci :

V. 60. Magistrats, princes et ministres,
……………………………………………
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt.

Et surtout ce vers admirable qui suit :

Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.

On pourrait finir par un Apologue plus parfait, mais non par de meilleurs vers.