(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 440-443
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 440-443

GRANGE, [Joseph de Chancel de la ] né au Château d’Antoniat, près de Périgueux, en 1676, mort au même Château en 1758.

Ses plus grands succès ont été précisément dans le genre qu’il auroit dû s’interdire. Tout le monde connoît ses Philippiques, Ouvrage aussi plein d’énergie que de siel & d’atrocité, dont la poésie ne fait pas pardonner les monstrueux écarts. Malheur à ceux qui n’ont d’esprit qu’autant que la bile fermente dans leur estomac ! L’esprit qui naît des passions déréglées, ne peut que s’égarer. Il perd, aux yeux des hommes sages, tout le mérite qui peut briller dans ses créations.

Il y a toute apparence que cette sorte d’esprit étoit le seul partage de M. de la Grange. Ce qu’il a fait de sang froid est au dessous du médiocre. Ses Tragédies ne conservent pas même le plus foible reste de cette chaleur impétueuse qu’on remarque dans ses Philippiques. Amasis, Ino & Mélicerte sont restées au Théatre, sans qu’on s’empresse de les faire reparoître. Le défaut de simplicité dans le plan, les négligences dans la versification, ont été cause du discrédit de cette derniere, quoiqu’elle soit d’ailleurs intéressante & pathétique. La premiere est beaucoup mieux conduite ; mais les défauts de l’élocution nuisent au mérite qu’elle a d’ailleurs. Malgré sa médiocrité, elle n’a pas laissé de fournir, au Marquis de Maffei & à M. de Voltaire, le sujet de leur Mérope sous des personnages différens.

Pour apprécier en deux mots les talens & les défauts dramatiques de M. de la Grange, qu’on réunisse, d’un côté, la fécondité de l’invention, la liaison dans l’intrigue, l’adresse dans l’enchaînement des Scenes, la justesse & l’intelligence dans le dialogue ; & de l’autre, les travers d’une imagination romanesque à la foiblesse du style, au manque de vigueur dans les caracteres, à trop de langueur dans le dialogue ; & l’on aura une juste idée du mérite de ce Poëte. On peut encore plus sûrement conclure qu’il n’avoit de talent décidé que pour la satire, en ce que ses Opéra sont même inférieurs à ses Tragédies.

La malignité de son caractere ne l’abandonna presque jamais. Après avoir fait des Vers à la louange du Gouverneur des Isles de Sainte Marguerite, où il étoit prisonnier, & en avoir obtenu, par reconnoissance, un peu plus de liberté, il fit bientôt après une Epigramme violente contre le même homme ; ce qui le replongea dans une plus étroite prison. Ce trait suffit seul pour faire connoître que les talens sont toujours dangereux pour les mauvais caracteres.

Il a laissé un fils, qui a cultivé aussi la Poésie. Si les vers de celui-ci sont très-éloignés de la perfection, ils ne sont pas du moins souillés par les mêmes emportemens que ceux de son pere.

Il y a eu plusieurs Littérateurs de ce nom, qu’il ne faut pas confondre avec ceux dont nous venons de parler. La Grange, de Montpellier, mort à Paris en 1769, Auteur d’une douzaine de Comédies, dont quelques-unes eurent du succès dans leur nouveauté.

M. d’Olaiband de la Grange, qui s’est également exercé dans l’Art de la Comédie, mais dont les Pieces n’ont été jouées que sur des Théatres de Société.

M. la Grange de Checieux, mort à Paris en 1774, Auteur d’un Ouvrage de Politique, intitulé la Conduite des François justifiée, accueilli du Public dans le temps, & qui méritoit de l’être.

Enfin, M. de la Grange, à qui nous devons une bonne Traduction de Lucrece, & une médiocre des Œuvres de Séneque le Philosophe. Cette derniere Traduction est posthume, & précédée d’un Discours préliminaire, dans lequel on ouvera des détails sur le mérite & le talent personnel de ce Littérateur, mort à Paris en 1776.

GRAVILLE, [Barthelemi-Claude Graillard de] né à Paris en 1727, mort en 1764.

De toutes les Brochures dont il a été le pere, la seule qui lui ait survécu est celle qui a pour titre, l’Ami des Filles. Qu’on ne la regarde pas comme un de ces Ouvrages approfondis, médités avec soin, & toujours irréprochables dans leurs maximes : ce sera assez de convenir qu’elle est écrite avec facilité, & qu’elle contient des avis dont le sexe peut tirer de l’utilité.