(1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »
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(1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

Ernest Hello

Contes extraordinaires.

I

Je n’aime point ce mot « d’extraordinaires », Il est prétentieux et vague, quoique enflé, disant, du même coup maladroit, trop et pas assez… « Extraordinaires ! » Quel auteur ne croit pas ce qu’il fait « extraordinaire » ?… On avait déjà affligé de ce mot-là — commun au fond comme un trottoir — les contes d’Edgar Poe, traduits et révélés par Baudelaire, et que le profond américain, qui savait bien ce qu’il faisait, — qui avait, lui, mieux que personne, le sens lumineux de son œuvre, — avait appelés : Contes arabesques. Ils avaient, en effet, la fantaisie osée et calculée des arabesques ! Mais en ce beau pays de France, qui est très lâche en littérature, on prit peur de ce mot « d’arabesques » qui pouvait déconcerter les petites têtes françaises et tromper leur besoin de petite clarté… et on le ratura pour le remplacer par le mot « d’extraordinaires », bête comme une affiche de théâtre, un jour de solennelle représentation ! Le pauvre Baudelaire, qu’on faisait souffrir alors jusque dans sa propre originalité, mais qui n’en restait pas moins imperturbablement sûr de la gloire future de son auteur, souscrivit à tout, en frémissant, pour faire passer en France son ballot de génie, n’importe sous quel nom, et il passa sous le nom d’Histoires extraordinaires. Eh bien, voilà que les Contes extraordinaires rappellent assez servilement les Histoires extraordinaires ! Quelle richesse d’imagination !… Certes ! le mot de Contes, en titre, valait mieux tout seul. Et qui sait ? Peut-être Ernest Hello l’avait-il d’abord simplement écrit ?… Assurément, ce n’était pas là un titre irrésistible. Mais il était, du moins, sans bouffissure. Il n’avait pas la joue enflée du sonneur de trompe… Il ne promettait rien. Il pouvait tenir tout..

D’ailleurs, ce mot « d’extraordinaires » n’était pas même exact ici. Les Contes d’Ernest Hello ne le sont tous, extraordinaires, probablement que pour son éditeur. Il y en a quelques-uns, il est vrai, de très nouveaux et de très étonnants, mais il y en a plusieurs — et c’est le plus grand nombre — qui ne sont pas étonnants du tout, ou qui le sont comme il faudrait qu’ils ne le fussent pas… Ernest Hello étonne trop, quand, de la plume qui a écrit Ludovic, les Deux étrangers, Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? il écrit Ève et Marie, le Gâteau des Rois, la Recherche, etc… Je parlais plus haut d’arabesques ; mais Ernest Hello est lui-même une arabesque ! C’est en facultés, en talent, et même en sa personne, une arabesque, et d’invention très retorse et très compliquée. Dieu, qui est un très grand peintre en arabesques et en toutes autres peintures, l’a composé d’entrelacements très contrastants et très singuliers… La force, en lui, — une force intellectuelle par moments immense, — tout à coup se fond en faiblesse. Où l’homme aigu, perçant, incroyablement, sur naturellement intuitif, a-t-il passé ? Il procède par zigzags, comme l’éclair. Son talent, c’est une vision qui foudroie et qui disparaît… Après la lumière, beaucoup d’ombre. Plus qu’aucun écrivain, il fait penser aux deux vers de Quinault :

Il est beau qu’un mortel jusques au ciel s’élève !
Il est beau même d’en tomber !…

Il a aussi cette dernière beauté… la beauté de la chute… Fait d’inégalités, il va haut et il tombe, — et parfois il se démantibule en tombant, mais il reste un démantibulé sublime. Dans ces Contes, que n’y a-t-il pas ?… Il y fait paraître un Edgar Poe, — et non pas l’Edgar Poe connu, l’Edgar Poe mathématique, comme le terrible calculateur américain, qui a manqué son lecteur en manquant Pascal, — mais un Edgar Poe inconnu, religieux et mystique, coupé — et voilà l’arabesque ! — à moitié de ceinture par un Marmontel des Contes moraux, non plus philosophe, mais chrétien… À côté de pages magnifiques, écrites avec ce feu blanc des mystiques qui traverse les âmes en les illuminant, il y en a d’autres d’une inspiration innocente et presque enfantine (voir le Gâteau des Rois). Sans le relief et la précision de sa plume, qui est toujours d’un écrivain, on dirait madame de Ségur… C’est qu’en dehors du mysticisme, qui a fait de lui ce qu’il est quand il est absolument supérieur, Ernest Hello n’existe pas !

II

Mais dans l’ordre mystique, il existe, et fortement, et grandement, cet homme exceptionnel. Dans cet ordre-là, il touche au génie, et si ses Contes extraordinaires étaient tous d’une transcendance égale à la transcendance de trois d’entre eux, le génie ne lui serait pas contesté. Et ce n’est pas pour nous que nous écrivons cela ! Nous, nous avons prévenu l’opinion. Nous avons déjà (V. la IIe série des Œuvres et des Hommes) signalé le curieux talent d’Ernest Hello, sur lequel tant de gens se taisent qui devraient parler, et nous avons montré les pointes de génie qui apparaissent à travers son talent, comme les pointes de la fleur à travers l’enveloppe de son bouton. Nous avons rendu compte, lorsqu’il les publia, de ces deux livres, d’une beauté rare et profonde, intitulés : l’Homme et Physionomies de saints 15, restés obscurs tous deux, malgré leur beauté et notre effort, et qui devaient naturellement et fatalement le rester dans un temps comme le nôtre, où l’on n’a plus souci que des choses matérielles et basses, et même des plus basses, en littérature… Quand M. Zola fait éruption dans la célébrité, que voulez-vous que devienne, à son antipode, le spiritualiste, le religieux, le mystique Hello ?… Et cependant ce spiritualiste, ce religieux et ce mystique, qui a commencé l’éducation de sa pensée et le développement de son âme en nous traduisant Ruysbrœck et les Visions de sainte Angèle de Foligno, ne se résigne pas tranquillement à cette destinée d’obscurité. Par une contradiction que j’ose lui reprocher, par un de ces entrelacements étranges qui font de lui la plus inattendue des arabesques humaines, Ernest Hello a l’ambition extérieure de ses facultés et en voudrait, avec fureur, la gloire… Un penseur de sa force aurait de la grandeur à dédaigner la gloire, et un mystique comme lui devrait l’oublier ou ne pas même se douter qu’elle existe, et il raffole de cette misère ! Il est impatient des applaudissements de ce temps dégradé, où la gloire n’est plus maintenant que là où Héliogabale mourut, — derrière une porte de latrines. C’est là, en effet, qu’elle se tient pour ceux qui ne savent pas fièrement l’attendre dans la contemplation des choses divines et la conscience d’un talent qui devrait faire leur sécurité !

Le talent de Hello, qui ne fait pas la sienne, s’est révélé dans ce nouveau livre sous une face nouvelle, quoique les idées qui sont le fond de ce talent n’aient pas changé. Il le dit, du reste, dans sa préface : « Ce livre de Contes fait suite à mes autres ouvrages. Il n’arrive pas en qualité d’exception, comme un travail d’un genre à part. Il dit dans un autre langage ce que j’ai déjà dit. Il escorte, il accompagne, il commente, il résume mes pensées et mes écrits… » Ernest Hello reste donc dans la stricte unité de sa pensée et de sa vie. C’est un conteur qui ne conte pas pour conter ; il ne conte pas pour l’intérêt, la passion, la beauté de son conte. Il n’est ni fantastique comme Hoffmann, ni diaboliquement mystérieux comme Edgar Poe, — quoiqu’il ait aussi la préoccupation de cette chose terrible, le mystère, — ni universellement humain et social comme Balzac, ce puissant des puissants, qui eut aussi son jour de mysticisme, et quel jour ! dans Séraphitus-Séraphita ! C’est enfin, toujours et partout, et essentiellement, le mystique chrétien du livre de l’Homme, des Physionomies de saints, de la Parole de Dieu, qui vit ici sous le conteur et qui dramatise sa pensée immuablement mystique. Et de fait, quand le mysticisme, cet aigle à la griffe de feu, a pris un homme, il ne le lâche plus. L’homme est confisqué au profit de Dieu, qui devient en revanche le profit de l’homme… Le livre de Hello, dit-il encore dans sa préface, commence et finit par le nom de Dieu. « Qu’est-ce que cela prouve ? » disait avec mépris Malebranche d’Athalie. Ernest Hello fait de ses Contes une mise en œuvre dramatique de sa pensée religieuse. Il veut que ses Contes prouvent sa métaphysique, et c’est là son originalité de conteur ! Malebranche l’aurait accepté.

III

À son originalité dans la conception de son livre qui tient à ses idées premières, aux assises mêmes de son esprit, et qu’il met audacieusement, pour la première fois, sous cette forme difficile du conte, pour les faire mieux briller sous cette forme vivante, comme on retourne et l’on fait jouer un diamant à la lumière du jour pour l’épuiser de tous ses feux, Ernest Hello ajoute aujourd’hui une originalité qui n’est plus celle de ses idées, mais de leur expression et de la vie spéciale qu’il sait leur donner, et il obtient ce résultat superbe que l’exécution de l’artiste vaut la conception du penseur ! Tour de souplesse dans le talent dont la Force n’est pas toujours capable, et qu’on pouvait très bien ne pas attendre d’un homme absorbé dans l’unité de ce mysticisme qui le fait ce qu’il est de si particulier dans la littérature contemporaine ; car je n’y connais pas de talent qu’on puisse, d’accent, comparer au sien. Hello pouvait ne pas réussir comme conteur. Cette forme du conte, plus dure à manier dans sa brièveté que celle du roman dans sa longueur, cette forme concentrée, dans laquelle il faut se ramasser sans rien perdre de sa sveltesse, pouvait, par le seul fait de sa concentration, éclater sous sa main et le frapper dans sa prétention de conteur, qu’il n’en serait pas moins pour cela resté lui-même, avec sa valeur d’idées prouvée par les livres que j’ai énumérés : l’Homme, — Physionomies de saints, — la Parole de Dieu, ce dernier livre de Hello, qui échappe à la compétence de la critique profane, mais que des prêtres n’ont pas craint de lire dans leurs chaires, comme si c’était là de la littérature sacrée ! Mais comme conteur, il a réussi. À son talent réfléchi de penseur et de moraliste religieux, éloquent, profond, illuminé, il a joint un talent dramatique qui lui a poussé comme une aile et sur laquelle il nous emporte. Malheureusement (je l’ai dit déjà et c’est la seule critique qu’il y ait à faire dans ces Contes), tout n’y est pas de la même puissance, et j’y retrouve l’inégalité que j’avais indiquée déjà dans les premiers ouvrages de Hello, cette inégalité qui est dans la nature des hommes qui vont très haut, et qui retombent d’autant plus raide et plus bas qu’ils se sont élevés davantage. Corneille l’avait, cette inégalité terrible. Ernest Hello en est souvent victime. On ne perce point impunément le ciel. Seulement, cette inégalité, qui est le pied d’argile de la tête d’or, et qui existe entre ces Contes, différents de sujet, n’existe plus dans ceux-là qui l’emportent nettement sur les autres… Ici, le talent de l’auteur ne défaille pas une seule fois, et il y plane au niveau de lui-même, toujours !

De ces Contes-là, il en est un surtout incomparable, — qu’il est impossible de comparer même à ceux qui paraissent les plus beaux après lui. Il commence le volume et, en le commençant, il l’écrase ; car en continuant de lire, on ne rencontrera plus rien de pareil… Ce conte est intitulé Ludovic, et le sujet en est l’avare, l’avare pur, l’avare complet, l’avare jusqu’aux dernières profondeurs ; en un mot qui dit tout : l’idolâtre de l’or. Au flamboiement infernal de cet avare, tous les avares connus, observés ou inventés par des générations de génies : Harpagon, Shylock, Tony Forster (de Kenilworth), Grandet, pâlissent, s’effacent et rentrent dans le néant, devant l’avare que voici ! En comparaison du Ludovic d’Ernest Hello, ils ne sont plus avares que comme les eunuques sont des hommes… Et ils sont, en effet, des eunuques d’avares, mutilés dans leur personnalité d’avares par un sentiment qui n’est pas l’avarice et qui se mêle à leur passion pour les rendre adultères à l’or… Harpagon est amoureux. Shylock est encore plus juif qu’avare ; d’ailleurs, il aime sa fille. Tony Forster et Grandet aiment aussi leur enfant, et souillent noblement du sentiment paternel l’immonde pureté de leur amour de l’or. Ludovic en a, lui, l’amour intégral ; il a la virginité farouche de l’avarice, sans partage avec aucun sentiment humain. Il faut voir, dans Ernest Hello, quel est cet effroyable et diabolique et déifiant amour ! Néron, qui se vautrait, à plat ventre nu, sur des monceaux d’or comme sur des monceaux de chair vivante, et qui s’y pâmait de volupté, n’est qu’un Onan sordide, dans des frénésies d’écolier. Nous avons mieux. Quelle création fulgurante et sinistre ! Jamais on n’a creusé plus avant ; jamais on n’a saisi plus vaste ; jamais on n’a étreint et tordu plus fort ! L’humanité finit par craquer dans l’avare de Hello, et elle y disparaît dans la monstruosité absolue. Le conteur de ce conte qu’aurait admiré Shakespeare, qui, seul, aurait pu le mettre à la scène (et encore ce n’est pas bien sûr ! parce que le théâtre ne peut pas dire tout comme le conte), passionne son récit d’une analyse plus passionnée que le récit même dans son acharnement, et cette analyse déchire tout et met tout en pièces fibre à fibre, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus dans cet avare, dans ce vampire de l’or, qui le sucerait et l’avalerait, une seule fibre, une seule fibrille à montrer et à expliquer ! Il n’y a que neuf cercles à l’Enfer du Dante. Mais le Dante de ce formidable conte descend dans l’âme de son avare les dix mille cercles de l’enfer d’une âme d’homme à qui Dieu, en le créant, avait mis de son infini dans la poitrine ! C’est un peu plus que l’autre enfer !

Ce drame, où, sous l’idolâtrie de l’or, Dieu lui-même est en cause et remplacé dans le cœur de l’homme par du métal, est, d’effet, beau et pathétique comme la Bible, et, d’analyse, — car la Bible n’analyse pas, — jamais livre moderne n’est allé aussi loin. On dirait que l’idolâtre damné se raconte lui-même, et c’est l’auteur qui raconte un autre que lui ! Le dénouement de cette sacrilège passion de l’idolâtre, qui meurt étranglé par un chien (le chien qu’il veut vendre pour quelques sous de plus), en criant, sous les morsures de la gueule implacable, ce nom de Dieu qu’il avait oublié, dont les quatre lettres servaient à ouvrir le mécanisme de son coffre-fort, et qu’il se rappelle tout à coup, en mourant au pied de ce coffre-fort, qui ne s’ouvrira plus, est une invention digne de la tête à combinaison d’Edgar Poe. Tragique et vengeresse circonstance ! Le pathétique de tout cela est si grand, qu’on ne s’aperçoit de la beauté de ce conte inouï qu’à la réflexion et longtemps après qu’il est lu. C’est alors seulement qu’on se replie sur soi-même et qu’on admire…

IV

Ce chef-d’œuvre de Ludovic couvrirait de sa beauté de chef-d’œuvre, comme d’un manteau de roi tombé sur des haillons, les autres contes du recueil quand ils seraient les plus misérables pauvretés intellectuelles, ce que, d’ailleurs, ils ne sont pas… Mais il en est deux autres encore, qui nous montrent que l’inspiration d’un conteur de cette énergique invention ne s’est pas épuisée en une fois. Les Deux étrangers et le Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? tout inférieurs qu’ils puissent être à Ludovic, n’en sont pas moins aussi d’une beauté souveraine. Les Deux étrangers ont justement ce caractère mystérieux et solennellement alarmant qu’Edgar Poe, le magnétique démoniaque, communique à son lecteur avec tant de puissance, quoique le malheureux ne crût probablement pas à cet abîme de toute terreur : le démon ! Le mystique Hello, qui y croit, lui, est supérieur, par ce côté surnaturel et frémissant, à l’incrédule américain, et par cela seul il cause naturellement une impression plus profonde. Un reproche pourtant que la critique pourrait hasarder, c’est d’avoir laissé un des Deux étrangers trop dans le vague de l’ombre, et de n’avoir pas mis assez de clarté dans ce redoutable personnage… On croit bien pressentir qu’il est l’Homme des Sciences occultes, quelque Magicien investi de sataniques pouvoirs, puisqu’il promet la Science universelle au docteur Williams, lequel meurt de ce funeste don ; mais le conteur aurait précisé davantage cette grandiose et inquiétante figure que son conte n’aurait été ni moins effrayant, ni moins mystérieux. Quant à l’autre étranger (le prêtre), il resplendit d’une clarté divine et ses discours ont une éloquence qui dit irrésistiblement ce qu’il est. Jamais, avant le Séraphitus de Balzac, on n’avait écrit de ces pages entraînantes dans l’enthousiasme sacré, et depuis, on n’en avait pas écrit non plus… C’est bien ici (disons le mot) que le génie de Hello ne procède plus par pointes, mais par épanouissement…

Cet épanouissement, du reste, on le trouve encore ailleurs. Il est aussi dans Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? où le mystère physiologique a remplacé le mystère surnaturel des Deux étrangers… La donnée du Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? est magnifique, et tous les détails en sont glaçants et terrassants. C’est le crime intellectuel, qui ne s’est jamais accompli qu’au fond de la conscience, et qui sort du fond de ses enfoncements et de ses ténèbres pour devenir extérieurement, par le remords, une réalité, une épouvantante et visible réalité ! Pour le fort spiritualiste qui a pensé audacieusement un tel conte, le crime intellectuel serait aussi certain, aussi positif, aussi réprouvé que si le sang physique avait coulé des veines de la victime rêvée, et le remords et l’épouvante qu’il cause vont jusqu’à la folie et au suicide. Le dénouement de ce drame psychologique qui vient s’accomplir à l’œil nu, a fait nommer ce sombre conte du mot de Dieu au premier fratricide, mais quel est ce dénouement, au moins aussi étrangement ingénieux et formidable que celui de Ludovic ? Je ne vous le dirai certainement pas, moi qui souhaite qu’on lise Ernest Hello, et je ne vous épargnerai pas le plus terrible frisson qui aura jamais peut-être passé sur vous !

V

Et maintenant, quels sont les autres contes de ce volume ?… Je ne le sais plus. Je ne veux plus même le savoir… Ils se sont fondus aux rayons de ces trois soleils. Ces trois soleils, les aveugles et les clignotants de ce temps-ci les verront-ils ?… On peut en douter. Ces contes religieux, métaphysiques et flambant de mysticité, sans amour terrestre, sans les petites femmes qu’il faut fourrer partout dans ses livres, si l’on veut avoir du succès, sont bien virils et bien relevés pour la génération efféminée et abjecte des esprits modernes. J’ai déjà vu des êtres qui ne sont pas stupides cependant, et qui ne se doutent pas de la beauté de Ludovic, cette prodigieuse étude qui s’est fait drame comme le Verbe s’est fait Chair. Cette méconnaissance, cet aveuglement, devraient bien guérir Ernest Hello de sa maladie de la gloire, mais l’en guériront-ils ?… On ne connaît le néant de certaines femmes que quand on en a pressé beaucoup dans ses bras… Ernest Hello, le religieux, presque le théologique Ernest Hello, devrait avoir, avec son talent, parmi les hommes de son opinion religieuse, une position haute et crénelée, et il n’en a pas, et il s’agite désespérément au milieu des égoïsmes et des platitudes de son parti. Mais rien donc ne saurait apprendre à ce Voyant quand il s’agit de Dieu, et à ce Visionnaire quand il s’agit des hommes, que quand on est un catholique, on ne doit compter que sur Dieu seul. Je puis le dire, moi qui le suis ! Entant que parti, les catholiques se trouvent assez pieux pour se croire le droit d’être des ingrats. Ils ont laissé mourir de faim Raymond Brucker, qui avait mis à leur service tout son génie. Ils étoufferont la voix de Hello, qui leur offre le sien. Et ce sera comme l’intitulé et le dénouement de son drame : « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ?… »