(1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »
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(1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

II

Le troisième volume de M. Hugo contient deux parties. Sous le titre d’Odes, il a compris, nous dit-il, toute inspiration purement religieuse, toute étude purement antique, toute traduction d’un événement contemporain ou d’une impression personnelle ; et il a rejeté, sous le nom de Ballades, des esquisses d’un genre fantastique, des scènes de magie, des traditions superstitieuses et populaires. D’un côté, il a placé la Bible et Jéhovah, les rois oints du Seigneur, les pompes funèbres de Saint-Denis, Néron, Gustafson, Napoléon ; il a mis de l’autre la légende dorée, les saints dans leurs châsses, les preux armés par leurs marraines, les espiègleries des lutins et les danses du sabbat. La plus lyrique des odes est celle des Deux Iles, comme la plus pittoresque des ballades est celle de la Fée et la Péri. Les beautés et les défauts qu’on peut y remarquer se retrouvent plus ou moins dans toutes les pièces du recueil. Nous insisterons sur les défauts en particulier : quoique divers en apparence, ils se rattachent presque tous à une cause commune qu’il faut rechercher et combattre dans la nature même du talent de M. Hugo et dans sa manière de composer.

Il n’est aucune âme tant soit peu délicate et cultivée qui ne se sente émue à l’aspect de certaines scènes de la nature ou au spectacle de certains événements historiques. Cette émotion ne ressemble à nulle autre ; ce n’est pas une émotion de colère, de haine, d’espérance, ni rien de pareil. Profondément distincte de ce qui tient aux passions personnelles, au milieu et comme au travers de leurs impressions, elle nous arrive plus désintéressée et plus pure, et ne nous parle que du beau, du sublime, de l’invisible. Pour apercevoir, par exemple, dans la destinée de Napoléon autre chose qu’un objet d’amour ou de haine, qu’un phénomène politique utile ou funeste, pour y voir une force énergique, immense, majestueuse, qui saisit et subjugue, il n’est pas besoin d’être poète, et il suffit d’être homme, de même encore que cela suffit pour voir dans une belle nuit ou dans une tempête autre chose que du sec ou de l’humide, du vent qui rafraîchit ou de la pluie qui enrhume. La plupart des esprits en sont là et s’y tiennent. Le beau leur apparaît par lueurs, et les lueurs une fois passées, ils n’y songent plus. Mais que ces révélations, d’ordinaire fugitives et rares, se succèdent et se reproduisent incessamment dans une âme ; qu’elles se mêlent à toutes ses idées et à toutes ses passions ; qu’elles jaillissent, éblouissantes et lumineuses, de chaque endroit où se porte la pensée, des récits de l’histoire, des théories de la science, des plus vulgaires rencontres de la vie ; que, cédant enfin à ces innombrables sensations qui l’inondent, l’âme se mette à les répandre au dehors, à les chanter ou à les peindre, là est le signe, là commence le privilège du poète. Le plus souvent, par malheur, ce passage de la pensée à l’expression n’est rien moins qu’un épanchement abondant et facile : mille obstacles l’arrêtent. Il faut que la volonté intervienne, qu’elle fasse effort ; et l’effort tue la poésie. Ces fantômes légers et capricieux, qui voltigent en pleine liberté au sein de l’intelligence, pâlissent et se dissipent devant le regard de l’attention. Si celle-ci ne les surprend et ne les enchaîne, en quelque sorte, par une expression rapide et flexible, qui leur donne à l’instant de la couleur et du corps, tout lui échappe aussitôt, et il ne lui reste plus qu’à combiner ensemble des syllabes et des rimes pour se consoler ou du moins s’étourdir. Lors même que plus heureux ou plus habile, on parvient à reproduire en partie ce que l’âme a conçu, il y a souvent encore mécompte par quelque endroit. Ou bien l’expression n’a retenu de la pensée qu’une faible réminiscence qu’elle laisse à peine entrevoir sous sa pâleur, ou bien elle a prêté à cette pensée trop d’éclat, trop de saillie, et l’a altérée en y ajoutant : c’est même là le défaut ordinaire d’un esprit impétueux et fort. Son activité s’imprime sans ménagement à tout ce qui tombe sous sa prise ; sa brusque imagination, pour une ou deux fois qu’elle rencontre avec bonheur, est vingt fois en défaut, froissant ce qu’elle ne devait que toucher, dépassant ce qu’il lui suffisait d’atteindre. De là une physionomie particulière de talent qu’il nous sera plus aisé de retracer d’après M. Hugo, car c’est lui-même que nous venons de signaler. Et d’abord, hâtons-nous de le reconnaître, la pensée qui respire au fond de toutes ses compositions est éminemment poétique. Quel autre qu’un poète en effet aurait pu, dans un mot échappé à l’histoire, retrouver le chant de Néron à la vue de Rome en flammes ? quel autre aurait pris garde à ce roi déchu, oublié par ses pairs au grand jour des restaurations légitimes, et se promenant depuis lors à travers l’Europe, avec son signe ineffaçable sur le front, sans être ni maître, ni sujet, ni citoyen ? Quel autre encore aurait songé à s’introduire dans l’ombre au sabbat de minuit, pour y psalmodier en chœur et y danser en ronde avec les démons ? La plupart des idées de M. Hugo, avant d’être mises en français et en vers, ont été dans sa tête des rêveries originales, et quelques-unes de sublimes rêveries. Mais en passant à l’état de style et de poésie proprement dite, elles ont subi le plus souvent d’étranges violences. Loin de s’affaiblir et de s’effacer, comme il arrive chez certains talents impuissants à rien reproduire, elles se sont forcées et chargées outre mesure. Ce n’est pas que le poète se forme du beau une image grossie et exagérée : bien au contraire, il nous semble intimement pénétré par instants des plus franches délicatesses de l’idéal. Mais, sensible et ardent comme il est, la vue d’une belle conception le met hors de lui ; il s’élance pour la saisir, et s’il ne l’a pas enlevée du premier coup à son gré, il revient sur ses traces, s’agite en tous sens et se fatigue longuement autour de la même pensée, comme autour d’une proie qui lui échappe. A l’aspect de cette poursuite opiniâtre, on finit, il est vrai, par compatir à l’angoisse du poète, et par démêler sous ses efforts ce je ne sais quoi d’ineffable auquel il aspire. Mais plus on entre avant dans son rêve, plus, en même temps, on regrette dans son œuvre cette mollesse primitive de nuances et de contours qu’il n’a pas assez respectée. En poésie, comme ailleurs, rien de si périlleux que la force : si on la laisse faire, elle abuse de tout ; par elle, ce qui n’était qu’original et neuf est bien près de devenir bizarre ; un contraste brillant dégénère en antithèse précieuse ; l’auteur vise à la grâce et à la simplicité, et il va jusqu’à la mignardise et à la simplesse ; il ne cherche que l’héroïque, et il rencontre le gigantesque ; s’il tente jamais le gigantesque, il n’évitera pas le puéril. M. Hugo pourrait nous en fournir des preuves : c’est dans les détails de ses compositions qu’il les faudrait prendre. Car, nous l’avons dit, l’inspiration première en est constamment vraie et profonde. Tout le mal vient de comparaisons outrées, d’écarts fréquents, de raffinements d’analyse ; et qu’on ne nous reproche pas d’imputer beaucoup trop à des bagatelles : Hæ nugæ seria ducunt. Ces bagatelles tuent en détail les plus heureuses conceptions. On se rappelle le Chant de Néron, et les concetti qui le déparent. Lorsque l’image du parricide et de l’incendiaire apparut pour la première fois au poète, elle était, à coup sûr, bien autrement grande et terrible. Pâle, l’œil égaré, à demi couché dans sa litière, promenant ses doigts mal assurés sur sa lyre, le lâche fanfaron de crime pouvait bien déjà demander des roses et du falerne, mais ce devait être d’une voix troublée qui trahissait l’ivresse et le remords. Absorbé dans son atroce jouissance, dont le réveillait par instants un cri lointain arrivé à ses oreilles, il ne s’amusait guère à énumérer par leurs noms et qualités Pallas l’affranchi, le Grec Agénor, Aglaé de Phalère et Sénèque, qui, tout en louant Diogène, buvait du falerne dans l’or . Au lieu de ces souvenirs classiques que M. Hugo n’a songé que plus tard à lui rappeler, au lieu de ces descriptions un peu superficielles de flammes ondoyantes, de fleuves de bronze, etc., etc., où l’auteur a pris insensiblement la place de son personnage, c’était l’âme du tyran qu’il s’agissait surtout de nous révéler dans toutes ses profondeurs, avec ses joies dépravées et ses cuisantes tortures, telle en un mot que l’éclairait l’incendie criminel où elle trouvait à la fois un supplice et une fête. Je me figure que M. Hugo l’avait conçu de la sorte ; mais en approchant de la scène, son imagination l’a entraîné ; il s’est fait involontairement spectateur, et la pompe de l’incendie l’a bien plus occupé que le cœur de Néron.

Lorsque M. Hugo n’a pas à sortir de lui-même, et qu’il veut rendre seulement une impression personnelle, nous avons déjà remarqué que ses défauts disparaissent. Plus de divagations alors, plus d’exagération ; il ne perd point de vue, il n’altère point ce qu’il sent ; le tableau se compose sans efforts, et chaque idée apporte avec elle sa couleur. Telles nous semblent les stances à cette jeune fille que le poète engage à jouir de son enfance et à ne pas envier un âge moins paisible. Il n’y a que vingt vers ; mais ils sont parfaits de naturel et de mélodie : on dirait le doux et mélancolique regard par lequel l’homme qui a souffert répond aux caresses d’un enfant. Quand on a fait ces vingt vers, on doit comprendre qu’il est un moyen de laisser voir la pensée, sans s’épuiser à la peindre.

Une autre sorte de composition dans laquelle M. Hugo excelle souvent est le genre fantastique. Vague et sans limites, cette région lui convient à merveille : l’imagination y vit à l’aise, et peut s’y ébattre comme en son logis. Elle a beau se donner essor : il n’est guère ici pour elle d’écarts à craindre ni de caprice à réprimer. Je ne fais que rappeler la Fée et la Péri. Le lutin Trilby, adressé à M. Charles Nodier, est un petit chef-d’œuvre de grâce et de gentillesse. Espèce de colombe messagère entre les deux amis, Trilby arrive un soir chez le poète, porté sur un rayon du couchant ; et, avant la nuit, il repart avec le message du retour ; surtout il est bien prémuni contre les dangers du voyage :

N’erre pas à l’aventure,
Car on en veut aux Trilbys.
Crains les maux et la torture
Que mon doux Sylphe a subis.
S’ils te prenaient, quelle gloire !
Ils souilleraient d’encre noire,
Hélas ! ton manteau de moire,
Ton aigrette de rubis ;

Ou, pour danser avec Faune,
Contraignant tes pas tremblants,
Leurs satyres au pied jaune,
Leurs vieux sylvains pétulants,
Joindraient tes mains enchaînées
Aux vieilles mains décharnées
De leurs naïades fanées,
Mortes depuis deux mille ans.

On remarquera, en passant, l’agilité et la prestesse du rythme. Ces trois rimes féminines qui se suivent permettent d’exprimer tour à tour ce qu’il y a de sémillant et de vif dans les allures du lutin, d’éblouissant dans ses nuances, et de frémissant dans son murmure. Tout à côté du Trilby, quoique dans un ton bien différent, il faut placer sans hésiter l’admirable Ronde du sabbat. Jamais orgie satanique n’a été conçue ni rendue avec plus de verve : l’argot des diables, leurs rires bruyants, leurs bonds impétueux, tout cela se voit et s’entend. Aux gens timorés dont le goût crierait au scandale, il n’est qu’une réponse à faire : « Honnêtes gens, restez au coin du feu, et n’allez point au sabbat. » Je n’en dirai pas autant de la ballade du Géant. Non pas que cette conception poétique me paraisse au fond plus à réprouver que celle des lutins et des diables : l’esprit humain a toujours eu un faible pour les géants, et notre enfance a été bercée avec des contes d’ogres. Mais le géant de M. Hugo ne ressemble à aucun autre : à son air de prétention et d’apparat, on croirait voir une sorte de miles gloriosus, un vrai Bayard de tragédie. Il se décrit lui-même fort complaisamment, comme a fait autrefois le sylphe, et comme font assez volontiers tous les personnages du poète. D’abord il nous raconte que son père est vieux et faible, si faible et si vieux

Qu’à peine il peut encor déraciner un chêne
  Pour soutenir ses pas tremblants.

Pour lui, dans son adolescence, ses jeux étaient de prendre les aigles dans ses mains, d’éteindre les éclairs en soufflant dessus, de chasser devant lui les baleines, etc., etc. ; l’hiver, il faisait mordre ses membres gelés par les loups-cerviers, dont les dents blanches se brisaient dans la morsure. Mais aujourd’hui qu’il est devenu un homme-géant,

Ces plaisirs enfantins n’ont plus pour lui de charmes.

C’est aux pauvres humains qu’il en veut. Il fond sur les armées comme un cormoran, et de son poing fermé les écrase comme d’une massue. Toujours nu, dédaignant les armures, il n’emporte au combat que sa pique de frêne ,

Et ce casque léger que traîneraient sans peine
Dix taureaux au joug accouplés.

S’il vient à mourir, il veut une montagne pour tombeau. On voit que l’auteur a, d’un bout à l’autre, observé géométriquement les proportions de son sujet. Maître Rabelais s’est montré moins conséquent sans doute : son Pantagruel et son Gargantua se rapetissent et s’humanisent assez fréquemment ; mais du moins quand ils sont géants, ils le sont de meilleure foi et avec plus de bonhomie que celui de M. Hugo.

Si, dans l’abus de décrire, dont cette ballade offre un exemple, l’auteur a porté de la combinaison et du calcul, le plus ordinairement néanmoins la faute n’appartient qu’à son imagination. Cette imagination est si rapide en effet qu’elle se meut sur chaque point à la fois, et qu’elle met la main à tout ; elle devient analytique à force d’être alerte et perçante. Ce que Delille et ses disciples faisaient à froid et par système, M. Hugo le fait surtout par inadvertance et illusion ; c’est une sorte de simplicité enfantine qui se laisse prendre par les yeux. Au milieu de l’énumération des peuples soumis à Napoléon, à côté du Mameluk, du Turc, il mettra le Polonais qui porte une flamme à sa lance . Jamais il ne rencontrera une tour dont il ne compte les angles, les faces et les pointes :

Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales.

De là un éclat brillanté qui blesse ; nulle gradation de couleurs, nulle science des lointains : le pli d’un manteau tient autant de place que la plus noble pensée.

L’harmonie du style est soutenue dans M. Hugo et quelquefois un peu redondante, non pas cette harmonie attentive qui lie habilement les mots entre eux, mais celle qui marque le mouvement de la pensée et cadence la période. La rime est toujours d’une extrême richesse, et l’on a même à regretter souvent qu’elle n’en ait rien cédé pour subvenir aux nécessités bien autrement impérieuses de la langue et du goût. En général, l’auteur paraît avoir beaucoup réfléchi sur le mécanisme et les ressources de notre versification. Peut-être plusieurs des cacophonies de détail ne sont-elles, dans son intention, que des essais de poésie imitative ; peut-être, quand il a dit d’un rocher :

Son front de coups de foudre fume,

n’a-t-il voulu que rendre au naturel le sifflement du tonnerre qui tombe. Si telle a été son idée, il s’est mépris sur le génie de notre langue, qui, à tort ou à raison, repousse expressément ces combinaisons sonores.

On a beaucoup reproché à M. Hugo l’incorrection et les licences du style. Son style pourtant ne blesse jamais la grammaire ni le vocabulaire de la langue, et ne présente ni mots ni tours inusités. Les fautes habituelles sont des fautes de goût, et on les déduit même aisément des précédentes critiques : de la trivialité pour du naturel, du précieux pour de la force. Ainsi, dans l’ode à M. de Lamartine :

Ton bras m’a réveillé, c’est toi qui m’as dit : Va !

Ainsi, dans l’Hymne oriental :

Les tout petits enfants écrasés sous les dalles ;

dans l’ode à M. de Chateaubriand :

Toi qu’on voit à chaque disgrâce
Tomber plus haut encor que tu n’étais monté.

Dans la pièce, si charmante d’ailleurs, de la Promenade :

Plus de vide en mes jours ! pour moi tu sais peupler
Tous les déserts, même les villes.

Ajoutons quelques métaphores mal suivies, de l’impropriété dans les termes, trop d’ellipses dans la série des idées, des incidences prosaïques au milieu d’une éclatante poésie, et nous aurons terminé avec M. Hugo le compte rigoureux, mais nécessaire, que nous imposait notre estime même pour son talent. Ce talent est tellement supérieur, et il y aurait si peu à faire pour le rendre, sinon toujours égal, du moins toujours soutenu, que la critique serait coupable de dissimuler avec lui. Comme conseil de style, on n’a qu’à renvoyer à l’auteur ses propres paroles : « Un écrivain qui a quelque souci de la postérité, dit-il dans sa remarquable préface, cherchera sans cesse à purifier sa diction, sans effacer toutefois le caractère particulier par lequel son expression révèle l’originalité de son esprit ; le néologisme n’est d’ailleurs qu’une triste ressource pour l’impuissance. Des fautes de langage ne rendront jamais une pensée ; et le style est comme le cristal : sa pureté fait son éclat. » Quant à la composition même de ses odes et à l’invention lyrique, que M. Hugo se garde surtout de l’excès de sa force ; qu’à l’heure de la méditation, il sache attendre à loisir ses propres rêves, les laissant venir à lui et s’y abandonnant plutôt que de s’y précipiter ; qu’à l’heure de produire, il se reparte sans cesse aux impressions naïves qu’il veut rendre, les contemple longuement avant de les retracer, et plus d’une fois s’interrompe en les retraçant pour les contempler encore ; que, n’épuisant pas à chaque trait ses couleurs, il approche par degrés de son idéal, et consente, s’il le faut, à rester au-dessous plutôt que de le dépasser, ce qui est la pire manière de ne pas l’atteindre. Cette impuissance d’expression dont on a conscience est triste, mais souvent inévitable. Quel poète, vraiment poète, a jamais pu réaliser ce qu’il avait dans l’âme, et comparant son œuvre à sa pensée, s’est osé rendre ce témoignage proféré par Dieu seul, lorsqu’au milieu des splendeurs naissantes de l’univers, il vit que ce qu’il avait fait était bon  ? Quel poète, au fond du cœur, n’a senti murmurer cette plainte, qu’une muse brillante n’a point rougi de confier à M. Hugo lui-même :

… D’un cri de liberté
Jamais comme mon cœur mon vers n’a palpité ;
Jamais le rythme heureux, la cadence constante,
N’ont traduit ma pensée au gré de mon attente ;
Jamais les pleurs réels à mes yeux arrachés
N’ont pu mouiller ces chants de ma veine épanchés ?

Racine lui-même, j’oserai l’affirmer, Racine, dans les chœurs d’Esther et d’Athalie, n’a pas fait passer tout ce que son âme avait conçu de mélodie céleste et d’onction sacrée. Et quelle aisance pourtant dans ces admirables chœurs, quelle quiétude, quelle sérénité de génie ! C’est qu’il a senti combien devant l’impuissance humaine, il valait mieux encore se résigner que se débattre : là où il a désespéré d’être excellent, il a mieux aimé rester un peu faible, en voilant sa faiblesse d’une molle et noble douceur, que de s’épuiser en vains efforts pour retomber de plus haut. C’était la seule manière d’être parfait en poésie, autant qu’il est donné à l’humanité de le devenir.