Girac, et Costar.
Les œuvres de Voiture, imprimées après sa mort, furent un nouveau sujet de guerre. Chacun s’empressa de les acheter & de les lire. Elles faisoient l’entretien ordinaire du monde sçavant & poli. On en portoit un jugement plus ou moins favorable, suivant son goût ; mais, en général, le livre étoit applaudi. L’on n’imaginoit pas que la touche légère & galante de l’auteur pût jamais être effacée. Cependant, qu’il est loin des Hamilton, des Chaulieu & des La Fare ! Girac, écrivain de la moyenne classe, versé dans les langues, dans l’histoire & dans la connoissance de l’antiquité, eut le jugement assez droit pour sentir qu’on prenoit le change, qu’on s’égaroit sur le goût. Il se donna pour la lumière qui devoit éclairer ses contemporains & dissiper leurs prestiges, réduisit Voiture à sa juste valeur, & fit une critique de ses œuvres. Elle étoit en Latin. L’auteur y disoit librement sa pensée, & s’y moquoit des suffrages donnés au ton précieux & à la mauvaise plaisanterie. Il prophétisoit que Voiture passeroit de mode, & ne feroit plus un jour que l’amusement des jeunes provinciaux.
Cette critique étoit encore plus raisonnable qu’on n’avoit lieu de l’attendre de son siècle Elle courut manuscrite en 1650. On soupçonna Balzac d’en avoir fourni l’idée. La réputation de Voiture lui faisoit ombrage ; &, d’ailleurs, Girac étoit compatriote & ami de Balzac. Celui-ci voit la critique un des premiers, & la communique à d’autres. Il l’envoie à Costar.
Ce dernier, fanatique sur le compte de Voiture, ne voyant rien de comparable à sa prose & à ses vers, se glorifiant des liaisons qu’il avoit eues avec lui, & voulant montrer qu’il en étoit digne, quoiqu’il n’eut encore rien donné au public, réfute la critique, & fait également parvenir son ouvrage à Balzac. Cette réfutation étoit intitulée Défense de Voiture. Il y avoit beaucoup de chaleur & quelques saillies plaisantes.
Jamais apologie ne fut mieux reçue du public. La mémoire de Voiture vivoit encore dans la plupart de ses amis & de ses protecteurs. Son ombre leur étoit chère ; ils desiroient qu’elle fût vengée. Quelques courtisans surtout s’intéressoient à la réputation de Voiture. Ils firent avoir à Costar une pension de cinq cens écus, pour le récompenser de son ouvrage. Costar, transporté de joie, se félicita d’avoir réfuté Girac, lui fit faire des remercimens de lui avoir ouvert le chemin de la fortune & de la gloire, & publia qu’il avoit plus d’obligation à son adversaire qu’à tous ses amis.
Récompenser des écrivains qui se prennent de querelle, c’est le moyen de les rendre encore plus nombreuses, & de mettre en combustion toute la république des lettres. Girac prit vîte la plume ; &, pour avoir plus de lecteurs, il abandonna la langue. Latine, & répondit en François. L’envie de s’acquérir à son tour de la célébrité, de mettre dans ses intérêts les femmes & ce qu’on appelle la bonne compagnie, alluma son imagination. Il montra, dans sa réponse, plus de justesse & de vivacité qu’on n’en avoit encore vu dans aucun de ses ouvrages. Il s’en falloit bien cependant que cette réponse fût un chef-d’œuvre, comme il le croyoit. Il noya beaucoup de remarques judicieuses dans un fatras de verbiage. Aussi ne lui valut-elle ni pension de la cour, ni le suffrage du public.
Costar, animé par le succès, par la protection de plusieurs grands, par la gloire de défendre un bel-esprit dans un ancien ami, profita de sa supériorité, répliqua promptement. Croyant toujours avoir pour lui la raison, il abusa de la faveur populaire, & manqua, dans sa réplique, aux égards & aux bienséances les plus indispensables. Il la divisa en deux parties. L’une est sa propre apologie, & l’autre est la suite de la Défense de Voiture.
L’apologie de la personne de Costar est, comme on s’en doute bien, une satyre
contre Girac. Costar lui tient les propos les plus offensans & les plus
ridicules, ne lui parle que « de l’accabler à coups de langue & de
plume, de faire revenir l’usage de cet ancien tems, où de jeunes Romains de
condition
se promenoient par les rues tout le
long du jour, cachant sous leurs robes de longs fouets pour châtier
l’insolence de ceux qui n’approuvoient pas le poëte Lucilius, s’ils étoient
assez malheureux que de se rencontrer en leur chemin »
. Il le menace d’un
certain capitaine, bel-esprit & très-brutal, qui logeoit sa compagnie
dans le village des contempteurs de Voiture. Craignez, lui dit Costar, que
ce capitaine ne passe par l’Angoumois, & n’en vienne à quelque exécution
militaire. Il a pensé ravager votre terre, il n’y a pas deux ans.
Souvenez-vous de ces paroles qu’il vous dit dans un tête à tête :
En considération de M. le marquis de Montausier, j’empêcherai
ma compagnie d’aller chez vous ; c’est un seigneur à qui je dois tout.
Mais, à la charge qu’à l’avenir il ne vous arrivera plus d’écrire contre
Voiture.
Bayle s’écrie là-dessus : « Quelle manière de convertir
les hérétiques du bel-esprit ! N’approche-t-elle pas de la dragonade de
France ? »
Il ajoute : « Les parens & les amis de Voiture auroient voulu
l’ériger en pape du bel esprit, & le
faire,
dans les matières de ce ressort, la règle infaillible de l’orthodoxie. Au
moins devoient-ils se contenter des excommunications du Parnasse, contre
ceux qui disputeroient à un tel pontife le privilège de l’infaillibilité.
Mais ils les menaçoient d’un logement de soldats. »
A peine Girac eut-il vu la sortie faite contre lui, qu’il en médita une plus violente, & ramassa de tous côtés de quoi déshonorer son adversaire, & le rendre modeste.
Costar fournissoit malheureusement à la satyre. Il étoit prêtre, possédoit
quelque dignité dans l’église, & vivoit d’une manière toute opposée à
son état. Le jeu, les femmes & le vin remplissoient tout son temps. Il
eut différentes aventures ; Girac en fit un recueil. Elles composèrent ce
gros volume qu’il publia sous le nom de Repplique. Il y
prend son adversaire au moment de sa naissance, & va toujours entassant
injures sur injures, scandale sur scandale. Les iniquités les plus secrettes
sont mises au jour. La manière dont il les rend est encore plus honteuse
& plus grossière ; c’est le stile
des halles.
Il appelle Costar menteur, étourdi, calomniateur, vrai
pied-plat, grand chicaneur, insolent, ignorant, fripon, homme à
pendre. « Quel avantage, s’écrie Girac, & quelle gloire puis-je
prétendre de tout ce démêlé ? Pouvois-je avoir un ennemi plus méprisable,
soit pour sa naissance, soit pour ses mœurs, soit pour sa capacité ? J’avois
ignoré jusqu’ici qu’il étoit fils d’un pauvre chapelier & d’une
lavandière. Un homme aussi sçavant en invectives & en ordures ne devoit
pas avoir une autre origine. C’est dans le bateau qu’il a été instruit. Pour
connoître M. Costar, il ne faut que l’ouir ; il ne faut qu’ouvrir un de ses
livres, & l’on verra partout une vive image de ses mœurs. On verra que
jamais harangère ni crocheteur n’a vomi tant d’injures & tant
d’impuretés…. Pour ce qui est de sa capacité, je n’ai point mémoire d’avoir
lu d’écrivain si ignorant… Quel avantage dois-je donc attendre de combattre
un homme si foible, de tenir tête à une harangère, & d’imiter ce
Ctésiphon de Plutarque qui faisoit le
coup de
pied de mulet ? »
J’avois quelque scrupule, dit-il, de repousser les
insultes d’un ennemi respectable par son caractère. Mais, puisqu’il n’en
soutient pas la dignité par une vie règlée, il ne mérite aucun égard. « Ce
n’est pas à un prêtre, à un archidiacre à qui j’ai affaire, mais bien à un
bouffon, à un misérable pédant, sorti de la lie du peuple, & qui,
d’enfoncé qu’il étoit jusqu’aux oreilles dans la boue & dans les ordures
du collège, a obtenu, par je ne sçais quels moyens, des bénéfices qui l’ont
tiré de la misère où sa naissance l’avoit jetté. »
Cette réplique infâme étoit sous presse. Elle sut communiquée à Costar à mesure qu’on l’imprimoit. Elle fit sur lui tant d’effet qu’il porta sa plainte aux magistrats. Il réclama leur autorité pour empêcher que ce libèle ne parût. Le lieutenant civil fit, à la demande de Costar, l’attention qu’elle méritoit. Après un court examen, il ordonna aux deux écrivains, dont la querelle avoit amusé si longtemps la ville & les provinces, qu’ils eussent à ne plus écrire l’un contre l’autre. Girac envoya sa réplique en Hollande. Elle fut imprimée à Leyde.
Bayle trouve fort singulier que Costar ait voulu faire un procès criminel à un homme de lettres, qui s’étoit servi de ses armes propres. Il dit que c’est se conduire comme un gentil-homme, qui, dans une affaire d’honneur, auroit recours aux juges du lieu & non pas à son épée.