(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 346-348
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 346-348

Thou, [Jacques-Auguste de] Président au Parlement de Paris, sa patrie, né en 1553, mort en 1617.

Son Histoire universelle, qui ne renferme que l'espace de soixante-deux ans, est beaucoup plus estimable par le style que par l'expression. Nous expliquerons ceci, en disant qu'elle est écrite d'un ton noble & intéressant, mais défigurée par une latinité peu sûre, & surchargée d'une infinité de noms qu'il a rendus barbares, sous prétexte de les latiniser. C'est pourquoi il a fallu joindre à cette Histoire une espece de Vocabulaire, pour éclaircir l'obscurité de ces noms, qui eussent été méconnoissables sans ce secours. A cela près, on ne sauroit trop admirer l'étendue des connoissances, des recherches, & la littérature qu'elle offre à l'esprit du Lecteur, étonné de voir tant d'événemens traités sans confusion & avec une rare supériorité. Ce n'est pas que le génie de M. de Thou ne s'abaisse quelquefois à certains objets fort accrédités de son temps, tels que les prédictions, les présages, &c. qu'il ne s'engage quelquefois dans des digressions un peu longues, & ne s'écarte de son sujet principal ; mais il fait y revenir ensuite, & se faire pardonner ses écarts. La Politique, la Guerre, les Loix, la Littérature, tout prend sous sa plume un caractere de dignité, d'aisance, de profondeur, qui donne la plus haute idée de ses lumieres, soit acquises, soit naturelles.

Un travers qu'il eût dû certainement éviter, est un ton de partialité qui le rend téméraire dans ses conjectures, injuste dans ses jugemens, trop libre dans ses réflexions, trop amer dans ses censures, toutes les fois qu'il s'agit des Papes, du Clergé, & de ceux qui gouvernoient de son temps. Autant il est sévere à cet égard, autant est-il facile à se laisser entraîner au penchant qui le porte à adoucir, à justifier la conduite des Calvinistes, à faire valoir le mérite de leurs Chefs, & à célébrer les talens de ceux qui étoient attachés à leur Secte.

Ces sentimens, trop marqués en différens endroits dans son Histoire, firent naître des doutes sur sa catholicité, & le firent accuser par plusieurs Ecrivains, d'être secrétement du parti pour lequel il montroit tant d'indulgence. Cette accusation a été combattue & réfutée par ses Contemporains, ainsi que par des Ecrivains qui lui sont postérieurs. D'ailleurs, la maniere dont il est mort, en soumettant tous ses Ecrits au jugement de l'Eglise, est une preuve convaincante de l'orthodoxie de ses sentimens. S'il s'est échappé quelquefois, on doit plutôt attribuer ses écarts à de certaines séductions momentanées, qui agissent plus sur le cœur que sur l'esprit.

Nous ne parlons pas de ses Poésies, qui furent estimées de son temps, & qui sont aujourd'hui peu dignes d'être recherchées.