Ponchon, Raoul (1848-1937)
[Bibliographie]
Gazettes rimées, au Courrier français et au Journal.
OPINIONS.
Maurice Bouchor
Pour avoir la joie d’écrire un nom qui m’est cher et qui, je pense, n’a pas figuré encore dans votre enquête, je déclare que je donnerais toutes les productions à moi connues de nos symbolistes, pour n’importe laquelle des chroniques rimées de Raoul Ponchon.
Paul Verlaine
Raoul Ponchon est un poète très original, un écrivain absolument soi, descendant, c’est clair, d’une tradition, ainsi que tous, du reste, mais d’une tradition « de la première », française en diable, avec tout le diable au corps et tout l’esprit au diable, d’un bon diable tendre aux pauvres diables et diablement spirituel, coloré, musical, joli comme tout, fin comme l’ambre, léger, tel Ariel, et amusant, tel Puck, bon rimeur (j’ai mes idées sur la Rime, et quand je dis « bon rimeur », je m’entends à merveille, et c’est de ma part le suprême éloge), excellent versificateur aussi (je m’entends encore), un écrivain, enfin, tout saveur, un poète tout sympathie !
J’ai parlé des ascendants littéraires de Raoul Ponchon. À quoi bons des noms ? Pourtant, Villon et Marot, La Fontaine, puis Banville et Glatigny se commémorent ici de fait et de droit. Ponchon a aussi de Monselet certaines grâces, et c’est tout. Rien en lui, après ces incontestables rapports avec des esprits congénères, que de pleinement « genuine ». Son funambulesque n’est jamais souvent satirique et parfois doux-amer comme celui de Banville, non plus que sa finesse en quoi que ce soit épicurienne, à la façon d’ailleurs exquise de Monselet. Non, sa belle humeur éclate toute en belle humeur, sans plus, et s’il rit ou sourit, c’est virtuellement et bien pour le plaisir. D’où, pour moi, le poète sui generis et général en lui, le poète par excellence et de préférence, le poète pur et simple, si vous aimez mieux. Il n’est dans ses vers ni évidemment préoccupé de théories esthétiques, ni agité de passions politiques, ni mû par des principes de morale… ou de contraire, je me hâte de le dire pour rassurer tout le monde. La raillerie dont il use, toute pittoresque, atteint sans blesser, non qu’il n’ait souvent de bonnes étrivières au service des sottises par trop indignes d’indulgence et de toutes les laideurs. Nulle ironie dans le sens méchant et triste du mot. Une sérénité divine, pour ainsi parler, règne dans ses Chroniques rimées et solides de nombre et de son, d’un si savoureux beau français qui donne comme l’impression du faire robuste et râblé de maître Nicolas Boileau-Despréaux. Son calme regard passe en revue, non sans quelque hautaine goguenardise, courses et salons, audiences et séances, obsèques et premières, retenant tous détails nécessaires sans négliger d’aucune sorte l’ensemble à brosser largement.
L’amour même, et cette bonne chère de bonne compagnie qui entre trop peut-être dans la réputation de Ponchon auprès de ce monde qui côtoie le monde littéraire proprement dit, notre poète ne les célèbre qu’en artiste impeccable, très convaincu de son sujet, mais le dominant, et par conséquent apportant tout le sang-froid désirable dans la confection de ses délicieuses pièces de plaisant déduit et de crevailles. Son talent très fier ne souffre rien que d’absolument choisi au plus fin fond des considérables sensualités dont il s’agit, et vous serez ravis des deux preuves que voici de ce que j’avance là.