(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »
/ 1798
(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Livre cinquième.

Fable I.

Vers 6. Un auteur gâte tout… On voit, par ce petit prologue, que La Fontaine méditait plus qu’on ne le croit communément sur son art et sur les moyens de plaire à ses lecteurs. Madame de la Sablière l’appelait un fablier, comme on dit un pommier ; et d’après ce mot, on a cru que La Fontaine trouvait ses fables au bout de sa plume. La multitude de ses négligences a confirmé cette opinion ; mais sa négligence n’était que la paresse d’un esprit aimable qui craint le travail de corriger, de changer une mauvaise rime, etc. Il y a quelques négligences même dans ce Prologue :

V. 11. Enfin si, dans mes vers, je ne plais et n’instruis,
Il ne tient pas à moi ; c’est toujours quelque chose.

Cela est commun et ne valait pas trop la peine d’être dit ; mais il y a plusieurs vers charmans, comme :

V. 6. Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire ;
Non qu’il faille bannir certains traits délicats :
Vous les aimez ces traits, et je ne les hais pas.
V. 20. Deux pivots sur qui roule aujourd’hui notre vie.

Ce vers et cent autres prouvent que La Fontaine ne manque point de force, quoiqu’il ne s’en pique point ; mais il la cache sous un air de bonhommie.

V. 27. Une ample comédie à cent actes divers.

C’est là le grand mérite de La Fontaine, et c’est son secret qu’il nous donne. Tous les fabulistes ont fait parler les animaux ; mais La Fontaine entre, plus qu’eux tous, dans le secret de nos passions, quand il les fait parler.

V. 31….. Aux belles la parole. Parole et rôle riment très-mal. La difficulté de la rime a fait pardonner cette faute à des poètes moins négligés que La Fontaine.

V. 33. Un bûcheron…. Cette fable, et les quatre suivantes, sont du ton le plus simple. Elles n’ont ni de grandes beautés, ni de grands défauts. Elles n’offrent rien de bien remarquable.

Fable II.

V. 25. Au moindre hoquet qu’ils treuvent.

Treuvent… avecque… Ces mots-là, qu’on pardonnait autrefois, sont devenus barbares. Je l’ai déjà observé, et je n’y reviendrai plus.

Fable III.

V. 26. Quelques gros partisans…

Voilà un bon trait de satyre, et il est plaisant de faire parler ainsi le petit poisson.

Fable IV.

V. 11. N’allât interpréter à cornes leur longueur.

Ce tour n’est guère dans le génie de notre langue, et la grammaire trouverait à chicanner ; mais le sens est si clair que ce vers ne déplaît pas.

V. 20…. Et cornes de licornes.

Cette consonnance fait ici un très-bon effet, parce qu’elle arrête l’esprit sur l’idée de l’exagération qu’emploient les accusateurs.

Fable V.

V. 15. Mais tournez-vous de grâce…

Molière n’aurait pas dit la chose d’une manière plus comique.

Fable VI.

Voici une fable où La Fontaine retrouve ses pinceaux et sa poésie, ce mélange de tours et cette variété de style qui est propre. La peinture du travail des servantes, celle de l’instant de leur réveil, sont parfaites. Dans la plupart des éditions, il y a une faute qui défigure le sens, toutes entraient en jeu : il faut lire, vers 7, tourets entraient au jeu. Ce sont de petits tours à dévider le fil.

Fable VII.

Cette fable est visiblement une des plus mauvaises de La Fontaine. On a déjà remarqué que le satyre, ou plutôt le passant, fait une chose très-sensée en se servant de son haleine pour réchauffer ses doigts, et en soufflant sur sa soupe afin de la refroidir ; que la duplicité d’un homme qui dit tantôt une chose et tantôt l’autre n’a rien de commun avec cette conduite, et qu’ainsi il fallait trouver une autre emblème, une autre allégorie pour exprimer ce que la duplicité a de vil et d’odieux.

Fable VIII.

V. 2. Que les tièdes zéphirs ont l’herbe rajeunie.

Cette transposition, au lieu de ont rajeuni l’herbe, était autrefois admise dans le style le plus noble ; elle n’est plus reçue que dans le style familier, et encore faut-il en user sobrement. Elle vieillit tous les jours.

Prés… propriétés…. Mauvaises rimes.

V. 24. Mon fils… L’hypocrite redouble de tendresse au moment où il se croit sûr de réussir.

Fable IX.

V. 10…. Dès qu’on aura fait l’oût.

L’oût. Vieux mot qui veut dire la moisson, et dont on se sert encore en quelques provinces.

Fable X.

V. 8. Dont le récit est menteur,
Et le sens est véritable.

Toutes les fables, quand elles sont bien faites, doivent être dans le même cas, et cacher un sens vrai sous le récit d’une action inventée. D’où vient donc La Fontaine n’applique-t-il cette réflexion qu’à l’Apologue actuel ? Serait-ce qu’une montagne prête d’accoucher lui aurait paru plus contraire à la vraisemblance qu’une lime qui adresse la parole à un serpent ? Cela serait une grande bonhommie.

V. 14. Du vent.

Ce vers de deux syllabes fait ici un effet très-agréable ; et on ne peut exprimer mieux la nullité de la production annoncée avec faste.

Fable XI.

Cette fable n’est guère remarquable que par la simplicité du ton et la pureté du style.

Fable XII.

Cette fable est moins un apologue qu’une épigramme. Comme telle, elle est même parfaite, et elle figurerait très-bien parmi les épigrammes de Rousseau.

Fable XIII.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor.

Cette consonnance de l’hémistiche et de la rime est désagréable à l’oreille.

Fable XIV.

Les deux derniers vers de cette petite fable sont devenus proverbe.

D’un magistrat ignorant,
C’est la robe qu’on salue.

Fable XV.

V. 2…. En de certains climats. En Italie, par exemple, où l’on marie la vigne à l’ormeau, au tilleul, etc.

V. 6. Broute sa bienfaitrice… Est une expression hardie, mais amenée si naturellement, qu’on ne songe point à cette hardiesse.

Fable XVI.

V. 13. Je ne crains que celle du temps.

Cette idée très-philosophique, jetée dans le discours que La Fontaine prête à la lime, fait beaucoup d’effet, parce qu’elle est entièrement inattendue.

Fable XVII.

V. 2. Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux ?

Cette raison de ne pas se moquer des misérables, a l’air d’être peu noble et peu généreuse. En effet, une âme honnête ne se moquerait pas des misérables, quand même elle serait assurée d’être toujours dans le bonheur. Mais La Fontaine se contente de nous renvoyer au simple bon sens, et fonde sa morale sur la nature commune et sur la raison vulgaire. On a remarqué qu’il n’était pas le poète de l’héroïsme, c’est assez pour lui d’être celui de la nature et de la raison.

V. 15. Sur leur odeur ayant philosophé,
Conclut………
Et Rustaut qui n’a jamais menti.

La Fontaine se sert exprès de ces expressions qui appartiennent à l’art de raisonner, que l’homme dit être son seul partage, et que Descartes refuse aux animaux.

Fable XVIII.

V. 9. Comme vous êtes roi, vous ne considérez
Qui ni quoi……..

N’est-il pas plaisant de supposer que ce soit un effet nécessaire et une suite naturelle de la royauté, de n’avoir d’égard ni pour les choses ni pour les personnages ? Ce tour est très-satyrique, et sa simplicité même ajoute à ce qu’il a de piquant.

V. 21…. Dieu donna géniture.

Les cinq rimes en ure font un effet très-mauvais, et c’est pousser la négligence, c’est-à-dire la paresse un peu trop loin. Il était bien aisé de corriger cela.

V. 37. Ou plutôt la commune loi.

Cela est vrai ; mais s’il est ainsi, à quoi sert la morale en général, et où est la morale de cette fable en particulier ? Pour donner une moralité à cet Apologue, il fallait faire entendre que l’esprit consiste à s’élever au-dessus des illusions de l’amour propre, et que notre véritable intérêt doit nous conseiller de nous défier sans cesse de notre vanité.

Fable XIX.

La manière dont le roi distribue les emplois de son armée est très-ingénieuse ; ces quatre vers qui expriment la moralité de cette fable sont excellens, et le dernier surtout est parfait.

Le monarque prudent et sage,
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talens.
Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens

Fable XX.

V. 4…. Du moins à ce qu’ils dirent.

Cette suspension fait un effet charmant. Jusqu’à ce mot, on croirait que l’ours est mort, ou du moins pris et enchaîné.

V. 15…. Il fallut le résoudre… se défaire.

Ce mot de résoudre se prenait autrefois dans le sens que lui donne La Fontaine.

V. 28…. Otons-nous, car il sent.

Peut-on peindre mieux l’effet de la prévention ? Cela me rappelle une farce dans laquelle Arlequin est représenté, couchant dans la 108 rue. Il se plaint du froid. Scapin fait avec sa bouche le bruit d’un rideau qu’on tire le long de sa tringle. Il demande à Arlequin comment il se trouve à présent. Oh ! dit celui-ci, il n’y a pas de comparaison.

V. 37. Il m’a dit qu’il ne faut jamais
Vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre.

La morale dans la bouche de celui qui vient d’être châtié, fait ici un effet d’autant meilleur que le trait est saillant et l’épigramme excellente.

Fable XXI.

Cette petite fable, ainsi que plusieurs de ce cinquième livre, est du ton le plus simple : les deux meilleures sans contredit sont celles de l’ours et celle de la vieille et les deux servantes. Nous serons plus heureux dans le livre suivant.