Boulogne, [Etienne-Antoine] Abbé, né à Avignon en 1749.
Il n’avoit pas encore vingt-six ans, qu’il avoit déjà rempli avec
distinction plusieurs Chaires de la Capitale ; & à juger de ses
lumieres & de son talent par son Eloge de Louis
Dauphin, pere de Louis XVI, proposé par une Société de
Gens de Lettres, qui lui a adjugé le prix d’une voix unanime, nous
pouvons assurer qu’il égalera les plus grands Orateurs Evangéliques,
s’il a soin d’employer avec plus de sobriété l’antithese, & de
rendre son style plus nombreux. Ses Périodes ne sont ni décousues ni
hachées, comme celles de la plupart des Orateurs de ce siecle ;
mais les incises en sont trop symétriques, ce qui donne à son élocution,
d’ailleurs forte de pensées & de couleur, un air maniéré qui la
dépare. A ce défaut de jeunesse près, dont il sera facile à cet Auteur
de se corriger, on peut dire que son
Discours
annonce un talent qui n’a besoin que d’être cultivé pour égaler celui
des grands modeles. Quand le portrait énergique qu’il y trace des
prétendus Philosophes de nos jours, & la sublime Prosopopée où il
représente le Dauphin s’adressant à la Religion, ne justifieroient pas
notre jugement, les persécutions qu’il a essuyées en entrant dans la
carriere de la part des ennemis que lui a suscités la jalousie, ces
persécutions suffiroient pour prouver sa supériorité ; &
véritablement peu d’hommes ont débuté avec plus d’éclat dans l’art de
l’Eloquence, & y ont acquis, plus jeunes, des titres à l’admiration.
Semblable à ces athletes qui s’exercent long-temps avant de paroître sur
l’arene, quoique né avec les plus heureuses dispositions, il a eu la
sagesse de ne se montrer au Public qu’après avoir mûri sa raison &
formé son esprit par l’étude des hommes & celle des bons Auteurs.
Aussi ce qui distingue sur-tout cet Orateur de ses Rivaux, c’est la
précision & la clarté du style, la noblesse des
expressions, la justesse & la profondeur des
idées, la variété des tons, la solidité des principes, & une grande
étendue de lumieres. On peut en juger par le morceau où il croit
entendre l’héritier du Trône s’adresser à la Religion, & lui dire,
dans une tendre effusion de son ame : « Divine Religion,
viens, unissons-nous ensemble pour concourir un jour au bonheur de
l’Empire auquel m’appelle ma naissance. Que pourrois-je sans
toi ? La Philosophie ne me donnera que d’inutiles
raisonneurs ; l’honneur humain, que des hypocrites ; la
Politique, que des courtisans ; mes récompenses, que des
flatteurs ; mes châtimens, que des esclaves : toi seule
peux me donner des Sujets. Par mes bienfaits, j’enchaînerai leurs
cœurs ; par tes leçons sublimes, tu les épureras ; par mes
soins, je contiendrai les vices ; par ta force divine, tu feras
germer les vertus ; j’encouragerai les arts, tu formeras les
mœurs ; je ferai respecter la justice, tu en inspireras
l’amour ; tu parleras quand les
Loix
se tairont ; & si jamais l’oubli des saints devoirs, si
l’ivresse de la puissance pouvoit jamais m’égarer moi-même, alors
tonne du haut des Cieux, remplis mon ame d’un effroi salutaire,
rappelle-moi à mes sermens ; & que, traîné devant ton
Tribunal, je reconnoisse qu’en toi seule les Princes ont un Juge,
& les Peuples un vengeur »
.