Retté, Adolphe (1863-1930)
[Bibliographie]
Cloches en la nuit (1889). — Thulé des Brumes (1891). — Paradoxe sur l’amour (1892). — Une Belle Dame passa (1893). — Réflexions sur l’anarchie (1894). — Trois dialogues nocturnes (1895). — L’Archipel en fleurs (1895). — Similitudes (1896). — La Forêt bruissante (1896). — Campagne première (1897). — Aspects, critiques (1897). — idylles diaboliques (1898). — Œuvres complètes, tome I. Poésie (1898). — Œuvres complètes, tome II. Prose (1899). — La Seule Nuit (1899).
OPINIONS.
Alfred Vallette
M. Adolphe Retté présente cette anomalie, d’être à la fois un poète qui a vraiment le don et un critique qui a vraiment le sens critique ; il a de plus la qualité rare de dire beaucoup, sinon tout, en très peu de place, et cependant sans sécheresse.
André Ruijters
M. Retté a, des choses, une vision un peu atténuée. Il a l’air toujours de regarder la vie à travers du souvenir. Sa poésie, en général, est douce, endolorie parfois de mélancolie et tout humectée de charme. Inégal mais artiste, M. Retté s’affirme poète et poète libre, ne se réclamant que de la loi essentielle et unique : le Rythme.
Edmond Pilon
M. Retté a la nostalgie de l’eau. Que ce soit la mer merveilleuse, tout enguirlandée de varechs et de madrépores, comme une galaxie d’étoiles roses ; que ce soit le fleuve, où tant de fois il admira rouler le Bateau Ivre ; que ce soit le lac plat, ou
Autre décor, une eau de songe et jamais grise ;
que ce soit la source bruissante en cascatelles d’écume, ou la fontaine de girandes lumineuses, ses yeux avides de cliquetis et de clarté s’amusent puérilement des perles blanches et des cristallines paroles grêles des gouttes d’eau. Les buccins et les nautiles de mer, les holoturies nacrées, s’étoilent de phosphorescences pour le tenter, et les spongites d’ambre et d’écailles, comme des bras, des lèvres ou des sexes, s’extravasent sous ses regards avides de profondeurs, de villes sous-marines et de solitudes impolluées où des formes glissent. Ainsi :
Et vainqueurs de l’amour nous allons sur la mer…Vers des flots caressés d’un murmure de voilesS’abolissaient languissamment des chants d’oiselles…Ô gracile unisson de nuit, de lune et d’eau,Vagules mémorant des morts frêles de flûtes !Vois : la rive en la brume assourdit ses volutes…Barque sillant très lentement l’eau musicale…Au bruit doux des roseaux, par l’ennui de la brise.La cascade sanglote et mon âme se grise…
Et puis toute la Sérénade sur la rivière ; et puis la Chanson pour la Dame de la mer ; et puis, ce qui est peut-être une des plus belles d’entre les belles saxifrages de ces flores marines, la radieuse Anadyomène, où ce vers lumineux comme un lever d’avril sur les grèves :
Mais la mer souriait comme une jeune fille.
Mais un nuage passe, le soleil, discret, se couche ; voici le soir, et le pilote, que les clartés mourantes des phares inquiètent, repense au départ :
J’ai délaissé la ville adverse pour voguerParmi les océans d’orage et de péril…
Ces qualités de nature large et de pure lumière font du livre de M. Retté quelque chose comme une apparition d’Antilles flottantes, de banquises de glaces reflétées, que les lucioles et les colibris, du vol de leurs ailes, poussent vers les Florides.
Francis Vielé-Griffin
M. Adolphe Retté est un homme généreux et primesautier en même temps qu’un des meilleurs poètes de sa génération ; son beau livre, miroir de son caractère, est primesautier et généreux. De son talent de poète il a voulu faire une arme justicière, traduisant en une œuvre dialoguée et dramatique sa vision de la régénération sociale. La philosophie humanitaire de M. Retté est l’anarchisme, doctrine souvent discutée durant ces dernières années et que notre incompétence politique est inapte à analyser utilement. Aussi toute une partie de ce poème, la meilleure peut-être au gré de son auteur, échappe-t-elle à notre appréciation. Nous avons suivi Jacques Simple en poète ; avec lui, nous avons rencontré le Sphynx, Jésus-Christ, les Salamandres, la Vieille Fée, le Barbare, les Thaumaturges, les Rois ; et la Forêt, qui symbolise l’erreur, une fois franchie, nous avons abordé en Arcadie, où chante la joie définitive ; or, nous avons écouté, sans plus, l’émotion verbale de ses chansons. Mais toujours — tant la philosophie sociale et la littérature se confondent en ce beau livre — nous demeurons gêné pour louer, à l’exclusion des généreuses déclamations du Héros, telles strophes descriptives, tels paysages, tels rythmes, et la difficulté se fait insurmontable.
Remy de Gourmont
C’est de la littérature anarchiste qui serait en même temps de la littérature, tout court ; un poème et un exposé de doctrine ; un rêve et un manuel ; mais le poème et le rêve sont dominants. Le défaut de ce drame prodromique, c’est son excessive clarté ; on lui a, je crois, reproché le contraire et de n’être pas assez « direct ». Singulière esthétique, car, enfin, la reproduction directe de la vie ou, comme ici, du possible est œuvre de science et non d’art, — à moins qu’on ne tolère cette enseigne ; photographie artistique. Similitudes nous emmène dans le possible, mais par de trop possibles sentiers ; trop clair, c’est aussi trop simple, trop comme le désire l’auteur, qui ne daigne compter qu’avec son rêve et de toutes les contradictoires tendances de l’humanité n’en admet qu’une, enfin victorieuse, celle qui lui plaît. On jugera mieux ce poème, écrit en une prose comme déshabillée de tout l’inutile, lorsque les rêvasseries des Sébastien Faure n’intéresseront plus que la pathologie mentale ; de toutes les déclamations de plusieurs déments ou faibles d’esprit, il demeurera, avec le souvenir d’une période d’aberration, renouveau des fraticelles, des camisards, des flagellants ou des hurleurs, — qu’un poète aura bien voulu se joindre à ces jeux et mener ces danses au son de belles phrases, agitées lentement comme des saules par le vent du matin ; et croyant détruire, M. Retté aura créé : l’état d’esprit anarchiste — de l’optimisme anarchiste — ne sera peut-être connu dans trente ans que par Similitudes. Il n’est pas resté, digne d’être lu, un seul écrit saint-simonien ; voici un écrit anarchiste auquel je souhaite d’être durablement représentatif, car, après toutes mes critiques, je l’avoue, sa lecture m’enchanta.
Albert Arnay
On a colporté beaucoup de mal au sujet de M. Adolphe Retté et de la Forêt bruissante. Il paraît qu’il a défendu dans ces pages, comme dans d’autres d’ailleurs, des idées qui troublent la sieste des bonnes gens. Ma foi, je veux n’en rien savoir. Mais ce que je sais, c’est que l’œuvre est belle, ardente, enthousiaste, que c’est l’œuvre d’un homme et qu’il faut en vanter la fierté, la sincérité, l’harmonieuse simplicité. Il n’y est rien qui ne soit d’une nécessaire éloquence. Et comme ces strophes s’allient étroitement ! Des leitmotivs se jouent de page en page. Des chœurs répètent les bonnes paroles. Aux cris de douleur, à l’amertume des souffrances premières, la saine et sainte joie succède, chantée par toutes les lyres d’une conscience droite et haute.
Des êtres passent en ce poème — et ils vivent de tout cela de très humain qu’ils ont en eux. Ce ne sont pas des fantoches débitant d’une voix monotone et affadissante des mirlitonneries pour demoiselles en mal de rêve.
Joachim Gasquet
M. Adolphe Retté nous donne l’exemple de tout ce que peut la force du sang. La richesse de celui-ci, qui commande à sa volonté, lui vient de ses aïeux. On le sait, l’auteur de Campagne première n’a pas commencé par célébrer le soleil. Des anges pervers modelaient ses strophes. Ses cloches véritablement, comme nous l’indiquait le titre d’un de ses anciens volumes, sonnaient dans la nuit. Le flamboiement de l’alcool brûlait dans ces ténèbres ; il y avait déjà, je ne veux pas l’oublier, des pages délicieuses ou ravagées de sauvages passions et qui donnaient le goût de grands rêves nocturnes, dans les brumes de sa flottante Thulé. La figure shakespearienne du Pauvre s’y dessinait déjà. Mais un jour il a suivi le conseil d’Éva, il a quitté toutes les villes. Les roses l’appelaient aussi. À Fontainebleau, il vit en pleine forêt. Il a retrouvé ses ancêtres. Son calme jardin s’ouvre sur le ciel vaste. Il a oublié Paris. De nouveau, au fond de ses veines, il a entendu, enfermée dans de beaux rythmes, la parole d’antiques choses. De tranquilles lumières sont entrées dans son cœur et veulent en sortir ayant pris une voix.
M. Adolphe Retté nous a livré, dans des pages que je ne me lasserai jamais de lire, le simple secret de la composition de ses derniers livres. La nature est sa seule école. Il entend la terre. Il écoute la pluie. Les arbres lui dictent ses poèmes. Le ciel est plein d’oiseaux. Le vent lui apporte ses rimes. Le murmure des étoiles tombe sur les moissons. Le poète se perd tout entier, flotte dans ces divins bruits. Les substances prennent les traits de son visage et de son émotion, elles se groupent dans son organisme, elles s’ordonnent dans son sang’, elles trouvent une bouche pour y chanter. Tous les mots qui s’échappent alors de ses lèvres, comme les abeilles de cette ruche humaine en travail, sont les vieux mots de la terre natale, tout parfumés du miel de la patrie. Car ce qu’il ne dit pas, ce que nous devinons, ce sont les inflexibles règles de vie consciencieuse que ce libre esprit a su se découvrir, qui l’ont pacifié, qui l’ont amplifié, et l’ont naturellement amené jusqu’au cœur de la race. Ce coin chevelu de la France, où il vit, est sa Gastine. Chaque fois que M. Adolphe Retté nous parle des plantes, il est admirable. Des pieds à la tête, son ode frémit comme un peuplier. Son Hymne aux arbres, grave, naïf, solennel, contient le mystère des bois. De hautes roches, dans ses vers, sont caressées par les branches pesantes des chênes, des femmes rêvent sous les platanes, des bêtes s’éveillent dans les halliers. Il connaît, comme Pan, toutes les essences des solitudes végétales. Il admire les parfums épouser les lueurs. Un jour religieux baigne la forêt qui bruit.
A. Van Bever
L’œuvre de M. Adolphe Retté présente des aspects divers. Depuis l’apparition de son premier recueil, Cloches en la nuit (avril 1889) jusqu’à la réalisation de ses derniers poèmes — Campagne première — il paraît avoir accompli une lente évolution. Fixé à Guermantes (Seine-et-Marne) en 1894 — après une condamnation pour outrage à l’autorité, — nous l’avons vu, élargissant le domaine de son esthétique, accueillir des idées nouvelles, s’éprendre des formes de la Nature au point de dédaigner ce qu’il avait naguère et avec passion défendu. Qu’apporta cette brusque réaction dans un art qui fut lui-même rénovateur ? On ne saurait encore le dire. D’aucuns préfèrent ses premiers vers, un peu dépourvus pourtant de la véritable angoisse humaine, aux chants plus larges, mais âpres et trop frustes, où il s’essaie à devenir le chantre de la Terre. Malgré la robustesse de ses conceptions et sa fécondité, M. Adolphe Retté n’en demeure pas moins le poète de ses anciennes visions.