(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 121-125
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 121-125

2. LEMONNIER, [N.] Chanoine de la Sainte-Chapelle, né en Normandie en 17..

D’abord, intelligent & heureux dans la Traduction de Térence, il s’est singuliérement mépris dans celle de Perse, faite suivant un nouveau systême que l’exécution n’a point justifié. Les Traductions du premier de ces deux Poëtes, par M. le Maître de Sacy & par Madame Dacier, ne sembloient pas pouvoir être surpassées. M. l’Abbé Lemonnier a fait voir qu’on pouvoir enchérir encore ; Térence a paru, dans notre Langue, avec une aisance & une exactitude qu’il eût employées lui-même pour s’exprimer, s’il eût écrit en François.

Perse, au contraire, a eu un sort bien différent. Le Traducteur, pour s’être attaché à rendre ce Poëte mot à mot, lui fait parler un langage tudesque & très-souvent inintelligible. Il n’a pas fait attention que chaque Langue a son génie particulier, ses tours, ses licences, & que prétendre les faire passer littéralement dans une autre Langue, c’est dénaturer également & l’Original & la Langue dans laquelle on traduit. Telle expression noble dans le Latin, devient ridicule dans le François. Nous n’en citerons qu’un exemple, parce que cette matiere a été suffisamment éclaircie.

Pline, en parlant des qualités extérieures de Trajan, dit, après en avoir fait l’énumération, nonne longè latèque Principem ostentant ? Seroit-ce bien traduire que d’exprimer ainsi cette pensée ? Ses dehors ne montrent-ils pas le Prince en long & en large ?

Telle est pourtant la maniere dont le nouveau Traducteur veut qu’on rende les Auteurs, & celle à laquelle il s’est attaché dans la Version des Satyres de Perse. L’Abbé de Marolles, le plus méprisé aujourd’hui de tous les Traducteurs, n’a pas poussé la servitude jusque là. Horace avoit déjà proscrit l’assujettissement littéral, nec verbum verbo curabis reddere fidus interpres. Ceux qui se sont fait un nom dans la Traduction, ne l’ont dû qu’à leur attention à se pénétrer de l’esprit de leur original, à en saisir les beautés, & à les faire passer dans une Langue étrangere, sans s’attacher à l’exactitude des mots. C’est surtout en fait de Traduction, que la lettre tue & que l’esprit donne la vie.

Le mauvais succès de la Version de Perse déterminera sans doute M. l’Abbé Lemonnier à suivre pour celle de Plauté, à laquelle il travaille, dit-on, la même méthode qu’il a observée en traduisant les Comédies de Térence. Cette méthode est certainement la meilleure ; & pourquoi chercher des routes nouvelles, quand on peut marcher avec aisance & avec sûreté dans un chemin depuis long-temps connu pour conduire à la perfection ?

Le volume de Fables qu’il a publiées, a déjà prouvé combien il est capable de saisir, dans la pratique, le vrai caractere de chaque genre. Peu de nos Fabulistes ont montré plus de talens pour faire ressortir une morale saine, instructive & touchante, des sujets qui paroîtroient d’abord le moins s’y prêter ; plus d’aisance & de vivacité dans la versification ; plus de naturel & d’aménité dans la maniere d’exprimer leurs pensées. Ces qualités, que nous reconnoissons dans les Fables de M. Lemonnier, ne font pas oublier, il est vrai, que ses détails tombent souvent dans la diffusion, à force de fécondité ; que sa simplicité, pour être trop familiere, devient quelquefois triviale & rebutante ; que sa facilité à tourner une même pensée de différentes façons, donne un air languissant à certains endroits de ses Récits, riches d’ailleurs en tournures, en images, & en sentimens. Mais ces défauts sont aussi aisés à corriger, que faciles à connoître. En continuant le genre pour lequel il semble né, le Fabuliste en écartera ce qui le dépare ; & ses talens, perfectionnés par ce moyen, n’auront même plus besoin de l’indulgence, qu’ils sont en droit d’obtenir aujourd’hui par le mérite qui les annonce. Il n’est pas moins important pour lui de se guérir d’un amour de la singularité, qui se manifeste dans toutes ses Préfaces. Celle qui est à la tête de ses Fables, par exemple, est sur-tout marqué au coin de l’indépendance & de l’innovation. Rien de plus déplacé que de consacrer tant de pages à dénaturer les justes idées que nous avions de l’Apologue, à en présenter de fausses, & à proscrire les regles respectées jusqu’à nous. Cette Préface est remplie d’ailleurs d’inutilités, de méprises, de paradoxes, de critiques injustes, très-faciles à réfuter, si les bornes d’un Article, tel que celui-ci, nous le permettoient. En Littérature, comme en Morale, vouloir tout réduire à l’arbitraire, c’est moins la preuve d’un esprit inventif & original, que l’indice de la dépravation du jugement & de l’inquiétude qui en est le fruit.