(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

Rollinat, Maurice (1846-1903)

[Bibliographie]

Dam les brandes (1877). — Les Névroses (1883). — L’Abîme (1886). — La Nature (1892). — Le Livre de la nature (1893). — Les Apparitions, vers (1896).

OPINIONS.

Robert de Bonnières

Ce n’est pas que M. Maurice Rollinat n’ait une manière de talent et de sincérité. Il y a du talent dans ses paysages de Berri, qu’il a publiés voilà trois ou quatre ans, sous ce titre : Les Brandes. Il en reste des traces dans quelques poèmes des Nécroses, dans le Petit Lièvre, par exemple, et la Vache au taureau, qui est d’un naturalisme assez ferme. Quant à la sincérité, j’y veux croire. M. Maurice Rollinat s’est fait une éducation ; il s’est entraîné, comme on dit. Il s’est appliqué au sport du crime et de la peur, et maintenant il se croit, de bonne foi, le dernier des scélérats. Il s’en est fait la tête même, tant il a embrouillé méchamment les mèches longues de ses cheveux, et tant il veut se donner le regard louche.

Il voit « ramper dans son enfer le meurtre, le viol, le vol, le parricide ! » Il entend « Satan cogner dans son cœur ».

Et si l’on recherche dans le livre du poète la raison d’un si mauvais état de conscience, et sur la face de l’acteur, pourquoi il se convulse, élève sa moustache en découvrant la bouche, cligne des yeux terribles, montre les dents et prend un air de tigre pour chanter les papillons, on voit que cette raison est la femme.

M. Maurice Rollinat, qui est jeune, a donné son cœur à cinq ou six dames qui l’ont ravagé. Il nous confie ses mésaventures amoureuses :

Je me livre en pâture aux ventouses des filles ;
Mais raffinant alors sa tortuosité,
La fièvre tourne en moi ses plus creusantes vrilles.

Mais aussi quelles amies il va choisir ! c’est :

Une dame au teint mortuaire
Dont les cheveux sont des serpents
Et dont la robe est un suaire.

C’est une dame dont :

… Les cheveux si longs, plus noirs que le remords,
Retombaient mollement sur son vivant squelette.

C’est une morte embaumée :

L’apothicaire, avec une certaine gomme,
        Parvint à la pétrifier.

Et M. Maurice Rollinat contemplait « la très chère momie ».

Il eut aussi de l’amitié pour une certaine demoiselle squelette, et pour une pauvre buveuse « d’absinthe » qui était toujours « enceinte ».

On était de meilleure humeur autrefois ; on n’exigeait point que les femmes, pour plaire, fussent « décomposées ». On préférait les avoir fraîches. On disait un teint de lis et de roses. Maintenant, le madrigal est de dire un teint vert, et l’on veut voir sur les joues des femmes la poésie excitante de la Morgue et des filets de Saint-Cloud.

[Mémoires d’aujourd’hui ().]

Stanislas de Guaita

M. Maurice Rollinat, un baudelairien plus baudelairien que Baudelaire, raffine encore sur les plus étranges sensations, mais s’en explique très clairement ; et, pour être d’une alarmante acuité, ses Névroses n’en sont pas moins accessibles — sinon supportables — à tous les nerfs. Je pense, au reste, qu’en reprenant trop finalement les traditions d’Edgar Poe et de Baudelaire, M. Rollinat a mis, en son œuvre macabre, beaucoup de lui.

[Préface à Rosa mystica ().]

Charles Buet

Maurice Rollinat, qu’on a comparé à Edgar Poe, à Baudelaire, à Hoffmann et à Chopin, n’est ni l’un ni l’autre de ces poètes et de ces musiciens, avec lesquels il n’a que de lointaines affinités. Il est lui, et c’est assez.

D’une puissante originalité, d’un esprit profondément imbu des plus hautes pensées, il chante les désenchantements de la vie, les horreurs de la mort, la paix du sépulcre, les espérances futures, les déchirements du remords. La musique avec laquelle il interprète la Mort des pauvres, la Cloche fêlée, le Flambeau vivant, l’idéal, de ce grand Baudelaire que je vis mourir, n’appartient assurément à aucune école « conservatoiresque », dit-il lui-même en son langage singulièrement imagé. C’est le cri de l’âme, c’est l’envolée de la conscience, c’est une mélodie extra-humaine, toute de sensation, de raffinement, qui parle aux cœurs ensevelis dans le scepticisme égoïste du siècle, et qui fait, sous sa joie aiguë, jaillir la douleur. Comme poète, il est moins étrange peut-être, mais non moins puissant. Il a publié le premier recueil de tout nourrisson des muses : Dans les brandes. Mais il a, chez Charpentier, un beau volume, Les Névroses, qui devrait être dédié à Monseigneur Satan.

[Médaillons et camées ().]

Gustave Geffroy

La critique qui devait si bien, plus tard, songer à Baudelaire, aurait dû signaler la part d’imitation de Mme Sand, et, surtout, dire la sincérité de ces impressions, la profondeur d’action de cette poésie de terroir. Pour Baudelaire, dont l’influence peut, en effet se constater dans certaines pièces macabres des Névroses, il ne masque nullement la personnalité de Rollinat qui le suit chronologiquement, comme Baudelaire suit Edgard Poe. Il est des affinités d’esprit et des rencontres sincères. D’ailleurs, toute la partie naturiste de l’œuvre de Rollinat est absolument conçue en dehors de l’inspiration du grand poète des Fleurs du mal , qui ne vit pas la nature et rêva d’artificiels jardins où croîtraient des flores métalliques. Les pages des Névroses, intitulées : Les Refuges, où toutes les sèves et toutes les forces agissantes se résument dans des pièces telles que La Vache au taureau, ces pages affirment une vision directe et une conception individuelle des choses.

(Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-).]

Charles Morice

M. Maurice Rollinat est la plus intéressante victime de cet instant mauvais. C’est un musicien d’originalité étrange, aussi un très sincère et intuitif peintre de la nature, des plaines profondes où l’œil s’hallucine d’infini, des maisons tristes aux tristes hôtes, des banalités inquiétantes d’une ferme ou d’une métairie, du petit monde bourbeux et féroce d’une mare, des grenouilles, des crapauds. Parmi ces bêtes, ces choses et ces gens simples, M. Rollinat est un poète. Paris l’a tué. Ce poète simple a voulu s’y compliquer et, comme son essence était d’être simple, compliqué il a cessé d’être ; d’où Les Névroses.

[La Littérature de tout à l’heure ().]

Jules Barbey d’Aurevilly

L’auteur de ces poésies (Les Névroses) a inventé pour elles une musique qui fait ouvrir des ailes de feu à ses vers et qui enlève fougueusement, comme sur un hippogriffe, ses auditeurs fanatisés. Il est musicien comme il est poète, et ce n’est pas tout : il est acteur comme il est musicien. Il joue ses vers, il les dit et il les articule aussi bien qu’il les chante.

M. Maurice Rollinat a fait avec ses poésies ce que Baudelaire, à son âge, faisait avec les siennes… Inférieur à Baudelaire pour la correction lucide et la patience de la lime qui le font irréprochable, Rollinat pourrait bien lui être supérieur, ainsi qu’à Edgard Poe, par la sincérité et la profondeur de son diabolisme. Poe a souvent mêlé au sien bien de la mathématique et de la mécanique américaine, et Baudelaire, du versificateur. Ii avait ramassé, chez Théophile Gautier, le petit marteau avec lequel on martèle les vers, par dehors… Le mérite de M. Rollinat, c’est de ne laisser personne tranquille, c’est de tourmenter violemment les imaginations. Ses Névroses sont contagieuses ; elles donnent réellement des névroses à ceux qui parlent d’elles.

Les Névroses forment un volume de poésies — faut-il dire lyriques ou élégiaques ? — d’une intensité d’accentuation qui les sauve de la monotonie. C’est par l’intensité prodigieuse de l’accent que ce livre échappe au reproche d’uniformité dans la couleur. Il trouve, dans sa profondeur, de la variété… Ces poésies qui expriment des états d’âme effroyablement exceptionnels, ne sont pas le collier vulgairement enfilé de la plupart des recueils de poésies, et elles forment dans l’enchaînement de leurs tableaux comme une construction réfléchie et presque grandiose. Les Névroses se divisent en cinq livres : Les Âmes, Les Luxures, Les Refuges, Les Spectres et Les Ténèbres. Comme on le voit, c’est le côté noir de la vie, réfléchi dans l’âme d’un poète qui l’assombrit encore. Les imbéciles sans âme et à chair de poule facilement horripilée ont reproché à M. Rollinat, comme un abominable parti pris, le sinistre de ses inspirations. C’était aussi bête que de lui reprocher d’avoir les cheveux noirs… Le démoniaque dans le talent, voilà ce qu’est M. Maurice Rollinat en ses Névroses.

[Les Œuvres et les Hommes ().]