(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »
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(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Chapitre VI.
Voltaire historien.

« Voltaire, a dit Montesquieu, n’écrira jamais une bonne histoire ; il est comme les moines qui n’écrivent pas pour le sujet qu’ils traitent, mais pour la gloire de leur ordre. Voltaire écrit pour son couvent. »

Ce jugement, appliqué au Siècle de Louis XIV et à l’Histoire de Charles XII, est trop rigoureux ; mais il est juste, quant à l’Essai sur les Mœurs des nations 172. Deux noms surtout effrayaient ceux qui combattaient le christianisme, Pascal et Bossuet. Il fallait donc les attaquer, et tâcher de détruire indirectement leur autorité. De là l’édition de Pascal avec des notes, et l’Essai, qu’on prétendait opposer au Discours sur l’Histoire universelle. Mais jamais le parti anti-religieux, d’ailleurs trop habile, ne fit une telle faute, et n’apprêta un plus grand triomphe au christianisme. Comment Voltaire, avec tant de goût et un esprit si juste, ne comprit-il pas le danger d’une lutte corps à corps avec Bossuet et Pascal ? Il lui est arrivé en histoire ce qui lui arrive toujours en poésie : c’est qu’en déclamant contre la religion, ses plus belles pages sont des pages chrétiennes, témoin ce portrait de saint Louis :

« Louis IX, dit-il, paraissait un prince destiné à réformer l’Europe, si elle avait pu l’être, à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. Sa piété qui était celle d’un anachorète, ne lui ôta aucune vertu de roi. Une sage économie ne déroba rien à sa libéralité. Il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être est-il le seul souverain qui mérite cette louange. Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats, sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux, il n’est pas donné à l’homme de pousser plus loin la vertu… Attaqué de la peste devant Tunis… il se fit étendre sur la cendre, et expira à l’âge de cinquante-cinq ans, avec la piété d’un religieux et le courage d’un grand homme. »

Dans ce portrait, d’ailleurs si élégamment écrit, Voltaire, en parlant d’anachorète, a-t-il cherché à rabaisser son héros ? On ne peut guère se le dissimuler ; mais voyez quelle méprise ! C’est précisément le contraste des vertus religieuses et des vertus guerrières, de l’humilité chrétienne et de la grandeur royale, qui fait ici le dramatique et la beauté du tableau.

Le christianisme rehausse nécessairement l’éclat des peintures historiques, en détachant, pour ainsi dire, les personnages de la toile, et faisant trancher les couleurs vives des passions sur un fond calme et doux. Renoncer à sa morale tendre et triste, ce serait renoncer au seul moyen nouveau d’éloquence que les anciens nous aient laissé. Nous ne doutons point que Voltaire, s’il avait été religieux, n’eût excellé en histoire ; il ne lui manque que de la gravité, et, malgré ses imperfections, c’est peut-être encore, après Bossuet, le premier historien de la France.