(1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222
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(1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

(*) Chapitre IV.

Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature.

C’ Est un principe établi que nous avons dans chaque Art plus de préceptes que d’exemples. Les hommes ont plus de passion pour enseigner, que de talent pour exécuter. Ainsi plusieurs Ecrivains incapables de faire deux vers, & de composer une harangue, nous ont accablés de Traités sur la Poésie & sur l’Eloquence. Il y auroit donc de la folie à faire passer en revue tous ces ouvrages calqués les uns sur les autres, & qui pour la plûpart ne sont que des compilations de regles triviales, faites par des Ecrivains très-médiocres.

On nous blâmeroit cependant de ne pas faire connoître ceux qui méritent réellement d’être connus. Parmi les anciens Aristote, philosophe & littérateur, instruisit les Poëtes, après avoir donné des leçons aux Rhéteurs. Sa Poétique, traduite par Dacier 1692. in-4°., contient les regles les plus exactes pour juger du Poeme héroique & des piéces de théatre. Ce Livre a été le fondement de tous ceux qu’on a publiés depuis sur la même matiere.

L’Art poétique d’Horace est l’élixir des réfléxions d’Aristote, nous avons fait connoître ce Poëme dans le Chapitre des traductions des Poëtes latins.

Le P. Rapin, le P. Buffier & d’autres Jésuites, ont donné des réfléxions sur la Poétique ; mais elles sont fort négligées aujourdhui quoiqu’elles ne soient point sans mérite. On a fait mieux qu’eux de nos jours, & on a écrit plus agréablement.

Les Réfléxions sur la Poésie & la Peinture en 3. vol. in-12., par l’Abbé du Bos, ont eu beaucoup de lecteurs. Les savans se sont un peu refroidi depuis quelque tems pour cet ouvrage. M. Dorat dit de lui, qu’il discute longuement tous les objets ; qu’il est ennuyeux par chapitres ; que S. Cyprien, S. Justin le martyr, l’hérétique Tertullien, &c. sont mis à contribution par cet auteur pour appuyer des choses qui n’ont pas besoin d’autorité. Il est certain que l’Abbé du Bos est trop diffus ; mais ce défaut ne doit pas empêcher de reconnoître qu’il a eu des vues nouvelles sur bien des objets, & ses réfléxions sont encore très-utiles.

Les Principes pour la lecture des Poëtes de l’Abbé Mallet sont le pendant de ses principes pour la lecture des Orateurs. L’auteur étoit un homme éclairé & philosophe.

Il y a dans le traité des Etudes de Rollin beaucoup de choses relatives à la Poésie. Mais cet auteur, abondant en belles paroles, est stérile en réfléxions profondes. D’ailleurs il manque d’ordre.

Vous trouverez plus de logique, plus de détails, plus de véritable instruction dans le Cours de Belles-Lettres en 4. vol. in-12. par M. l’Abbé Batteux. Cet ouvrage embrasse les Belles-Lettres françoises, latines & grecques ; & pour former plus sûrement le goût des jeunes gens, l’auteur fait la comparaison des piéces de même genre dans les trois langues. Il commence par établir des principes clairs sur chaque genre de littérature ; ensuite il inculque ces principes par une application suivie à des exemples sensibles. A la tête de l’ouvrage, on trouve le traité des Beaux-Arts réduits à un même principe, qui est l’imitation de la belle nature : principe simple, aisé à saisir, facile à expliquer, également propre à soulager l’artiste qui travaille & l’amateur qui juge. Mais qu’est-ce que la belle nature ? C’est ce que M. l’Abbé Batteux n’a point assez dit, suivant l’auteur des Cinq années littéraires. Il est vrai que ce sont de ces choses qu’on sent mieux, qu’on ne les exprime. La diction de tout l’ouvrage est digne d’un Académicien, pure & concise, mais moins élégante, moins coulante, moins douce que celle de Rollin ; & il regne dans le style un certain ton métaphysique qui y répand un peu de sécheresse.

On peut joindre au cours des Belles-Lettres l’Ecole de Littérature tirée de nos meilleurs Ecrivains, par M. l’Abbé de la Porte, en deux volumes in-12. Le public a vu avec plaisir les préceptes de nos plus grands maîtres réunis dans un seul corps d’ouvrage ; & comme on n’a pas touché au style des morceaux qu’on a rassemblés, il y a de la variété dans chaque chapitre. Plusieurs chapitres excellens qu’on ne trouvoit que dispersés, avant la publication de ce livre, l’ont fait acheter par ceux-même qui avoient déjà une partie de ce qu’il renferme.

La poétique de M. Marmontel est pleine de finesse & de goût, mais l’ordre que l’auteur a suivi n’étant pas assez méthodique, on a de la peine à saisir tout ce que son livre offre d’ingénieux & de neuf. Le style n’est pas d’ailleurs entiérement exempt de néologisme & d’affectation.

L’Art de sentir & de juger en matiere de goût, par M. l’Abbé Seran de la Tour, en deux volumes in-12. 1762. est d’un homme d’esprit, qui n’a pas des idées communes. Il y a dans cet ouvrage de la netteté, de la précision, & le style est d’un Ecrivain exercé.

On a donné en 1768. en 3. volumes in-8°. un Dictionnaire Littéraire, à Avignon. C’est l’assemblage des articles de l’Enciclopédie qui roulent sur la littérature. Il y a du bon dans ce livre, mais plusieurs articles importans sont trop courts, & les articles peu intéressans paroissent trop longs. On préfére le Dictionnaire de Littérature, que M. Sabatier de Castres a donné en 1770. à Paris en trois vol. in-8°. Ce lexique fait avec goût & avec méthode, présente d’une maniére claire & attrayante les principes qui forment le grand écrivain dans tous les genres.

Tout le monde connoît la Poétique à l’usage des Demoiselles, par M. Gaillard, réimprimée plusieurs fois en 2. vol. in-12. Ce livre est d’autant plus cher aux lecteurs françois, que presque tous les exemples sont tirés des Ecrivains de la nation.

Nous avons encore la Poétique de M. de Voltaire, ou Observations recueillies de ses ouvrages, par M. Lacombe 1766., deux parties in-12. Cet ouvrage n’est pas une compilation informe ; il est fait avec intelligence. Il y a de la méthode, du travail & du goût. Le rédacteur connu lui-même par un bon livre intitulé le Spectacle des beaux Arts & par son Dictionnaire des beaux Arts, peut être compté parmi les auteurs qui ont le mieux écrit sur la littérature.

C’est par lui que nous finirons cette liste critique. Les excellens Ecrivains lus & relus, contribuent plus à former le sentiment, le jugement & le goût que tous les écrits didactiques. Ainsi il faut lire les bons modèles, encore plus que les bons préceptes. On doit pourtant savoir gré à ceux qui travaillent à former notre esprit & notre raison ; mais il ne faut pas les placer sur le rang que nos grands Ecrivains occupent. Il est beau de conseiller, il est plus beau d’exécuter.