(1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »
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(1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

VII

Les fêtes de Bayreuth en 1888

Nous recevons de Bayreuth la communication officielle suivante :

Il sera donné à Bayreuth pendant l’année 1888 :

9 représentations de la férie scénique, Parsifal,

8 représentations des Meistersinger von Nürnberg.

Ces représentations auront lieu du 22 juillet au 19 août.

Bayreuth, l’administration des fêtes.

Tristan et Isolde ne pourra être repris, la mise en scène des Maîtres Chanteurs exigeant tous les soins.

La Walküre de Richard Wagner et la Valkyrie de M. Victor Wilder

I.

Les poètes ne se traduisent point

peut-on traduire de la musique ?

Voltaire

 

Il est certain qu’aux nombreuses difficultés qu’offre toute traduction, de nouvelles s’ajoutent lorsque l’œuvre à traduire est musicale. Même lorsqu’il ne saurait être question d’une concordance entre le mot et la note, et même quand le sens des mots est indifférent, il y a toujours un rapport entre la coupe de la mélodie et l’allure de la phrase ; et c’est cette allure qu’il est difficile de rendre dans une autre langue. Cela est toujours difficile, mais ici ce l’est d’autant plus qu’on est forcé de mettre les paroles sous une mélodie qui, elle, reste immuable. Wagner était, en principe, adversaire des traductions d’opéras. Il aurait désiré que Don Juan et les Noces de Figaro ne fussent représentés en Allemagne qu’en langue italienne et par des Italiens (X, 132)ak ; il attribuait la décadence du chant dans sa patrie à cette habitude de représenter des opéras traduits de l’italien et du français (IV, 265). Et quand ses fonctions de chef d’orchestre l’obligèrent à diriger lui-même de tels opéras, il se donna une peine incroyable pour établir un texte allemand aussi parfait que possible par rapport à la déclamation musicale ; il le fit même lorsqu’il s’agissait d’œuvres banales qui ne sembleraient pas mériter tant d’attention. On comprendra que pour un chef-d’œuvre tel que l’Iphigénie en Aulide de Gluck, il se soit fait envoyer de Paris la partition dans son édition originale, et que, rejetant les travaux de ses devanciers et même de Spontini, il ait établi une version allemande qui produisit sur le public l’impression d’une œuvre nouvelle (V, 149, etc.).

Chez Gluck, en effet, l’union entre la parole et la note déclamée est déjà très intime. Ses récitatifs sont composés avec l’intention avérée de montrer ce dont la langue française est capable ; ils sont si puissants qu’ils ont convaincu même Rousseau. Et, en outre, le sens émotionnel des mélodies est d’une très grande précision ; avec cette réserve, toutefois, que les émotions à peindre sont toujours assez générales. Nous retrouvons des qualités semblables dans tous les opéras de Wagner, avec cette différence que la déclamation y est inspirée par la langue allemande.

Mais dans les drames de Wagner — le Ring, Tristan, Parsifal — l’union entre la parole et la musique devient tout autre. Car dans la conception même du poème, les deux ne font qu’un tout homogène. Ces drames sont des organismes qui se tiennent dans toutes leurs parties, depuis l’idée générale, presque abstraite, jusqu’au plus infime détail d’exécution matérielle. Lorsque Wagner écrivait ses vers, c’était l’inspiration musicale qui les lui dictait. Mais cette inspiration musicale elle-même était née d’une inspiration poétique ; elle ne se « condensait », elle ne devenait saisissable, qu’à mesure que le drame prenait forme, que ses acteurs se détachaient clairement, se mouvaient, parlaient dans l’imagination de l’auteur. Il y a là ces rapports de coordination si essentiels, si subtils, si ramifiés, qu’on peut appliquer à chacun de ces drames ce que Kant dit de sa Critique de la raison pure : « c’est un véritable corps vivant, dans lequel chaque partie est un organe. On peut considérer le corps entier comme n’existant que dans l’intérêt d’une partie ; et cependant chaque partie ne peut être interprétée que comme fonction du tout. De façon que même les faiblesses de l’œuvre et même ses défauts en sont une portion intégrante et indispensable et qu’on ne saurait éliminer. » C’est cette unité vivante qui est la grande force de l’art wagnérien ; c’est elle qui, inconsciemment, aveugle quelquefois les admirateurs du maître au point qu’ils croient se trouver en face de l’œuvre d’un dieu plutôt que d’un homme. Et tout en gardant sa pleine liberté de critique, quiconque étudiera consciencieusement et sans préjugés les œuvres de Wagner sera forcé d’admettre ce fait.

Mais ce n’est pas tout : non seulement tous ces drames sont des organismes vivants, chez lesquels tout se tient dans un réseau d’influences mutuelles, mais chacun est un corps doué d’une individualité marquée, d’une physionomie qui ne ressemble en rien à celle de ses frères. On a pu dire la même chose de la musique des opéras de Mozart ; mais dans Wagner ce n’est pas seulement la musique qui dans chaque œuvre diffère absolument de celle des autres, c’est la structure du vers, la diction, le style… Le poème de Tristan ne ressemble en rien à celui du Ring ; celui de Parsival n’a pas de rapports avec les deux premiers40 al. Wagner ne possédait pas seulement la science de la langue, grâce aux études philologiques qui durant toute sa vie furent sa joie ; il avait l’instinct sûr d’un vrai poète, et chaque mot est choisi avec un art presque infaillible41.

Il faudra donc que toute traduction d’un drame de Wagner, pour être admissible, remplisse d’abord certaines conditions générales qui n’existaient point pour les libretti d’opéras. Il faudra que l’ensemble du poème se lie intimement au caractère spécial de la musique, qu’on sente que l’un « est enfant de l’autre » ; et le style devra être moulé sur celui de l’original. Au fond, ces deux choses ne sont qu’une ; car, pour Wagner, la conception du poème et la langue ne font qu’un, de même que pour lui le style de la phrase musicale et le style de la phrase parlée ne sont que deux aspects d’une même pensée. Si je les ai séparées, ce n’est que pour faire ressortir leur unité avec plus de force. On ne saurait assez le répéter : chez aucun auteur antérieur — pas même chez Gluck, pas même chez Beethoven — il n’existe une connexité entre la parole et la musique qui soit comparable à celle qu’on trouve dans Wagner. Toujours ceux-là ont composé de la musique sur des textes donnés ; Wagner concevait musique et paroles simultanément, ou plutôt, le drame est né « dans le sein maternel de la musique ».

Cette considération de style poétique prime toutes les autres ; cela est évident42 am mais on verra que dans les détails de l’exécution, la traduction d’un drame de Wagner offre d’autres difficultés que ne présentaient point non plus les opéras de ses devanciers ; et on se convaincra que si cette traduction ne remplit pas au moins certaines conditions, elle est pire qu’inutile, elle est tout à fait mauvaise. L’expliquer en détail, ce serait développer toute la théorie wagnérienne sur l’œuvre d’art de l’avenir ; je préfère renvoyer mes lecteurs à Opéra et Drame (III et IV), à la Musique dans le drame (X), etc. Je rappellerai seulement trois ou quatre points principaux, sur lesquels devra constamment se porter toute l’attention du traducteur.

Les motifs an. La partie musicale du drame wagnérien est construite sur un certain nombre de thèmes ou Motifs. En cela elle est analogue à la musique instrumentale, dont elle diffère cependant en ce que le sens émotionnel de ces thèmes est précisé par le drame qui se joue sur la scène, et en ce que le retour des thèmes et leurs modifications ultérieures sont liés au mouvement du drame. Il existe une corrélation étroite entre ces thèmes et les passions ou émotions qui dominent les personnages du drame. Ces rapports peuvent être assez vagues43 ; ils le sont souvent. Mais chaque fois que la situation se précise, qu’elle arrive à un point culminant et décisif, la musique et la parole se rapprochent, les motifs sont moins enchevêtrés, ils se dessinent clairement et hardiment, ils rentrent dans une tonalité précise et constante… La phrase poétique se marie à la phrase musicale ; quelquefois elles se confondent à tel point que c’est la voix qui elle-même chante le thème. Assez souvent une situation entière se résume en un seul mot, sur lequel éclate le motif dans l’orchestre. Ou bien, dans une situation moins marquée, la mention d’un mot, ou d’un nom, fait naître des émotions vives ou flottantes dans le cœur d’un personnage (souvenirs, espoirs, craintes) ; et de nouveau c’est la musique qui nous révèle ces émotions passagères. Il est évident que dans, tous ces cas la traduction devra serrer l’original de plus près que jamais. Dans beaucoup de phrases la suite des idées devra être identique, aucune inversion n’est admissible ; dans d’autres il faudra, coûte que coûte, que le mot vienne se placer sous le mot. Si cela n’est point, la musique perd tout sens.

La Modulation. On trouvera la théorie de Wagner sur la modulation dans la musique dramatique aux volumes IV (185 à 195) et X (243 à 249). Wagner blâme énergiquement cc qu’il nomme l’orgie des modulations dans laquelle se complaisent les compositeurs modernes. Pour lui, il faut qu’elle soit indiquée, qu’elle soit commandée par la situation dramatique ou bien par la suite dans une seule phrase de mots éveillant des sensations opposées. C’est ce dernier cas surtout qui nous regarde ici. Wagner donne comme exemple ces deux phrases : « l’amour enfante la joie, et la douleur » et « l’amour donne le bonheur et la vie ». Dans le premier cas il modulerait dans un autre ton entre les mots joie et douleur ; dans le second, la phrase entière resterait dans le même ton. Or, de telles phrases, avec des mots opposés et antithétiques, soulignés par une note prolongée de la voix et par une harmonie très nourrie dans l’orchestre, sont fréquents. L’extrême sobriété du langage, sa merveilleuse concision, font ressortir encore plus l’importance de ce que M. Edouard Dujardin a si bien appelé les mots-sommets. Si le traducteur ne met pas ici le même mot sous la même note, les modulations n’ont plus de raison d’être, et nous assistons à une de ces « orgies » qui dégoûtaient le maître.

Les Notes longues ou accentuées. On sait quelle importance Wagner attachait à l’accentuation absolument correcte. Jamais la clarté du langage et le bon sens ne sont sacrifiés à la musique. Ce sont les mots essentiels de la phrase qui sont accentués par les parties fortes du rythme, souvent par des notes longues ; les autres se contentent de ce qu’il nommait les petites notes ». On ne peut, évidemment, exiger d’une traduction une conformité absolue sur ce point. Mais ce qu’on peut exiger, c’est que sous une « grande note », c’est-à-dire sous une note haute et longue, il n’y ait point un mot indifférent ou une syllabe sans importance, et que là où la phrase poétique est pleine et soulignée par des accords soutenus, elle ne mette que la partie essentielle du discours.

Telles étant les principales qualités qu’on a le droit d’exigence tout produit se donnant comme traduction d’un drame wagnérien, on peut se demander si une traduction est possible. Franchement, je ne le crois pas. Wagner a voulu faire une œuvre nationale ; il y a réussi. Il nous a, pour ainsi dire, imposé la nécessité d’apprendre la langue allemande. Je ne vois qu’une seule façon de tourner la difficulté ; se serait de tenter une solution approximative en faisant, parallèlement, ceux traductions : l’une littérale et littéraire, comme je l’ai indiquée, — l’autre, littérale aussi, mais qui ne se soucierait que des exigences de la musique, et qui ne craindrait pas de sacrifier à ces exigences la syntaxe, pour placer chaque fois que cela est nécessaire, et sans une seule exception, le mot sous le mot et sous la note. Les deux traductions, cela va sans dire, en prose.

II.

Ces gens n’entendent rien, ni à la poésie, ni à la musique… et ils ont fait leurs traductions à peu près comme on traduit ces articles de journaux et des réclames de fabricants.

Richard Wagner

 

Depuis quelques mois déjà j’ai sur ma table deux partitions pour piano et chant : la Valkyrie, version française par Victor Wilder, et Tristan et Yseult, version française par Victor Wilder. On me demande d’en faire l’étude critique. Mais critiquer, c’est apprécier, c’est distinguer les qualités et les défauts… Or, après huit mois, j’en suis encore à me demander quelles peuvent bien être les qualités de ces « versions ». Et je crains, si je dis d’elles ce que j’en pense, que ceux de mes lecteurs qui ignorent la langue allemande ne croient que j’exagère.

Que ces derniers me permettent de dire deux mots sur le style poétique de la Walküre de Wagner, avant d’aborder la Valkyrie de M. Wilder.

L’Anneau du Nibelung est écrit en vers courts, non rimés, scandés par les seuls accents de la phrase et par des consonnes allitérantes. C’est la forme de nombreux vieux poèmes allemands. Mais la ressemblance s’arrête là. Le drame chanté exigeait une tout autre langue que les œuvres des poètes épiques et lyriques. Wagner en a longuement traité dans Opéra et Drame (IV ; voir aussi III, 126 ; V, 8 ; VI, 371 ; X, 209 ; etc.). Ce qui caractérise surtout cette langue, c’est sa brièveté extraordinaire. Puisque c’est la musique qui nous traduit toutes les émotions, il faut que la phrase soit réduite à sa plus simple expression et qu’elle ne contienne que des mots essentiels. Les particules, les verbes auxiliaires, etc., en sont autant que possible bannis. L’épithète, la métaphore, le trope, se rencontrent relativement très rarement. Même le qualificatif est toujours réduit à sa plus simple expression. Les exceptions qu’on peut trouver à cette règle ont toutes une raison spéciale : c’est un aperçu soudainement ouvert sur une signification symbolique, ou bien une réminiscence mythologique légèrement indiquée (Voir Wolzogen : la Langue dans les poèmes de Wagner). Wagner choisit les mots les plus simples, les racines de la langue, et il ne craint pas à cet effet de reprendre dans leur forme primitive les mots tombés en désuétude ou bien décolorés par une littérature molle. Et lorsque, dans les crises de grandes passions, il lui faut les exclamations les plus violentes, les plus pathétiques, il prend toujours les mêmes trois ou quatre mois : « selig, brunstig, heilig »… les termes génériques dans leur plus simple expression, parce que ceux-ci seuls siéent aux héros de son poème. « L’homme vivant et vrai, dit Wagner, ne décrit pas ce qu’il veut et ce qu’il aime : il aime et il veut… La poésie ne faisait plus que décrire… elle vous donnait le catalogue d’une galerie de peintures, mais pas les tableaux… elle était forcée de devenir platement prolixe… J’ai dû éliminer tout ce qui était superflu, fortuit, indécis, retrancher tout ce qui dénature les vrais sentiments des hommes… je n’ai gardé que le noyau… et je l’ai exprimé dans une langue concise, eu serrant autant que possible les accents de la phrase… » La langue est donc très forte, très concise, abrupte, « quintessenciée ».

Et la Valkyrie de M. Wilder ? Je ne saurais dire dans quel style cela est écrit. Toute la littérature française y passe — en lambeaux, On a voulu me persuader que M. Jules Barbier dominait le tout, mais je ne puis l’admettre ; il n’a que sa part, comme de juste. Non, ce qui imprime à l’ensemble une sorte d’unité, c’est l’uniformité ; car les ressemblances qu’offre la diction avec les vers classiques, romantiques, parnassiens, et autres, ne sont que toutes superficielles. Au fond il y a un manque uniforme de toute espèce de style. C’est désespérément plat et banal et lourd. On ne conçoit pas que le poème si puissamment original de Wagner ait pu exercer une action aussi nulle et inspirer cette espèce de feuilleton rimé de petit journal. Je tiens cependant à affirmer de suite que je ne doute pas de la bonne foi de M. Wilder. L’inspection de ses textes m’a persuadé qu’il a travaillé consciencieusement et qu’il a cru bien faire. Et puis certaines expressions, qui reviennent souvent, et qui semblent si dépaysées dans ce milieu de héros et de dieux, m’ont touché par leur si évidente honnêteté bourgeoise… Sieglinde dit à Siegmund « laisse-moi contempler, cher époux ! et il réplique « viens, cher trésor ! » ou « cher et doux trésor », etc. Tristan appelle Isolde et ma chère femme », et elle, penchée sur son cadavre, s’écrie : Accorde-moi cet instant plein de charmes !… »

M. Wilder a écrit sa Valkyrie dans la forme habituelle des libretti d’opéras quelconques. Ce sont des vers à deux, trois, quatre, cinq, six pieds… En voici quelques spécimens, pour montrer l’allure générale :

Ma maison, c’est la loi de l’hospitalité,
Pour la nuit te tienne abrité ;
Mais demain, retiens la menace,
Demain, sans merci ni grâce,
De nos morts je veux venger le trépas. (33)44

Est-ce donc un crime si grand
D’écouter la voix de son âme ?
L’amour a fiancé leurs cœurs,
Au souffle des zéphyrs vainqueurs. (90)

Alors adieu Walhall, délices infinies,
Adieu vous tous, héros, tombés dans les combats,
Adieu vierges du ciel, divines Valkyries,
Auprès des Dieux, je ne te suivrai pas ! (162)

Sur les champs de bataille, où plane la victoire,
Tu n’iras plus marquer, de ton doigt triomphal.
Les héros destinés aux splendeurs du Walhall !
Au céleste banquet, dans la corne d’ivoire,
Tu ne me tendras plus le vin ou l’hydromel,
Offrant ta lèvre en fleur au baiser paternel ! (252)

D’au juste châtiment votre âme est trop émue ;
Mais, croyez-moi, sur l’heure envolez-vous,
Abandonnez la déesse déchue,
Si vous voulez éviter mon courroux. (266)

Il y a pas, en le voit, le moindre effort à créer en français quelque chose d’analogue au style de l’original. Les phrases sont ou platement banales, ou bien elles entassent des oripeaux de mélodrames sur la simple et sévère parole du maître ; laides, elles le sont toujours. Et puisque M. Wilder ne nous fait pas grâce de ce que Wagner nommait « un drelin-drelin pour endormir les sauvages et les enfantsao », la rime ; puisqu’il a si inutilement ajouté cette difficulté à toutes celles que comporte déjà une traduction, la conséquence est qu’il a dénaturé le poème, non seulement dans sa forme générale, mais dans chaque détail. Souvent, je l’admets, on est frappé de ce que M. Wilder ait pu, avec son système, suivre le texte de Wagner autant qu’il l’a fait ; ce sont de véritables tours de force qu’il exécute. Mais je ne puis que répéter ce que Sidney Smith disait des passages vertigineux d’un virtuose : « Plût à Dieu que ce fût « impossible ! » Il est bien rare que le sens de sa phrase soit identique à celui de la phrase allemande. Généralement il n’y a entre les deux qu’un rapport plus ou moins vague ; souvent M. Wilder enfourche un Pégase tout à lui et pendant longtemps il n’est plus question du poème allemand45 ; d’autres fois, se passe une chose très curieuse, M. Wilder dit précisément le contraire de ce que dit Wagner46.

Sous ces conditions, il ne saurait être question d’unité entre les paroles et la musique. Non seulement le style de M. Wilder empêche toute unité dans le sens élevé du mot ; mais la conformité dans le détail manque à un tel point que cette musique expressive devient un non-sens. Nous nous trouvons en face « d’un chaos, d’une masse incohérente qu’on ne pourra s’expliquer qu’en l’attribuant au caprice d’un musicien fantasque, incapable… » (R. Wagner, IV, 270).

 

Aujourd’hui j’ai étudié trop consciencieusement la Valkyrie de M. Wilder pour avoir envie d’en faire une critique très détaillée, avec citations de musique, etc., ainsi que j’en avais au premier moment eu l’intention. J’ai hâte d’en finir ! Je donnerai cependant, au hasard, quelques exemples de défauts de style, de traduction, de déclamation, ce manque de conformité du texte sous les modulations, etc., en tâchant de rendre la chose aussi claire que possible. Cela suffira, je l’espère, à convaincre ceux qui n’ont pas l’occasion de feuilleter la Valkyrie et ceux, qui ne savent pas l’allemand et qui ne peuvent donc qu’imparfaitement se figurer à quel point cette traduction est détestable. Voilà pour le style ; on verra comment M. Wilder comprend la langue concise et simple de Wagner.

« Moi seul, ici, commande en maître et dicte des arrêts » (19)47.
« Son image, en mon âme attendrie, éveille encore un vague émoi » (22)48.
« Je vis tomber la vierge… sous le fer criminel de lâches assassins » (31)49.
« Ô femme aimée, ô femme pure et sainte » (10)50.
« Un charme auguste et céleste » (63)51.
« Quel charme triomphant s’empare de mon être » (66)52.
« Il a grandi sous mon œil tutélaire » (127)53.
« Que ton fer d’allégresse tressaille » (174)54.
« Père adoré » (274)55, etc., etc..

Naturellement, il est toujours question de « sainte majesté », de « femmes divines », d’« iniques sentences », de « laver l’outrage », de la « glace des âmes », des « plaines d’azur du ciel »… Nous retrouvons aussi tout le bataillon de nos vieux amis : l’heure d’ivresse, qui rime avec tendresse, les saphirs et les zéphirs, courroux et jaloux, les flammes et les âmes, les armes et les alarmes…

Quant aux changements de sens qu’a subis le texte de Wagner en passant par les mains de M. Wilder, ils sont littéralement innombrables. J’en citerai deux ou trois.

D’abord, un exemple bien amusant dans Tristan, Isolde chante : « Tristan ! ha ! horch… er wacht ! Geliebter ! » (242) (écoute… il se réveille ! Bien aimé !) ce que M. Wilder rend par : « Tristan, de grâce ! attends ! Je meurs, j’expire ! » (269)56.

Pour la Walküre on vient de voir plusieurs exemples qui ne laissent rien à désirer. En voici encore. Sieglinde dit à Siegmund : « Montre-moi tes blessures » ; il répond : « Gering sind sie, der Rede nicht werth » (12) (Elles sont insignifiantes, ne valant pas qu’on en parle). M. Wilder écrit : « C’est peu de chose, moins de mal que de peur » (10). Ce Siegmund, le Wselsung, fils de Wotan, père de Siegfried, qui a peur… c’est bien trouvé !57.

Brünnhikle, à genoux devant Wotan : « Je te suis fidèle : vois, Brünnhilde te prie » (101) ; ici : « Quel noir chagrin te torture et t’accable ? » (113)… Il est inutile de continuer, on n’a qu’à prendre presque chaque phrase.

Je ferai cependant encore remarquer que notre traducteur pousse la perversité jusqu’à dénaturer les simples indications scéniques, sans doute en voulant les embellir. Par exemple, lorsque Wagner dit « une salle » (7), il écrit « une vaste salle » (I) ; et lorsque Wagner dit « ein Sturm », ce qui signifie une tempête, un orage, il traduit « un ouragan ». Il ajoute aussi des indications de son cru : par exemple, à la page 28, vous trouverez « avec un mépris contenu » : dans la partition allemande il y a simplement « etwas lebhaft », c’est-à-dire poco animato. Ce souci de vouloir faire mieux que Wagner est vraiment du dernier ridicule.

De tout ce que j’ai dit sur le drame wagnérien, il ressort avec tant d’évidence que la musique de ce drame doit perdre tout sens, toute valeur, alliée à un texte pareil, qu’une nouvelle démonstration est inutile. Je me contenterai de donner un unique exemple pour chacun des points principaux dans lesquels l’accord entre la parole et la musique est indispensable : une phrase chantée sur un motif thématique, la rentrée d’un motif, la modulation dans une phrase, les notes accentuées.

Un des thèmes les plus importants du drame, est celui qui a été assez heureusement nommé le motif du renoncement. Woglinde le chante dans la première scène du Rheingold, et à partir de ce moment il entre dans la trame symphonique, dont il forme jusque dans la Gœtterdaemmerung un des éléments principaux, modifié de mille manières par la modulation, l’harmonisation, la combinaison avec d’autres thèmes, etc. Voici les mots : « Nur wer der Minne Macht entsagt, nur wer der Liebe Lust verjagt… »58. Il se chante lentement, et on se souvient que la mélodie en est très expressive et d’une couleur pénétrante ; on ne l’oublie plus. L’accent principal tombe sur le mot ent-sagt (re-nonce), dont la syllabe accentuée forme le point central de la phrase, et qui se chante sur une blanche. Les deux autres accents tombent sur la syllabe appuyée des mots Minne et Liebe, qui tous les deux signifient Amour ; c’est chaque fois une noire et demie sur la partie la plus forte du rhythme. Voilà donc les trois mots qui dans toute traduction devront venir sous les mêmes notes : renonce, amour, et amour, — Or, il arrive dans la Walküre une chose très exceptionnelle : c’est que ce même motif est de nouveau chanté par la voix tout au long, dans le même ton59, et avec cette seule différence que la valeur de chaque note est doublée, de façon que les quatre mesures en font ici huit60. C’est Siegmund, au moment décisif, lorsqu’il va arracher l’épée au frêne, qui le chante. Et il le chante sur une phrase strictement parallèle à celle de Woglinde, ses mots formant une rigoureuse antithèse aux siens : il ne renonce pas à l’amour, il ne peut y renoncer ; c’est au contraire l’amour qui le contraint d’agir et qui lui donne la force d’arracher l’épée ; ici il invoque l’amour, pour ainsi dire, et en même temps il semble faire retomber sur lui la responsabilité de son action. Toute la suite du drame découle de ce moment, de cette action ; c’est elle qui entraîne toutes les catastrophes qui vont suivre, et c’est l’Amour qui en est l’irrésistible principe : ou voit l’importance de la rentrée du thème musical dans la voix. Siegmund chante : « Heiligster Minne hœchste Noth, sehnender Liebe sehrende Noth… » (65)61. Il est donc absolument indispensable, pour la compréhension du drame musical, que deux fois le mot Amour vienne tomber sous la même note que dans le texte allemand et dans la phrase de Woglinde. Car, comme on le voit, les mots Minne et Liebe sont à la même place dans cette phrase que dans Rheingold, et ils se chantent sur les mêmes notes et avec le même accent. Et il sera tout aussi indispensable, maintenant que le mot Noth remplace entsagt, que ce soit le mot contrainte sur lequel tombe l’accent principal cela phrase (une mesure entière). Si cela n’est pas, ce point culminant du drame perd toute signification poétique et musicale. Que dit M. Wilder ? « Heure d’angoisse, heure d’ivresse, qui, pour jamais, vas fixer notre sort… » (71). L’accent principal, la mesure entière vouée à l’implacable contrainte, tombe ici sur le mot ivresse » ! et à la place d’Amour et d’Amour, nous trouvons « angoisse » et « jamais ». Et une phrase entière, chantée à un moment capital, sur une des mélodies fondamentales du drame, et qui n’a aucun rapport avec la phrase du texte original ! — Cela suffît-il comme exemple ?ap

Voici un exemple de l’indication d’un motif sur la simple mention d’un mot, lequel résume toute une suite d’idées. Wotan, au second acte, parlant de Siegmund, dit : « Gegen der Goetter Rache schützt ihn nun einzig das Shwert » (115) (Contre la vengeance des dieux le protège maintenant, seule, l’épée !). Ces deux mots, das Schwert (l’épée), sont chantés sur une quarte qui caractérise le début d’un motif principal dans le drame.

Et ils sont chantés dans le même ton que lorsque l’orchestre entonne pour la première fois ce thème : ce sont les notes identiques. A peine sont-ils prononcés, que la trompette, dont le timbre est caractéristique du motif, accentue cette réminiscence par la quarte suivante. C’est comme un écho de ces mots, « l’épée », et instantanément nous sentons comme la « grande pensée » de Wotan lui traverser l’esprit, celle qui le remplissait de joie et d’ambition démesurée lorsque pour la première fois il salua son Burg du nom de Walhail (Voir Rheingold, partition, page 207). M. Wilder traduit : « Ce fer qu’il arracha du frêne séculaire » (127). Là où en allemand il y a « l’épée », il y a ici « — culaire »… Et l’orchestre nous renvoie l’écho attendrissant : « — culaire. »

Pour la modulation, on regardera, par exemple, la phrase lente de Sieglinde : « Mir allein weckte das Auge süss sehnenden Harm. Thraenen uad Trost zugleich » (41)62. Cette phrase est appuyée par de longs accords dans l’orchestre ; elle module fortement. Les successions chromatiques et les notes dissonantes augmentent en nombre et dessinent une figure douloureuse et tourmentée sur le mot culminant Harm (chagrin), qui est tenu pendant une mesure entière ; ensuite tout s’apaise, et sur la fin de la phrase, au mot « consolation », nous rentrons dans la tonalité fondamentale. M. Wilder écrit : « S’il s’arrêtait sur moi, tout à coup radouci, l’œil du vieillard semblait se voiler d’une larme » (45)63. C’est sur « tout à coup radouci » que les modulations commencent ; le passage tourmenté se joue sous les mots « l’œil du vieillard semblait », et c’est sur les mots « se voiler d’une larme » que la musique se calme et retombe dans l’accord parfait de la tonique !…

Ne voit-on donc pas que chantée sur un pareil texte, la musique expressive de Wagner devient simplement monstrueuse ? On trouvera des exemples pareils à chaque page. C’est un charabia sans rime ni raison.

Un dernier exemple relatif à l’accentuation. Pour plus de clarté je choisirai une phrase entière qui est composée de deux moitiés, l’une accentuée, l’autre qui ne l’est pas. Siegmund dit à Brünnhilde « nur von Walhall’s sproeden Wonnen sprich du wahrlich mir nicht ! » (1152). Prenons la version de M. Wilder : « Mais ne me parle plus des splendeurs du Walhall ! » (170). La première moitié de la phrase allemande, dans laquelle il est question de Walhall et de ses « splendeurs », est appuyée par des accords soutenus dans l’orchestre ; la seconde moitié, l’exclamation impatiente « ne me parle plus », est scandée d’un seul bref trait. Il faudra donc tourner la phrase française de façon à avoir les mots « splendeurs de Walhall » sous les accords pleins et soutenus. Rien de plus facile, du reste Mais des splendeurs de Walhall — ne me parle plus ! » Mais non : il y a quelque part dans une phrase antérieure un « fatal » qui demande à rimer avec quelque chose. On lui sacrifie donc toute la vérité de l’expression ; on appuie pendant une demi-mesure64 sur la syllabe ovine mais (une conjonction qui n’a aucune importance), et un peu sur « parle ». Quant aux mots essentiels, les « splendeurs de Walhall », ils s’en tirent comme ils peuvent, sous le temps faible de la phrase musicale. (La syllabe « Wal », par exemple, n’a qu’une double croche !)

Mais je supplie qu’on me fasse grâce. On ne sait pas combien il est douloureux à quelqu’un qui connaît et qui aime Wagner, d’être contraint à s’occuper de cette triste parodie de l’art qui fait une des joies de sa vie.

Ces exemples auront d’ailleurs suffi, je l’espère, à montrer ce que c’est que la Valkyrie de M. Wilder. — Du reste, Wagner, il y a de cela environ trente-cinq ans, a comme prévu la venue de M. Wilder, et, en quelques lignes, il a résumé avec tant de force tout ce qu’il y a à dire sur ses « versions », que je ne puis mieux faire, pour terminer, que de le citer !

« Le mal que le traducteur a cru devoir se donner, c’est de décorer sa langue vulgaire de rimes ineptes, quoique dans le chant on ne s’aperçoive presque jamais de la rime. Et. comme cette occupation offrait des difficultés assez sérieuses, on y a sacrifié la suite logique des mots… on a complètement dénaturé le sens du poème… les accents de la phrase parlée ne répondent plus à ceux de la musique. Sous les notes courtes nous trouvons les syllabes appuyées… sous le temps fort de la phrase musicale se glisse le temps faible de la phrase poétique… Le vaste développement de l’organisation musicale à travers le drame entier ne servira plus qu’à nous dérouter complètement… cette musique ne saurait nous faire d’autre impression que celle d’un chaos, d’une masse incohérente, déchirée, et qu’on ne pourra expliquer qu’en l’attribuant au caprice d’un musicien fantasque, embrouillé, incapable, et qui ne sait pas lui-même ce qu’il veut. » (IV, 265 et 370).

III.

Pour tout homme qui aime sérieusement l’art et qui voit dans la musique autre chose que le plus superficiel des passe-temps, cette Valkyrie de M. Wilder n’existe point, tout simplement : c’est une œuvre mort-née, et on ne saurait mieux faire que de ne plus y penser. Mais malheureusement ce n’est là que le symptôme le plus morbide parmi tant d’autres, qui indiquent un fourvoiement inquiétant des esprits par rapport à tout ce qui concerne Wagner. Si ce fourvoiement n’existait point, une œuvre qui dénature aussi complètement le drame wagnérien n’aurait pas obtenu le succès qu’elle a eu dans la presse65, et, surtout, il aurait été impossible qu’elle réussisse sur la scène. Mettez quelques centaines d’hommes qui ont de l’éducation, du bon sens et du bon goût, mais qui n’ont jamais entendu parler de Wagner dans un théâtre, et jouez-leur la Valkyrie de M. Wilder, sous le prétexte de leur faire entendre un drame musical : ils s’écrieront unanimement que c’est idiot, que ce n’a pas le sens commun, et, avec Wagner, ils diront que « c’est le caprice d’un musicien fantasque, incapable, qui ne sait pas lui-même ce qu’il veut… ». Et voici que ces mêmes gens, ont aujourd’hui l’esprit tellement faussé par tout ce qui se dit sur Wagner et le goût tellement dépravé par ce qui se passe dans les salles de concert, qu’ils battent des mains et trouvent cela beau ! — Ce n’est pas encourageant pour « l’œuvre d’art de l’avenir ». Mais il en est de même sur toute la ligne.

Richard Wagner avait horreur de ce qu’il nommait les « orgies de musique » : c’est lui qui maintenant forme le principal prétexte d’innombrables orgies de ce genre. Il ne pouvait souffrir ces « travestissements de musiques dramatiques » (V, 146), les exécutions de fragments d’opéras dans des concerts : ce sont ses œuvres » qu’on a choisies, pour les travestir tous les dimanches. Avant tout il recherchait la vérité dans l’expression artistique, et il entrait en lutte avec son orchestre, avec ses chanteurs, avec son directeur et avec son public pour rétablir la vérité, aussi bien dans l’exécution des œuvres de Mozart et de Bellini, que de Gluck : donnant à Bruxelles un fragment du Ring détaché de ce qui précède, plein de motifs musicaux qui ne peuvent avoir aucun sens pour les auditeurs, on le chante sur le texte que nous venons de voir, de façon que le tout est une des plus ignobles pasquinades qui jamais aient été attentées contre une belle œuvre d’art ! — Et pendant ce temps, il paraît à Paris des douzaines de livres sur Wagner : nulle part on ne trouve une semblable surexcitation, un tel besoin de communiquer au public ses idées et ses appréciations sur ce maître. Mais quels livres ! à peine y a-t-il dans un ou deux d’entre eux quelques chapitres qui soient sérieux. Ce sont de vieux mythes réchauffés, des aperçus théoriques de pure fantaisie, des analyses de drames cent fois refaites et toujours inutiles puisque la nature même du drame reste incomprise, et toujours les mêmes psychologies profondes sur la distinction entre l’homme et l’artiste, et autres inepties ! Presque aucun de ces auteurs ne se donne la peine d’étudier sérieusement tous les écrits de Wagner, de connaître sa vie, d’étudier patiemment ses partitions, d’entendre souvent les meilleures exécutions, avant de communiquer au monde ce qu’était Wagner et ce qu’ils en pensent66.

De cet ensemble de circonstances fâcheuses, il résulte un état désastreux des esprits. Autrefois Wagner était connu en France de quelques poètes, de quelques musiciens, et il était apprécié. Aujourd’hui que tout le monde en parle, on ne le connaît plus.

Il n’y a qu’un fantôme monstrueux et grotesque qui s’agite sous ce nom, en faisant beaucoup de bruit, et en causant à l’art un tort considérable.

Il n’y aurait qu’un moyen de remédier à cet état de choses : ce serait de s’efforcer à faire le silence autour de ce nom vénéré.

On nous a souvent reproché, à nous, Wagnériens convaincus, d’être une cause principale de ces malentendus, de cet égarement du goût. C’est bien à tort ; nous ne nous sommes jamais adressés qu’à un public très restreint et d’élite ; nous n’avons jamais ambitionné de « vulgariser » l’œuvre de Wagner, car nous savons fort bien que la seule vulgarisation à désirer, serait celle qui se ferait indirectement, par l’influence du maître allemand sur les artistes français : toute autre est foncièrement mauvaise. Ce que nous demandons est bien simple. Nous voulons que les artistes et que les hommes qui aiment l’art aillent à Bayreuth, parce que là, seulement, ils trouveront des représentations vraiment parfaites des drames de Wagner, et qu’en art, la perfection seule compte. Nous voulons qu’ils étudient les écrits de Wagner ; qu’ils apprennent à voir en lui plus qu’un simple musicien, un profond penseur ; qu’ils subissent ainsi l’influence de cet homme dont l’effort principal (quoique peu connu) a été de montrer que l’art est la chose la plus sainte, et le théâtre un lieu où peuvent vivre de la vie intense de l’art les plus profondes passions et les émotions les plus cachées, Y a-t-il au monde quoi que ce soit qui puisse influencer plus salutairement un artiste que le spectacle de cette vie virile tout entière vouée à un idéal, et de ce prodigieux effort vers la réalisation de cet idéal ?

Non ; le mal vient en premier lieu de ces quelques personnes, qui a beaucoup de talent et à beaucoup de zèle joignent une très malheureuse ignorance de ce qu’est le drame wagnérien. Ce sont elles qui ont en premier lieu égaré le public, et qui l’égarent encore aujourd’hui. Et à elles viennent se joindre toute cette cohue de mélomanes enthousiastes, et aussi tous ces gens qui, sous le manteau de la modération, de l’impartialité, du patriotisme, que sais-je ? ne cachent que la médiocrité de leur entendement. En dernier lieu, nous avons cette nombreuse plèbe artistique, pour qui Wagner n’est qu’un prétexte pour récolter de la renommée, ou de l’argent.

Il serait facile d’enrayer ce mouvement. Que M. Lamoureux ne nous serve plus de lambeaux de Tristan et de la Walküre dans ses concerts67 ! Qu’il ne tente plus de représentations wagnériennes ! Il a démontré que les artistes français pouvaient donner de l’opéra Lohengrin une exécution supérieure sous plusieurs rapports à celles des premiers théâtres de l’Allemagne. Il peut en être fier. Mais tout ce qu’il tenterait de plus serait de trop. Un Théâtre-Wagner à Paris est non seulement inutile, il serait à tous les points de vue nuisible. Les travestissements de drames joués sur cette scène seraient la mort de tout vrai wagnérisme ; et en même temps il est fort probable qu’elles porteraient un coup fatal à la musique dramatique française, Richard Wagner a toujours dit que son drame musical ne pourrait exercer une influence bienfaisante sur l’art français qu’en restant allemand et que « si l’on évitait la moindre prétention à vouloir le franciser »68. Il faut donc s’opposer résolument à toute introduction des drames de Wagner à Paris.

Et, pendant cette bienheureuse période de calme et de recueillement, que ceux qui veulent étudier sérieusement les partitions de Wagner sachent bien que ce ne sont pas les « versions françaises » de M. Victor Wilder qui pourront leur servir à quelque chose ».

 

Documents de critique expérimentale : Parsifal

I : Gefuehle (Suite).
Schallwelt (le monde des sons) : acoustique.

Avant de pénétrer dans le détail de l’analyse des motifs, il n’est pas inutile d’examiner rapidement les grands traits et les teintes fondamentales d’où ressort l’architecture mélodique, caractéristique de chaque scène. La musique en effet est continue d’un bout du drame à l’autre et nous pouvons nous attendre à y retrouver à la fois le reflet de la décoration, de la plastique, de la mimique et des paroles. Il suffira que nous marquions quelques-uns des points principaux, la compréhension du drame exigeant une connaissance sensorielle que l’analyse critique ne peut donner au lecteur, lequel se doit d’ailleurs à lui-même de voir jouer et de lire les drames wagnériens le plus souvent et le plus attentivement possible.

La musique dramatique a pour rôle ce seconder, de multiplier, de développer en la fécondant, de faire vivre en un mot l’expression partout où elle se trouve, qu’elle provienne du geste ou de la plastique, du décor ou du mot. Elle joue ici le rôle d’un décor, d’une plastique, d’un jeu de gestes et d’intentions perceptible à l’oreille et pénétrant l’intelligence sans être arrêtée par l’objectivité des phénomènes visuels. Comprise de cette façon, l’œuvre dramatique présentera à l’étude une coïncidence, un conflit de motifs visuels et auditifs se complétant, se superposant et se répondant d’une façon constante.

Nous avons vu, pour donner les exemples les plus saisissables, le style du zig-zag dominer dans les motifs picturaux de la première scène du second acte, nous voyons ce même style animer et coordonner les motifs musicaux du milieu dramatique où se meut Klingsor. Son attitude agitée, farouche, sarcastique et violente retentit dans l’orchestre et dans son chant. D’autre part, pendant que de sinistres vapeurs bleuâtres s’élèvent dans l’ombre, après le Herauf de Klingsor, répété profondément à l’orchestre, un motif lamentable et terriblement navrant se traîne dans la lugubre pénombre de l’orchestra, commentant et signifiant la situation. Toute la scène serait à étudier, dans les moindres attitudes et dans les moindres mots des acteurs, depuis la fureur de Klingsor jusqu’à la tumultueuse déroute des chevaliers.

Au tableau suivant, l’enguirlandement des motifs complète celui des fleurs et des chœurs, et il n’y a point à développer ici les rapprochements immédiatement appréciables. Toute la belle scène de Kundry doit, à ce point de vue être analysée note à note.

Dans les deux tableaux du templeaq, la chorétique règne dans l’orchestre autant que sur la scène, sauf pendant les épisodes où Amfortas, où Parsifal brisent l’harmonie du milieu par leur intervention individuelle. Dans ces cas, les motifs dramatiques remplacent les motifs propres au milieu. Le commencement du troisième acte est une des plus puissantes scènes musicales qu’on ait connues, l’expression mélancolique, navrée, de la nature y atteint une précision exquise, infinie ; et plus loin, l’effusion joyeuse de la prairie tient autant à la lumière qu’aux vivifiantes sonorités de l’orchestre pendant cette merveilleuse scène ; le départ d’Amfortas, du cygne, l’arrivée des deux jeunes écuyers, celle de Kundry sont également à étudier minutieusement. Mais les deux points de la pièce où la musique s’adapte étrangement au décor, sont précisément les deux changements du premier et, du troisième acte. Il n’y a point de personnages, ni plastique ni mimique, et l’analyse est facilitée par la simplicité même ce l’expression scénique. Nous ne croyons pas que l’art de faire parler la nature ait jamais été atteint de cette façon. Ces deux parties exigent aussi du lecteur une analyse spéciale que nous ne pouvons nous permettre ici.

Résumons, en ajoutant qu’il n’y a pas un élément, si petit qu’il soit, de l’expression dramatique, où la musique ne se soit pour ainsi dire infiltrée.

 

Du silence et de l’obscurité profonde s’élève très lentement, comme un grave énoncé symbolique, la mélodie fondamentale du drame. — Les notes se succèdent simplement sans commentaire harmonique ; la phrase semble parfaite et inaltérable dans sa forme comme dans sa signification ; le silence qui la précédait peut revenir après elle. Cette phrase suffirait à nous induire profondément dans l’essence mémo de cette vie musicale qui désormais nous initiera à la vie dramatique plus intimement encore que la poésie et la mimique.

Il importe donc de l’analyser ; et, méthodiquement, comme toute expression sonore, nous allons étudier successivement la distribution de ses accents d’intensité, de hauteur et de timbre, en même temps que son rythme, c’est-à-dire son économie dans le temps.

Intensité. — Les accents d’intensité ne correspondent pas d’abord à ceux qui déterminent le rythme de la mesure, et produisent des syncopes perceptibles dès le début de la 2e mesure. La sonorité d’abord faible, augmente, et à la y mesure les syncopes disparaissent, le rythme se carre dans un forte qui se répartit en deux chefs : un sur le premier temps ; un sur le troisième, où il est appelé par la division inégale et attractive du second temps. Puis la force s’épuise beaucoup dans le quatrième temps et dans la première moitié du premier temps de la mesure suivante.

Viennent alors trois notes égales en valeur et en intensité pour aboutir à une quatrième note de durée plus longue, d’où la sonorité ira en s’affaiblissant par les syncopes et la calme succession des accents de la mesure, pour ne se relever que très peu, par une dernière attraction rythmique destinée à mettre en valeur la finale.

Hauteur. — La partie mélodique dont l’intensité augmentait se trouve ascendante, et de genre diatonique. Cependant les notes qui importent à la modalité et à la tonalité sont effacées quant à leur valeur par les syncopes dont elles sont le siège. La sensible a plus de force que l’octave qui ne semble atteinte que pour préparer une chute en forte sur la sensible, qui vibre avec force et précision, assez pour devenir à son tour un centre d’affinités mélodiques, importance qu’elle gardera pendant toute la troisième mesure. Déjà cependant les affinités communes à la sensible et à la dominante se groupent bientôt autour de celle-ci, par un jeu mélodique qui, par la précision de ses formes et le timbre des instruments, équivaut à une complète modulation. De la dominante, la phrase arrive à la sous-dominante après s’être repliée une seconde fois ; mais cette fois, en même temps que la sonorité diminue, la rigueur de la marche s’atténue, et c’est par une progression de trois notes égales diatoniquement jointes que la sens-dominante est appelée ; et par une cadence majeure, lente, la mélodie se distend et semble employer tout ce qui lui reste de force tonale pour mourir sur la médiante.

Timbre. — Les accents de timbre sont les moins variés ; cependant ils jouent un grand rôle par le caractère mystérieux, à la fois vivant et impassible qu’ils donnent à toute la phrase : les accents coïncident avec eux de hauteur et d’intensité, ce qui contribue à donner à la mélodie la puissance et la grandeur de sa plasticité. — Dans les notes faiblement accentuées, les bois et les cordes produisent une sonorité diffuse et assez peu définie, tandis que dans les parties accentuées, à la 3e et à la 4e mesure, il y a une coïncidence de sonorités pures qui leur donne un éclat comparable à celui d’une lumière pleine et forte.

Nous résumerons en disant que la mélodie repose sur un système monotonal, compliqué de quatre toniques secondaires. La tonalité fondamentale s’efface vers le milieu, fait place à la sensible qui forme le sommet du dessin mélodique (la tonique n’y revient que comme note de passage) et ne paraît que lorsque la mélodie descend de la dominante à la sous-dominante pour finir à la médiante. Cette succession de ioniques coupe la mélodie en 5 parties. Supposons-la, comme sur notre tableau, écrite en ut majeur, nous aurons :

A : — une partie ascendante, diatonique, irrégulièrement syncopée, d’intensité croissante, allant de do à si ;

B : — un sommet, si do si, que nous trouverons souvent subdivisé en deux parties, une ascendante, si do, une descendante, do si ; dont nous verrons les significations ;

C : — une partie coudée, si mi sol ;

D : — qui répète C en aplanissant ses lignes et qui rappelle, plus faiblement, l’ascension de la 1re partie ;

E : — une terminaison, formée par une chaîne de notes syncopées aboutissant à la médiante, qui est précédée d’une sensible à un intervalle de seconde.

Comme on le comprendra par la suite, cette division est extrêmement importante, car le motif énoncé est comme la formule impassible de l’idée du Drame, indépendamment du Drame lui-même, ou, si l’on veut, du Gral avant et après Parsifal : et il contient en germe tous les éléments de l’action musicale qui en sortiront par des altérations successives de son impassibilité et de sa précision.

Le prélude n’est autre chose que cette décomposition du motif en ses éléments, que le drame tout entier reconstituera successivement.

Le motif nous apparaît une seconde fois, inaltéré, mais enveloppé comme d’un halo d’harmonies éthérées qui l’isolent un peu de nous. Puis, il revient encore une fois seul, mais déjà modifié dans sa tonalité et sa modalité ; la troisième mesure, le sommet de la phrase avec sa sensible si puissamment affirmée, et la chute en majeur sur la dominante ; cependant la sous-dominante est devenue une médiante mineure, et c’est la tonique qui revient terminer, précédée de la sensible réduite en ce moment à un rôle accessoire. La mélodie est à la fois rendue plus étroite par la conclusion sur la tonique, et plus humainement expressive par sa modalité mineure et la répétition à la 4e mesure de la forme mouvementée et inégale de la partie ascendante de la troisième. — Puis les sonorités confuses reviennent, voilant à demi le motif ressorti une quatrième fois de l’abîme mystique.

Alors intervient un motif qui sous cette forme semble tout à fait étranger au premier ; c’est un appel puissant et large des cuivres doucement répété en hauteur par les flûtes ; puis un troisième motif qui semble également particulier, que nous analyserons à son tour, et à la fin duquel (p. 5, lignes 2, 5, 6), réapparaît la terminaison E du motif fondamental. — Celui-ci revient alors et forme toute la fin de l’ouverture, et successivement toutes ses fractions se mettent en évidence : d’abord A, B et C ensemble, puis B, qui s’altère de différentes façons ; et le motif A, B, C, revient encore trois fois, toujours arrêté par B qui se représente obstinément de plus en plus altéré, jusqu’à ce que D arrive à son tour ; E apparaît ensuite et semble une réponse à D et prend même à un moment un développement considérable ; et, à plein orchestre, une complication expressive met en valeur les notes finales qui se trouvent ici n’être plus autre chose que la répétition de B, au point d’être suivies enfin de D. qui s’affaisse bientôt, tandis que les bois reprennent, faiblement et de plus en plus en hauteur, le motif ascensionnel qui semble ici fuir, en se dissipant dans les hauteurs de l’orchestre, le milieu sonore encore troublé par les successifs déchirements et les vertigineuses éducations du motif fondamental.

Ce prélude ne nous apprend rien du drame en lui-même. Il n’a pas de signification, étant de la pure musique, et Wagner réservant au drame sa propre expression par le concours de tous les arts. Il forme notre oreille et prépare noire intelligence par une initiation progressive à cette langue si parfaite et si prodigieusement mélodique à laquelle nous ne devons pas un instant soustraire notre attention. Nous n’ignorons pas que l’on a parfois expliqué ce prélude en donnant aux motifs qui le composent la signification dramatique révélée pendant le cours de l’action, mais nous n’admettons pas le secours de ce contexte tout artificiel et nous ne croyons pas devoir accorder à la musique du prélude, que Wagner a naturellement placée avant toute manifestation définie de sa pensée, avant le drame, le sens si clair qu’elle prendrait si l’on possédait déjà l’œuvre entière qui nous est encore absolument étrangère. Les deux lignes de musique qui séparent le baiser de Kundry du cri « Amfortas  !ar » sont plus significatives que dix pages de littérature : dans le prélude rien ne nous fait seulement pressentir qu’il s’agisse du Gral ou de la blessure. Nous possédons simplement la grammaire d’une langue où les mots n’ont pas encore de sens pour nous. Rien d’objectif ; seulement, de l’obscurité et du silence qui précédaient et nous donnaient le besoin devoir et d’entendre avec avidité, est sortie une impression subjective destinée à orienter d’avance notre compréhension et à familiariser notre entendement avec la révélation mystiquement réalisée du drame dont nous sentons déjà le caractère si profond qu’on l’a cru religieux.

L’analyse que nous allons présenter repose sur un relevé minutieux, note par note, ce toute la partition. Nous avons dû renoncer à faire l’analyse de l’orchestration ; ce qui eût été pousser l’étude de la partie musicale plus loin que nous n’aurions pu le faire pour les autres arts intéressés au drame : nous nous sommes contentés de rechercher dans la lecture de la partition réduite pour le piano les souvenirs de la richesse orchestrale que notre lecteur doit avoir conservés comme nous de ses auditions de Bayreuth. Nous avons procédé dans cette étude longue et fatigante, en même temps que propre à provoquer chez nous un émerveillement continuel, avec la méthode qui nous a servi dans une précédente critique des Maîtres Chanteurs ; mais tandis que l’énorme partition des Maîtres est sortie de trois notes, celle de Parsifal est plus complexe et ne se laisse pas aussi facilement orienter.

Nous avons sous les yeux un catalogue complet de chacun des motifs que l’on trouvera sur notre tableau et de quelques autres qui n’ont pu y trouver place ; la page et l’appréciation du rôle dramatique de chaque motif à chacune de ses apparitions y sont notées avec soin, mais nous épargnerons à nos lecteurs ce long catalogue qui n’intéresse que pour la poursuite d’un détail particulier et qui encombrerait notre exposé. Il suffira, pensons-nous, que les numéros des motifs renvoient aux pages de la grande partition pour piano, et que nous fassions un examen rapide de l’économie de notre tableau, laissant à nos lecteurs le plaisir de pénétrer plus intimement dans la vie de ce drame que nous ne pouvons disséquer plus finement ici.

L’orientation des motifs a été faite d’après les affinités musicales, avant toute interprétation et avec les difficultés et les inexactitudes auxquelles nous exposaient la réduction au piano et l’absence des timbres instrumentaux qui à eux seuls ont souvent la signification de motifs entiers.

Motif ABCDE (p. 32. 72. 73. 78. 80. 81. 177. 178. 213. 214)as. Ce motif est tantôt surtout musical (81), tantôt venant après un texte, représentant l’origine (32), la cérémonie (72. 73), le souvenir de la cérémonie (177. 213. 214), ou chaque fois qu’il est fait allusion au Gral ; il serait obscur (178) dans la plainte du sauveur (Sauve-moi, délivre-moi des mains souillées du péché), si l’on ne nous l’expliquait par le souvenir de l’ancienne pureté du Gral. Enfin le vrai sens du motif est dans le chœur : «  Prenez mon sang, prenez mon corps, pour la grâce de l’amour. at » C’est la raison du sacrifice qui est expliquée. La signification du motif est toujours plus définie quand il est chanté.

Motif A (p. 178. 184. 206. 235).

Motif B (p. 27. 28. 29. 30. 32. 38. 47. 74. 78, 84. 85. 173. 175. 184. 209. 212. 218. 228. 233. 237. 247. 254).

Motif C (p. 14. 15. 30. 32. 43. 47. 72. 73. 74. 78. 79. 84. 173. 175. 178. 184. 209. 212. 218. 221. 233).

Motif D (p. 28. 29. 76. 173. 177. 178. 179. 187. 194. 198. 199. 209. 214. 216. 218. 235. 240. 254).

Motif E (p. 17. 28. 30. 45. 46. 47. 64. 70. 76. 78. 80. 81. 82. 85. 86. 88. 90.104. 171. 178. 209. 211. 212. 213. 214. 220, 233. 254).

Ce motif fondamental du prélude, analysé ainsi dans ses éléments, résume le sacrifice du Gral dans toutes ses significations.

Quand il est chanté seul, il est symbolique et non dramatique. Décomposé, sa première partie a caractérise l’expiation de Kundry, la plainte du sauveur, la marche au calvaire, la croix : c’est-à-dire la volonté du sacrifice ; la seconde B, c’est surtout la raison du sacrifice, la pitié, la blessure, la lance qui blesse et guérit, et par suite la grâce du sacrifice, la Cène, et le jour de la plus grande grâce, le vendredi-saint ; le troisième motif élémentaire C, qui suit le plus souvent B, la nécessité de ce sacrifice rendue manifeste, et D, l’aspiration vers le salut par le sacrifice, soit chez Kundry, soit dans le Gral, soit dans la nature ; elle se matérialise dans la lance qui doit guérir, et qu’il faut pour cela d’abord racheter elle-même ; et enfin E, c’est l’apaisement dans le sacrifice et le rachat.

Du motif A, s’élève sur notre tableau, à gauche, un rameau de 14 motifs, dont voici la brève interprétation :

M. 1 (p. 8. 38, 59). Évocation dramatique du Gral.

M. 2 (p. 247. 253. 257. 258. 259. 261). Rédemption. Erlæsung dem Erlæserau.

M. 3 (p. 86. 87) et

M. 4 (p. 86. 87) et

M. 5 (p. 86. 87) sont des motifs de prière et unissent naturellement le motif de la Grâce au motif de la Foi.

M. 6 et 7 (p. 8. 9. 18. 21. 32. 33. 36. 38. 45. 54. 56. 57. 58. 60. 62. 63. 65. 66. 67. 68. 71. 72. 73. 76. 77, 78. 82. 89. 90. 91. 93. 95. 176. 177. 182. 186. 198. 199. 202. 203. 206. 207. 209. 210. 211. 215. 227. 218. 219. 222. 225. 230. 234. 241. 243. 247. 251. 254. 255. 260. 261).

Ce motif évoque l’idée de Grâce efficiente du Gral, il se matérialise dans la lance et le calice, et il manifeste aussi parfois la mission de Parsifal.

M. 8 (p. 225. 226. 227. 228. 231). Ce motif consacre la mission de Parsifal.

M. 9 (p. 91) indiquant le motif 6 à A.

M. 10 (84. 85) et

M. 11 (61. 62. 241. 242. 243) et

M. 12 (62) sont des motifs de prière différant des premiers en ce qu’ils développent plutôt le côté pratique du culte, les autres étant plus symboliques. D’ailleurs ces motifs de culte aboutissent à la voix même du temple, dans les motifs suivants.

M. 13 (56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 83. 84. 86. 87. 88. 90. 91. 92. 93. 221. 222. 228. 336. 240. 241. 242. 243. 244. 248. 249) qui sont comme le cantique du Temple, la voix de Montsalvat. Ils deviennent identiques à 12 en descendant le do initial à l’octave.

M. 14 (p. 10. 11. 16. 18. 24. 38. 39-50. 77. 90. 92. 93. 97, 104. 109. 113. 114. 115. 110. 157. 162. 163. 164. 173. 189. 192. 203. 216. 217. 218. 219. 224. 230. 252. 253. 254. 256. 257). Le motif semble isolé du corps musical auquel il se rattache cependant par ses trois dernières notes ; en effet, c’est au motif C, qui caractérise la nécessité du sacrifice pour la rédemption, que devait adhérer le motif de l’annonce de la mission rédemptrice du Pur Simple : durch Mitleid Wissend, der Reine Thorav.

Il n’apparaît parfois que par une sonorité propre, sans dessin mélodique.

Du motif D s’élève à gauche un troisième rameau de 8 motifs :

M. 15 (p. 9. 66. 69. 255. 256. 260) et

M. 16, (p. 8. 9. 24. 66. 67. 88. 89. 90. 190. 230. 231. 255. 256. 260. 261) qui est son inverse, symbolisent la foi qui anime les chevaliers et fait leur force et leur dignité.

M. 17 (p. 8. 15. 44. 65. 88. 90) indique en plus les fonctions des chevaliers du Gral.

M. 18. (p. 9. 31. 87. 88. 90) et plus active dans ces dernières pages, montre de plus encore le côté pieux de ces fonctions et de leur office.

M. 19 (p. 28. 36. 222) accentue le côté guerrier de leur mission.

M. 20 (p. 33. 58) dans le récit de Gurnemanz (Retsungswerk) et le départ de Gurnemanz et Parsifal vers le temple.

M. 21 (p. 65). Motif de prière.

M. 22 (p. 32. 219. 246. 247. 259). Forme parfaite du précédent. Il supplée musicalement à sa signification du mot Heiligthum.

Enfin, à gauche toujours, sortent du motif E, motif d’apaisement et de rédemption :

M. 23 (p. 35). In den Leib, in das Brod.

M. 24 (p. 86. 87). Treu bis zum Tod. Froh im Verein.

 

Le côté gauche de notre tableau ne renferme, on le voit, que des motifs de prière, d’élévation, de foi, de grâce, de béatitude. Ils caractérisent le côté positif de la formule symbolique ABCDE ; plutôt symboliques, extra-humains, que dramatiques. Du côté droit, nous allons pénétrer dans le drame lui-même, formé des horreurs et des angoisses de ce monde obscur et fascinateur, souffrant et terrible qui attend son salut de Parsifal.

Sur la droite du tableau.

Du motif a sort un rameau de 12 motifs, dent la plupart sont ascendants, et puis descendants, selon des pentes plus ou moins faibles dans les premiers, très brutales dans les derniers.

M. 25. (p. 54. 207. 208. 227). Ce motif marque l’action de la grâce sur Kundry.

M. 26 (10. 11. 12. 14. 19. 29. 30. 54. 102. 171. 188. 189. 205. 207. 208. 216. 226. 227). On voit que ce motif offre une partie ascendante et une partie descendante, qui ne se présentent pas toujours ensemble. Synthétiquement ce motif est le commentaire musical d’une des faces du personnage de Kundry : dienen, dienen (p. 208)aw.

M. 27 (p. 14. 25. 26. 29. 55. 73. 98. 99. 100. 102. 103. 106. 164. 165. 172. 173, 175. 181. 184. 204. 205. 206. 261). L’autre rôle de Kundry lui est imposé par la malédiction : souffrir en faisant souffrir. Il s’exerce sur tous, sur Amfortas, sur Klingsor (106) et échoue contre la pureté de Parsifal. Ce motif de souffrance serait rattaché directement au motif 35 (lachte ! v. p. 180. 184).

M. 28 (13. 54. 183. 185. 187. 206). Il manifeste l’activité effroyable que la possédée met à accomplir la volonté qui lui est imposée.

M. 29 (204. 224). Même signification que le précédent, mais d’une allure plus douloureuse.

M. 30 et 31 (p. 13. 19. 21. 23. 49. 50. 51. 52. 54. 94. 95. 195. 196. 197. 198. 215. 217). Ce motif, se rapprochant du motif 36, indique les cas où Kundry obéit Klingsor, s’éloigne ou s’approche de son domaine.

M. 32 (p. 12. 13. 101. 109. 154. 155. 165. 174. 198. 197). Course de Kundry.

M. 33. Il accompagne le motif 48.

M. 34 (p. 40. 117. 118. 119. 120). Il apparaît, su moins dans ses secondes supérieures répétées, pour souligner l’effarement des écuyers quand Parsifal tue le cygne, et celui des Filles-Heurs quand il massacre les chevaliers.

M. 35 (p. 14. 19. 20. 21. 23. 24. 26. 29. 35. 36. 37. 50. 53. 54. 55. 68. 69. 70. 71. 75. 76. 98. 99. 100. 101. 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108. 109. 110. 111. 112. 113. 115. 158. 165. 171. 172. 173. 174. 175. 176. 177. 178. 180. 181. 182. 183. 184. 185. 186. 187. 188. 189. 190. 191. 192. 193. 194. 195. 196. 197. 198. 200. 201. 205. 206. 207. 220. 225. 246. 247. 242. 250. 249. 251). Les deux parties de ce motif sont souvent isolées et parfois très altérées et condensées. C’est l’expression la plus passionnément dure du motif 27. Il est intéressant de l’étudier aux dernières pages du rôle d’Amfortas. C’est comme un affolement de désir et d’espoir (p. 173) suivi d’une chute terrible et irrémissible. Il appartient presque complètement à Kundry et par extension à Amfortas.

M. 36 (p. 94. 96. 97, 55. 99. 106. 107. 108. 110. 115. 137. 204. 228). Ce motif est à Klingsor ce que le précédent est à Kundry. Au lieu de désir et d’espoir, nous voyons une brûlante convoitise ; au lieu d’un effondrement, une sorte de foudroiement. Le dessin mélodique de ces deux motifs est absolument approprié à la mimique des personnages : Klingsor toujours en lutte et en défaites, Kundry en élans et en prostrations successives. Kundry est comme terrassée ; le motif de Klingsor, dans sa partie finale, se relève pour toujours retomber plus bas. De plus cette fin est parente des motifs do la détresse et de l’erreur. V. 54.

 

Du motif B se détache, isolé, le double motif 37.

Motif 37 (p. 11. 15. 29. 30. 41. 76. 102. 104, 109. 168. 173 (Amfortas !). 177. 179. 181. 202. 209. 215. 223. 229. 233. 237. 242. 247. 252 (Sei heil !). 254 (Munde). Ce motif est un des plus complexes. Il est comme l’intervention dramatique du motif B. Il touche à toutes les idées de souffrance et de salut, de blessure et de guérison, à tout ce qui est douloureux dans le drame.

Il est d’ailleurs intermédiaire (p. 76) entre E et C, et il contribue à former le motif douloureux dit vulgairement motif d’Herzeleidax, bien qu’il appartienne aussi à Amfortas, à Titurel, à Parsifal et à Kundry.

 

Du motif C descendent plus ou moins régulièrement les motifs suivants.

M. 38 (p. 225. 227. 228). Purification par l’eau du baptême.

M. 39 (p. 204. 232. 233. 235. 236. 237). Caresse de la nature saluant le jour du rachat.

M. 40(p. 16. 219). Morgenpracht.

M. 41 (p. 20. 21. 30. 31. 44. 216), Paix et apaisement du lac.

M. 42 (p. 209. 331. 232. 233. 234. 235. 236. 237. 238). C’est en général l’accueil que fait au Pur-simple la prairie (et la nature entière), rayonnante de joie lumineuse. Nous devons à M. Ernst de pouvoir faire remarquer la logique analogie qui s’établit entre le motif 42 et le motif de Parsifal qui peut lui être facilement superposé. Le conscient et l’inconscient sont en effet ici intimement confondus dans le même sentiment d’effusion.

M. 43 (p. 212. 213). Motif triste et recueilli que chante l’orchestre pendant que Parsifal, encore inconnu, dépose ses armes. La 15e mesure de la p. 213 rappelle la fin de la mélodie mélancolique de Tristan.

M. 44 (p. 170. 172). War dir fremd noch der Schmerz, dit Kundry à Parsifalay.

M. 45 (p. 35. 36. 137. 140. 141. 145. 149. 150. 158. 234) et

M. 46 (p. 35. 36. 120. 121. 122. 123. 124. 125. 126. 127. 128. 129. 131, 132. 133. 134. 135. 136. 137. 138. 140. 148. 149. 150. 152. 153. 154. 155. 158. 159, 195, 201. 204) et

M. 47. (p. 109. 138. 139. 140. 141. 142. 143. 145 146. 147. 148. 152. 153. 164, 191. 205. 207.) et

M. 48 (p. 180 et seq. 131. 140. 144. 150. 152. 153. 155. 158. 159. 191. 192). Ces quatre motifs appartiennent à l’enchantement des Filles-fleurs et quelquefois à Kundry.

M. 49 et 50. Comme les précédents. Remarquer la parenté confuse du motif 49 et du motif 57, musicalement.

M. 51 (114-120, 121. 122. 123. 127. 128. 130. 143. 145. 146. 201. 203. 206. 224. 229). Provient du motif 48, mais devient la plainte poignante de Kundry après avoir été l’expression de l’épouvante désolée des Filles-fleurs.

M. 52 (p. 165. 166. 182. 188. 215. 221. 223. 224. 225). Se rattache au motif 45, et exprime, comme 51, la plainte des Filles-fleurs, et, plus tard, la plainte de la nature.

M., 53 (p. 215. 220. 221. 226. 245). Se rattache à 52 et à D. Détresse de la nature, complice de la malédiction de Kundry ; et aussi détresse du Gral.

M. 54 (p. 24. 198. 202. 203. 206. 210. 213. 219. 220. 222. 223. 224. 325. 238. 239. 240. 241. 244. 245. etc). Détresse du Gral et des chevaliers. Il est intéressant de rapprocher de ce motif le motif 36, qui par sa fin marque aussi la détresse de Klingsor.

M. 55 (p. 239. 240. 241. 243). Détresse ; ce motif apparaît surtout pendant le changement du troisième acte.

M. 56 (p. 19. 26. 52. 53. 65. 103. 188. 205). C’est encore un des motifs de Kundry, marquant le rôle qu’elle joue dans le territoire du Gral, jusqu’à ce qu’elle y trouve le salut (p. 205).

M. 57 (p. 202. 206. 215. 219. 222. 223. 241. 244. 245). Ce motif, qui offre certaines affinités avec Tristan et la Tétralogie, est caractéristique de la tristesse farouche et irritée des serviteurs du Gral, au sujet de la détresse et du dernier banquet. Mélodiquement, il vient de 38.

Du motif E sortent enfin huit derniers motifs :

M. 58 (p. 2. 48. 49. 50. 52. 53. 76. 115. 157. 165. 166. 167. 168. 172. 173. 213. 234. 248). Ce motif est un motif de plainte, soit chez Parsifal pour Herzeleid, soit chez Amfortas pour Titurel. Il appartient encore à Kundry.

M. 59 (18. 59. 64. 65. 68. 70. 71. 76. 82. 90. 100. 102. 106, 109. 167. 173. 176. 177. 181. 182. 184. 185. 186. 189. 190. 191. 214. 215. 220. 227. 231. 243. 245. 250. 251. 254). Tandis que les tierces descendantes de ce motif proviennent de B, le dessin qui les souligne provient de E, et le groupe des deux croches et du triolet va se retrouver partout où se manifestera de la pitié pour Amfortas. Ce motif est celui de la plainte et de la blessure faite, soit au sauveur, soit à Amfortas.

M. 60 (p. 61. 91), que nous notons pour mémoire, est le motif sur lequel les enfants traversent la scène. Il se rattache au précédent par le dessin rythmique de ses triolets.

M. 61 (p. 17. 20. 216. 220. 233, 239. 240. 246. 249. 250). Il rappelle par son rythme le motif de la plainte du roi blessé, et par sa mélodie celui du lac. Il manifeste l’apaisement du bain, et fait suite à 40 et 41.

M. 62 (p. 9. 10. 15. 16. 20. 30. 31. 48. 59. 61. 75, 108. 174. 175. 180. 181. 186, 250. 252). Il exprime la souffrance d’Amfortas, et nous le retrouvons à la fin : Gesegnet sei dein Leiden.

M. 63. Il n’est que le précédent réduit à son seul rythme.

M. 64 (p. 68). Du buss’im Dienste deine Schuld.

M. 65 (p. 246). Prière d’Amfortas à Titurel.

M. 66 (p. 43. 45. 46. 47. 48. 49. 51. 52. 53. 92. 97. 110. 113. 114. 117. 118. 129. 130. 133. 134. 149. 150. 178. 179. 192. 193. 200. 209. 210. 213. 218. 229. 230. 238. 239. 253). Ce motif qui appartient exclusivement à la personnalité de Parsifal, n’apparaît pas toujours dans son intégrité. La fin du motif, par son rapprochement avec d’autres, montre la fougue que déploie quelquefois le jeune héros ; les notes du milieu, mi ré do si do la ré, et surtout la variante que nous avons sous-ajoutée (v. p. 53. 173. 195) indiquent précisément le maximum d’agitation auquel il peut être soumis. Le commencement, ressemblant à 42, évoque l’idée de sa grande et forte jeunesse.

 

Il serait très instructif à tous égards de relever les nombreuses réminiscences de Parsifal. Rappelons-en quelques-unes.

Lohengrin : Le cygne (42. 44. 45. 48. 92). Il est remarquable que ce motif ne revienne plus p. 213 ; — et le motif 27 qui rappelle Ortrude.

Tannhæuser ; (218, 3e ligne).

Walküre : (238. 3e ligne).

Tristan : 38 (3e ligne). 206. 223 (3e ligne). 224 (4e ligne).

Taknhelm : 21. motif 6.

Une phase mendelssohnienne : le Muss ich sterben de Titurel, rappelant le Es ist genug de l’Elias (p. 68, 70)az.

Il est à remarquer que tous ces motifs sont purement adjectifs, c’est-à-dire caractérisent non le personnage, mais telle forme de sa manifestation dramatique ou symbolique. Quelques motifs ne figurent pas dans notre tableau, mais ils se rattachent très sensiblement à ceux qui y figurent. Ainsi, p. 210-211, nous trouverons un motif descendant qui appartient au motif 54. Enfin, notre transcription des motifs n’a pour but que de nous permettre d’économiser la place des clefs et de rendre leur parenté quelquefois plus appréciable.

Correspondances et nouvelles

[Bayreuth]

BAYREUTH. — Nous avons publié en tête de cette livraison les nouvelles officielles que nous avons reçues de Bayreuth. Parmi les nouvelles non officielles qui courent, celle de l’engagement de notre ténor M. Van Dyck, pour jouer Walther et Parsifal paraît assez probable.

[Bruxelles]

BRUXELLES. — La reprise de la Valkyrie a eu lieu le 30 septembre avec un plein succès. Il y a eu deux rappels après le premier et le deuxième acte. Au dernier acte, des pièces d’artifice malencontreusement tirées pendant l’Incantation du feu ont nui à l’effet eu merveilleux final et les spectateurs se sont levés précipitamment. Les interprètes sont restés les mêmes, sauf M. Vinche (Hunding) et Mlle Van Besten (Fricka). Tous deux sont satisfaisants et ne font pas regretter les créateurs de ces deux râles. On a revu avec plaisir M. Engel, qui chante avec beaucoup d’expression le rôle de Siegmund ; Mlle Martini, qui fait une Sieglinde remarquable ; Mlle Litvinne, l’opulente et belle Bruunhilde, dont la voix s’est développée, mais dont le jeu est quelque peu terre-à-terre ; enfin M. Seguin, dont la voix d’airain traduit magnifiquement les colères de Wotan.

Les rôles des Walküres sont confiés à MMmes A. Legault, Haussmann, Fernèse, Maréchal, Coomans, Raphaêla, Baudelet et Rolller. L’ensemble a de la vigueur et les voix sont bien pondérées.

Les répétitions de Siegfried ne commenceront que lorsque la direction du théâtre de la Monnaie sera en mesure de confier le râle principal à un ténor capable. Il est question de l’engagement de M. Van Dyck, le ténor des concerts L’amoureux. Mais à l’heure qu’il est rien n’est encore décidé !

Il se pourrait qu’il y eut une reprise des Maitres Chanteurs, si les anciens interprètes, MM. Soulacroix, Delaquerrière et Mlle Deschamps, qui appartiennent à la troupe de l’Opéra-Comique, restaient disponibles.

Le succès de la Valkyrie s’est encore accentué à la deuxième représentation, qui a été donnée le 6 octobre.

[Francfort]

FRANCFORT. — A Francfort le professeur Dr Max Koeh de Marbourg prendra cet hiver, au Freies Deutsches Hochtift, pour sujet de son cours d’histoire littéraire, Wagner, considéré comme dramaturge et littérateur.

[Leipzig]

LEIPZIG. — L’éditeur E. W. Fritzsch entreprend une seconde édition du Recueil des écrits et poèmes de Richard Wagner, en 31 livraisons à 60 pfennigs et du format in-18 ; c’est une édition populaire de l’œuvre littéraire complète du maître qui va prendre sa place à côté de la grande édition déjà parue. La publication, qui vient de commencer, sera achvée en juillet 1888. Le plus grand succès est dû à cette belle tentative.

[Londres]

LONDRES. — M. Cari Armbruster va faire, au King’s Odlege, pendant l’hiver et le printemps prochains, deux cours spéciaux de dix leçons chacun, le premier sur Wagner, le second sur les principaux compositeurs contemporains.

[Mannheim]

MANNHEIM. — Le sculpteur Joh. Hoffart de Munich achève un buste colossal de Wagner en marbre de Carrare ; le buste sera placé dans une niche de la maison Heckel, à Maanüeitn, eu Wagner a reçu pendant quelque temps l’hospitalité de son ami Emil Heckel.

Le buste de Joh. Hoffart serais premier monument public érigé en l’honneur du maître.

[Paris]

PARIS. — Le 23 juillet dernier M. Léon Frédéric Leroy est mort à l’âge de 54 ans. M. Leroy était l’un des plus anciens wagnéristes français ; il avait en un grand nombre de journaux combattu assidûment et dès l’origine pour la cause wagnérienne ; citons ses articles du Nain jaune, en 1865, sur Tristan qu’il avait été voir à Munich avec trois compatriotes : on n’allait pas encore en foule en Allemagne alors ! Il prit aussi une part importante à l’affaire de Tannhæuser à Paris.

Quelques jours après, le 13 août, mourait M. Jules Pasdeloupba, le célèbre fondateur des Concerts-Populaires. On connaît l’histoire de ce vaillant artiste, et comment nous lui devons, pour une si large part, l’introduction du wagnérisme à Paris. Sans parler des représentations de Rienzi eb 1869, ses efforts pour faire entendre des fragments de la Tétralogie aux Concerts-Populaires en 1876 demeurent un titre de gloire stable à notre souvenir.

[Vienne]

VIENNE. — Le musée Richard Wagner fondé par M. Nicolaus Oesterlein a eu, depuis son ouverture au mois d’avril passé, beaucoup de visiteurs. Il a été successivement augmenté et enrichi de plusieurs acquisitions fort intéressantes et précieuses, entre autres : le Ring des Niblungen, imprimé en 1853 à petit nombre d’exemplaires et seulement pour les amis de Wagner. Puis ont été achetés plusieurs autographes et de rares portraits de Richard Wagner ; le texte du Tannhæuser, imprimé sur vélin en et un livret du même opéra, de 1845, deuxième édition dans laquelle ne se trouve pas le chœur final des Pèlerins ; puis le programme de la première représentation à Dresde, le 19 octobre 1845 ; etc. etc…