(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »
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(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

Livre dixième.

V. 1. Iris je vous louerais, il n’est que trop aisé :

Madame de la Sablière était en effet une des femmes les plus aimables de son temps, très-instruite, et ayant plusieurs genres d’esprit. Elle avait donné un logement dans sa maison à La Fontaine, qu’elle regardait presque comme un animal domestique ; et après un déplacement, elle disait : Je n’ai plus, dans mon ancienne maison, que moi, mon chat, mon chien, et mon La Fontaine. En même temps qu’elle voyait beaucoup l’auteur des fables, elle était, mais en secret, une des écolières du fameux géomètre Sauveur ; mais elle s’en cachait : nous verrons bientôt pourquoi.

V. 7. Elle est commune aux dieux, etc…

On peut observer qu’en ceci, comme en bien d’autres choses, les hommes ont fait les dieux à leur image. Au reste, il y a à la fois de l’esprit et de la poésie à supposer que le nectar, si vanté par les poètes, n’est autre chose que la louange.

V. 12. D’autres propos chez vous récompensent ce point :

Il veut dire : en récompense, on a chez vous des conversations intéressantes ; cela n’est pas heureusement exprimé. Ce vers, ainsi que le suivant,

V. 13. Propos, agréables commerces,

amènent mal les dix vers suivans, qui sont très-jolis et montrent à merveille ce que doit être une bonne conversation.

V. 16…. Le monde n’en croit rien.

Les sots croient ou font semblant de croire que la conversation des gens d’esprit est toujours grave, sérieuse, guindée. Pourquoi ne supposent-ils pas que les gens d’esprit ont de l’esprit aussi naturellement que les sots ont de la sottise ?

V. 28…. En avez-vous ou non
Oui parler ?…

La Fontaine savait que madame de la Sablière, non seulement avait oui parler de la philosophie, mais il savait qu’elle y était même très-versée ; en effet, elle la connaissait mieux que La Fontaine ; mais elle craignait de passer pour savante. Voilà pourquoi il prend cet air de doute et d’incertitude. C’est sûrement pour lui faire sa cour, et par une complaisance dont il ne se rendait pas compte, qu’il s’efforce d’être cartésien, c’est-à-dire, de croire que les bêtes étaient de pures machines. Rien n’est plus curieux que de voir comment il cherche par ses raisonnemens à établir cette idée, et comment son bon sens le ramène malgré lui à croire le contraire. C’est ce que nous verrons dans cette pièce même.

V. 67. Vous n’êtes point embarrassée
De le croire, ni moi.

Mon embarras est de savoir comment ils faisaient pour admettre de telles idées.

V. 82. Quand la perdrix
Voit ses petits.

Négligence ne produisant aucune beauté ; effet de pure paresse.

V. 96. Je parle des humains ; car, quant aux animaux…

Voilà un excellent trait de satire déguisée en bonhommie. Swift ou Lucien, voulant mettre les hommes au-dessous des animaux, ne s’y seraient pas mieux pris. Cela est plaisant dans une pièce où l’auteur veut établir que les animaux sont des machines.

V. 114. Que ces castors ne soient qu’un corps vide d’esprit,
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire.

Voilà le cartésianisme de La Fontaine fort ébranlé. Il y reviendra pourtant. Madame de la Sablière est cartésienne.

V. 118. Le défenseur du nord….

C’est le grand général Sobieski, qui, avant de sauver Vienne et de monter sur le trône de Pologne, était venu à Paris, et avait été de la société de madame de la Sablière, comme, de nos jours, nous avons vu M. Poniatoski lié avec madame Geoffrin.

V. 121…. Jamais un roi ne ment.

Du milieu de ces idées si étrangères au génie de La Fontaine, il sort pourtant des traits qui le caractérisent, tel que ce plaisant hémistiche : Jamais un roi ne ment.

V. 137…. Ah ! s’il le rendait ;
Et qu’il rendit aussi….

Toutes ces idées sont incohérentes et mal liées ensemble, du moins quant à l’effet poétique. Les vers suivans sont l’exposé de la doctrine de Descartes, et l’obscurité qu’on peut leur reprocher, tient à la nature même de ces idées, car La Fontaine emploie presque les termes de Descartes lui-même.

V. 162…. Je vois l’outil
Obéir à la main : mais la main, qui la guide ?
Eh ! qui guide les cieux, et leur course rapide ?

Ce mouvement est très-vif, très-noble, et ne déparerait pas un ouvrage d’un plus grand genre.

Vient ensuite l’histoire des deux rats et de l’œuf, après laquelle La Fontaine oublie qu’il est cartésien et s’écrie :

V. 197. Qu’on m’aille soutenir, après un tel récit,
Que les bêtes n’ont point d’esprit !

Le reste n’est qu’une suite de raisonnemens creux où La Fontaine a cru s’entendre, ce qui était absolument impossible. S’entendait-il, par exemple, en disant :

V. 207. Je subtiliserais un morceau de matière,
Que l’on ne pourrait plus, etc….

On voit que cette pièce manque entièrement d’ensemble et même d’objet. Ce sont trois fables qui prouvent l’intelligence des animaux ; et ces fables se trouvent entre-coupées de raisonnemens, dont le but est de prouver qu’elles n’en ont pas. La Fontaine pèche ici contre la première des règles, l’unité de dessein. L’auteur paraît l’avoir senti, et cherche à prendre un parti mitoyen entre les deux systèmes ; mais les raisonnemens où il s’embarque, sont entièrement inintelligibles.

Fable II.

V. 1. Un homme vit une couleuvre.

Après la pièce précédente, si confuse et si embrouillée, voici une fable remarquable par l’unité, la simplicité et l’évidence de son résultat. A la vérité, il n’est pas de la dernière importance, puisqu’il se réduit à faire voir la dureté de l’empire que l’homme exerce sur les animaux et sur toute la nature ; mais c’est quelque chose de l’arrêter un moment sur cette idée ; et La Fontaine a d’ailleurs su répandre tant de beautés de détail sur le fond de cet Apologue, qu’il est presque au niveau des meilleurs et des plus célèbres.

V. 5. (C’est le serpent que je veux dire,
Et non l’homme, on pourrait aisément s’y tromper.)

Ce second vers paraît froid après le premier ; mais La Fontaine l’ajoute à dessein, pour rentrer un peu dans son caractère de bonhommie, dont il vient de sortir un moment par un vers si satirique contre l’espèce humaine.

V. 10. Afin de le payer toutefois de raison.

Voyez les remarques sur la fable du loup et de l’agneau, au premier livre.

V. 27…. Il recula d’un pas.

C’est la surprise de l’homme qui est cause de sa patience et qui l’oblige à écouter le serpent. Le discours de la vache est plein de raison et d’intérêt. Tous les mouvemens en sont d’une simplicité touchante.

V. 42…. Il me laisse en un coin
Sans herbe…

Ce dernier mot rejeté à l’autre vers, et ce vœu si naturel,

V. 43…. S’il voulait encor me laisser paître !

Tout cela est parfait. Le discours du bœuf a un autre genre de beauté : c’est celui d’un ton noble et poétique, quoique naturel et vrai.

V. 55…. Ce long cercle de peines,
Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne et vend aux animaux :

Et cet autre vers :

V. 62. Achetaient de son sang l’indulgence des dieux.

La Fontaine tire un parti ingénieux du ton qu’il vient de prêter au bœuf, c’est de le faire appeler déclamateur par l’homme qui lui reproche de chercher de grands mots : tout cela est d’un goût exquis.

La Fontaine a su être aussi intéressant en faisant parler l’arbre.

V. 74…. Libéral il nous donne
Ou des fleurs au printemps, ou des fruits à l’automne.

Et quelle heureuse précision dans le vers suivant !

V. 81. Je suis bien bon, dit-il, d’écouter ces gens-là.

Le despotisme n’est jamais si redoutable que quand on vient de le convaincre d’absurdité.

Fable III.

V. 1. Une tortue était, etc….

Quoique l’invention de cette fable soit un peu bizarre, quoique la tortue y soit peinte dans un costume bien étranger à ses habitudes, on peut ranger cet Apologue parmi les bons. C’est que l’intention en est sage, morale, bien marquée, et que d’ailleurs l’exécution en est très-agréable.

V. 4. Volontiers gens boiteux, etc….

La répétition de ce mot volontiers est pleine de grâces ; et ce vers : Volontiers gens boiteux haïssent le logis, fait voir comment La Fontaine sait tirer parti des plus petites circonstances.

V. 9…. Par l’air en Amérique :

Il ne fallait point particulariser, ni nommer l’Amérique : du moins fallait-il ne nommer qu’une contrée de l’ancien hémisphère. Toute action qui forme le nœud ou l’intérêt d’un Apologue, est supposée se passer dans les temps fabuleux, au temps (comme dit le peuple) où les bêtes parlaient. Il y a, pour chaque genre de poésie, une vraisemblance reçue, une convenance particulière, dont il ne faut pas s’écarter.

V. 13. Ulysse en fit autant.

Ce trait ne pèche point contre la règle que nous venons d’établir, parce que le temps où Ulysse vivait est supposé compris dans l’époque que nous avons indiquée ; d’ailleurs, ce rapprochement des voyages d’Ulysse avec celui de la tortue est si plaisant, que le lecteur s’y rendrait bien moins difficile.

V. 13…. On ne s’attendait guère….

Voilà un de ces traits qui caractérisent un poète supérieur à son sujet ; nul n’a su s’en jouer à propos comme La Fontaine.

Fable IV.

V. 1. Il n’était point d’étang, etc….

Nous ne trouverons plus dans ce dixième livre, de fable qui puisse être comparée aux deux précédentes. Celle-ci n’en approche, ni pour le fond, ni pour la forme. Remarquons cependant le sérieux plaisant de cette réflexion.

V. 7. Tout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
V. 42. En ceux qui sont mangeurs de gens.

Il fallait s’arrêter là. La réflexion que La Fontaine ajoute à ce conseil de prudence, ne sert qu’à en détourner l’esprit de son lecteur. L’idée de la mort absorbe toute autre idée.

Fable V.

V. 1. Un pincemaille avait tant amassé.

Le résultat de cette fable est encore très peu de chose ; mais, dans l’exécution, elle offre plusieurs vers très-bons. Je me contente de les indiquer à la marge.

V. dernier. Il n’est pas malaisé de tromper un trompeur.

Cela n’est pas exactement vrai ; et souvent c’est une chose très-difficile. J’aurais mieux aimé que La Fontaine eût exprimé le sens de l’idée suivante : Heureux celui qu’un seul avertissement engage à triompher de sa passion favorite !

Fable VI.

V. 2. (S’il en est de tels dans le monde.)

Ce mot seul fait la critique de cet Apologue. Les meilleures fables sont celles où les animaux sont peints dans leur naturel, avec les goûts et les habitudes qui naissent de leur organisation. Ésope, dont cette fable est imitée, a su éviter ce défaut en employant d’ailleurs une brièveté préférable aux ornemens de La Fontaine. Voici la fable d’Ésope :

« Un loup passant près de la cabane de quelques bergers, les vit mangeant un mouton. Il leur cria : Que ne diriez-vous point, si j’en faisais autant ? »

Il est évident que cet Apologue vaut mieux que celui du fabuliste français.

V. 10…. De loups l’Angleterre est déserte.

Même faute que celle qui a été notée dans la fable de la tortue, sur le mot Amérique.

V. 24. Mangeans un agneau cuit en broche.

Quel résultat moral peut-on tirer de-là ? car, comme a dit La Fontaine lui-même :

Sans cela toute fable est un œuvre imparfait.

J’en vois quelques traits confus, comme, par exemple, que nombre d’hommes se permettent ce qu’ils interdisent aux autres, l’effet de leurs discours anéanti par leurs actions ; mais cela ne vaut guère la peine d’être dit. D’un autre côté, il faut que l’action soit mauvaise ; et La Fontaine veut-il établir que c’est très-mal fait de manger les moutons ? tout cela me paraît vague et dénué d’objet.

Fable VII.

V. 7. Elle me prend mes mouches à ma porte.

Cette action de Philomèle, c’est-à-dire du rossignol, enlevant d’abord les mouches de l’araignée, et ensuite l’araignée même avec sa toile et tout, cette action, que prouve-t-elle ? La loi du plus fort, soit. Mais est-ce une chose si bonne à répéter sans cesse ? n’est-ce pas exposer l’esprit des jeunes gens à saisir un faux rapport entre la violence que les différentes espèces d’animaux exercent les unes à l’égard des autres, et les injustices que les hommes se font mutuellement ? N’est-ce pas leur montrer le tout comme un effet des mêmes lois, et un produit de la nécessité ? Cependant, quel rapport y a-t-il, à cet égard, entre les animaux et les hommes ? Aucun. Nul animal ne peut mal faire, soit qu’il dévore un être d’une espèce plus faible que la sienne, ou un être de la sienne même. On peut aller jusqu’à dire qu’il fait très-bien, car il obéit à un instinct déterminé par des lois supérieures : mais l’homme, à qui ces mêmes lois ont donné la raison, paraît la combattre au moment où elle est préjudiciable à ses semblables. Dès qu’il nuit, il est, pour ainsi dire, hors de sa nature. Que peuvent donc avoir de commun les mœurs de l’homme et les habitudes des animaux ? Les dernières ne doivent être la représentation des autres, que dans les cas où le résultat est utile, ou du moins n’est pas nuisible à la morale. Autrement l’auteur, faute d’avoir des idées justes, risque d’en donner de fausses à son lecteur. C’est ce qui est arrivé plus d’une fois à La Fontaine même ; et je suis forcé d’en convenir, malgré mon admiration pour lui.

Fable VIII.

V. 10. Elle se consola….

Rien de si naturel que ce sentiment et la réflexion qui le suit. C’est ici que la résignation à la nécessité est établie avec les adoucissemens qui lui conviennent. La soumission de la perdrix est d’un très-bon exemple, et on est souvent dans le cas de dire comme elle :

V. 10. Ce sont leurs mœurs.

Fable IX.

V. 1. Qu’ai-je fait pour me voir ainsi ?

Nous avons déjà vu quelques exemples de ce tour vif et animé, qui met d’abord le personnage en scène.

Après le sentiment de la douleur physique, vient celui de l’injustice qui lui fait subir un pareil traitement ; et puis l’indignation contre l’ingratitude ; enfin l’amour-propre a son tour.

V. 4. Devant les autres chiens oserai-je paraître ?

Un homme n’aurait pas mieux dit.

Les six vers dans lesquels La Fontaine exprime la moralité de cet Apologue, ont le défaut de ne pas sortir de l’exemple de Mouflar. La vraie moralité de la pièce est dans la fable même :

V. 10…. Il vit avec le temps
Qu’il y gagnait beaucoup….

Ou il fallait ne pas mettre de moralité du tout, ou bien il fallait laisser là Mouflar, et dire que, souvent d’un malheur qui nous a causé bien du chagrin, il est résulté des avantages inappréciables et imprévus. Souvenons-nous désormais de faire cette réflexion, dans les accidens qui peuvent nous survenir.

Fable X.

V. 1. Deux démons à leur gré, etc….

Ce que dit ici La Fontaine est si vrai, que certains philosophes l’ont posé en principe dans des traités de morale, et font remonter à ces deux sources toutes nos passions et tous nos sentimens.

V. 7. Car même elle entre dans l’amour.
Je le ferais bien voir : etc…

L’auteur n’aurait pas eu grand peine dans l’époque où il vivait. L’amour, dans des mœurs simples, n’est composé que de lui-même, ne peut être payé que par lui, s’offense de ce qui n’est pas lui ; mais dans des mœurs raffinées, c’est-à-dire, corrompues, ce sentiment laisse entrer dans sa composition une foule d’accessoires qui lui sont étrangers. Rapports de position, convenances de société, calculs d’amour-propre, intérêt de vanité, et nombre d’autres combinaisons qui vont même jusqu’à le rendre ridicule. En France c’est, pour l’ordinaire, un amusement, un jeu de commerce qui ne ruine et n’enrichit personne.

V. 21. Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite.

C’est l’opinion de M. Guillaume dans l’Avocat Patelin. On lui dit : Mais, M. Guillaume, savez-vous que vous gouverneriez très-bien un état ? Tout comme un autre, répond-il.

V. 33. Je crois voir cet aveugle, etc…

Ce récit de l’histoire du serpent, formant une autre fable dans la fable, me paraît déplacé. Outre qu’il rentre dans l’Apologue du serpent et du villageois au livre VI, il gâte un peu cette jolie pièce. Voulez-vous voir combien elle serait plus vive, plus rapide, et d’un plus grand effet ! Essayez de supprimer l’épisode du serpent : supposez qu’après ces mots :

V. 28. Ne produisent jamais que d’illustres malheurs.

Supposez qu’en sautant 22 vers, La Fontaine eût dit :

V. 51. Mille dégoûts viendront, dit le prophète ermite.1
Il en vint en effet, l’ermite n’eut pas tort.
Mainte peste de cour, etc….

Le reste comme il est. Il me semble que cette suspension ferait un très-bon effet, et donnerait à cette pièce une rapidité qui lui manque.

V. 60. Louanges du désert et de la pauvreté.

Etait-ce dans des lettres que le berger écrivait ? Ce berger-visir était-il un sage qui eût écrit ses pensées dans un ouvrage ? il me semble qu’il eût fallu éclaircir cela brièvement.

V. 69. Et je pense aussi sa musette.

Ce n’était pas un poète comme La Fontaine qui pouvait oublier de mettre une musette dans le coffre-fort du berger. Quelle grâce dans ce petit mot, je pense !

V. 70. Doux trésors ! se dit-il, chers gages…

Voilà encore un de ces morceaux où il semble que le cœur de La Fontaine prenne plaisir à s’épancher. La naïveté de son caractère, la simplicité de son âme, son goût pour la retraite le mettent vite à la place de ceux qui forment des vœux pour le séjour de la campagne, pour la médiocrité, pour la solitude. Nous en avons déjà vu plusieurs exemples, et heureusement nous en retrouverons encore.

Fable XI.

V. 1. Tircis, qui pour la seule Annette.

La chanson du berger est fort jolie ; mais on est un peu scandalisé de la morale de la pièce et du conseil que l’auteur donne aux rois. La Fontaine, apôtre du despotisme ! La Fontaine, blâmer les voies de la douceur et de la persuasion ! cela paraît plus extraordinaire et plus contre la nature, que le loup rempli d’humanité, dont il nous a parlé quatre ou cinq fables plus haut.

Fable XII.

V. 1. Deux perroquets, l’un père et l’autre fils…

Ces quatre premiers vers sont joliment tournés, et sembleraient annoncer un meilleur apologue. Celui-ci est très-médiocre. Ce perroquet qui crève les yeux au fils du roi ; ce roi qui va pérorer le perroquet perché sur le haut d’un pin ; cela n’est pas d’un goût bien exquis.

Les deux derniers vers de la pièce sont agréables et ont presque passé en proverbe ; mais la vraie moralité de cette prétendue fable est que la confiance mutuelle une fois perdue, elle ne se recouvre pas. Voyez un conte de Sénecé, intitulé le Kaimak, qui se trouve dans tous les recueils.

Fable XIII.

V. 1. Mère lionne, etc….

J’aurais voulu que La Fontaine s’arrêtât après le douzième vers :

N’avaient-ils ni père ni mère ?

Il me semble que cela donnait bien autrement à penser. Et en effet, toute la morale ne tend guère qu’à empêcher les malheureux de se plaindre : ce qui n’est pas d’une grande conséquence.

Les deux derniers vers :

Quiconque en pareil cas se voit haï des cieux,
Qu’il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux ;

sont excellens ; mais la moralité qu’ils enseignent est énoncée d’une manière bien plus frappante dans une fable de Sadi, fameux poète persan ; la voici :

« Un pauvre entra dans une mosquée pour y faire sa prière : ses jambes et ses pieds étaient nus, tant sa misère était grande ; et il s’en plaignait au ciel avec amertume. Ayant fini sa prière, il se retourne et voit un autre pauvre appuyé contre une colonne et assis sur son séant. Il apperçut que ce pauvre n’avait point de jambes. Le premier pauvre sortit de la mosquée, en rendant grâce aux dieux. »

Fable XIV.

V. 4. J’en vois peu dans la fable, encor moins dans l’histoire.

Ces quatre premiers vers sont très-jolis, mais n’obtiennent pas grâce pour le fond de cet Apologue, qui me paraît défectueux. Quel rapport y a-t-il entre Hercule ayant obtenu l’apothéose par des travaux utiles aux hommes (c’est ainsi du moins qu’il faut l’envisager dans l’Apologue), quel rapport, dis-je, entre ce dieu et un aventurier faisant une action folle, dangereuse, utile aux autres, ou qui ne peut-être utile qu’à lui-même ? Quelle leçon peut-il résulter du succès de son audace absurde et imprudente ? je ne connais pas de sujet de fable moins fait pour plaire à La Fontaine que celui-ci. J’ai déjà observé qu’il n’était point le poète de l’héroïsme, mais celui de la nature et de la raison ; et la raison peut-elle être plus blessée qu’elle ne l’est, par l’entreprise de cet aventurier ?

V. 28. Auquel cas, où l’honneur d’une telle aventure ?

J’avoue que ce raisonnement du chevalier me paraît très-bon.

V. 37. Il le prend, il l’emporte….

L’auteur aurait bien dû nous dire comment.

V. 45. Le proclamer monarque….

Eh bien ! la morale de cette fable est donc qu’il en faut croire le premier écriteau ?

V. 49. (Serait-ce bien une misère,
Que d’être pape ou d’être roi ?)

Voilà pourtant La Fontaine qui trouve le secret de mêler un trait de son caractère, au récit d’une aventure qui y est le plus opposée.

V. 53. Le sage quelquefois….

Cela est vrai, mais dans tel ou tel cas qu’il aurait fallu spécifier, et non dans une aventure folle qui réussit à un fou.

Fable XV.
Discours à M. le duc de la Rochefoucault.

C’est toujours ce même duc de la Rochefoucault, auteur des Maximes, ce livre si cher aux esprits secs et aux âmes froides. L’auteur qui n’avait guère fréquenté que des courtisans, rapporte le motif de toutes nos actions à l’amour-propre ; et il faut convenir qu’il dévoile, avec une sagacité infinie, les subterfuges de ce misérable amour-propre. Mais s’il y a un amour-propre petit, mesquin, ou si l’on veut méprisable, n’en est-il pas un autre noble, sensible et généreux ? Pourquoi M. le duc de la Rochefoucault ne nous peint-il jamais que le premier ? Est-ce faire connaître un palais, de n’en montrer que les portions consacrées aux usages les plus rebutans ?

V. 4. Le roi de ces gens-là….

Les défauts des sujets ont servi à peindre leur roi, d’une manière dont on n’a point approché depuis La Fontaine. Il a eu bien raison de dire :

Peut-être d’autres héros,

M’auraient moins acquis de gloire.

V. 8. J’entends les esprits corps….

Nous voilà revenus à ne pas nous entendre.

V. 13. Et que n’étant plus nuit, il n’est pas encor jour.

Voilà un de ces vers que La Fontaine seul a su faire. Il est vrai qu’il est un peu imité du Tasse ou de l’Arioste, je ne me souviens plus lequel des deux.

V. 21. S’égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.

Tout ce tableau est charmant, et le dernier vers plein de poésie.

Ne reconnaît-on pas en cela les humains ?
V. 28. Dispersés par quelque orage.

Tout le reste est de trop.

V. 35. Quand des chiens étrangers….

Il y a trop peu de liaison entre cette idée et la précédente.

V. 49. Le moins de gens qu’on peut à l’entour du gâteau.

Cette attention de l’amour propre à écarter tous les concurrens, méritait les frais d’un Apologue particulier.

V. 57. Vous qui m’avez donné….

Il est aisé de reconnaître l’auteur des Maximes dans la comparaison du gâteau ; mais il aurait dû dire à La Fontaine qu’il n’en avait pas tiré le meilleur parti possible. Toute cette période, qui contient l’éloge de M. de la Rochefoucault, me paraît longue et pesante.

Fable XVI.

V. 1. Quatre chercheurs, etc….

La moralité qui résulte de cet Apologue est incontestable, mais elle a bien peu d’application dans nos mœurs.

V. 31. Comme si devers l’Inde…

Cette vanité n’est point inconnue dans l’Inde. Seulement elle y prend des formes différentes de celles qu’elle peut avoir en Europe. La Fontaine ne savait pas à quels excès horribles et dégradans la classe des Naïres s’est souvent portée contre les autres classes.