1. HÉNAULT, d’autres écrivent HESNAULT, [Jean] né à Paris, mort en 1682.
Boileau ne lui a pas rendu justice, en le confondant, dans sa neuvieme Satire, avec Bardin, Colletet, Pelletier. Son Sonnet sur un Avorton, celui qu’il fit contre le Ministre Colbert, un autre sur la Vie privée, sont des preuves décisives de ses talens pour la Poésie. Ce fut lui qui en inspira le goût & en apprit les regles à Madame Deshoulieres ; peut-être même a-t-il sacrifié, à la gloire de cette Dame, quelques morceaux dont il auroit pu lui-même se faire honneur. Du moins l’a-t-on pensé de son temps, & le pense-t-on encore aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il étoit peu jaloux de la gloire que donnent les talens, comme il le paroît par une Lettre adressée à son Eleve, pour l’exhorter à ne pas tant s’appliquer à l’étude.
On ne peut craindre trop d’être trop estimée ;Rien ne nous asservit comme la Renommée.On perd bien du repos pour faire un peu de bruit,Et ce bruit ne vaut pas la peine qui le suit.Pour moi, je ne suis point la dupe de la Gloire ;Je vous cede ma place au Temple de Mémoire, &c.
On assure que ce Poëte avoit traduit en Vers tout le Poëme de Lucrece, & qu’il le mit au feu par des motifs de conscience. A juger de cette Traduction par les cent premiers Vers qui nous en restent, & que nous devons à ses amis, c’eût été un des meilleurs Ouvrages de ce genre. Les divers morceaux qu’il a traduits de Séneque le Tragique, nous confirment encore dans cette idée. On a oublié d’insérer, dans le Recueil de ses Poésies, une Eglogue & une Elégie qui feroient honneur certainement à la plupart des Poëtes de nos jours. L’Elégie, dont le sujet principal est le combat de la Raison contre l’Amour, offre sur-tout de très-beaux Vers, beaucoup de morale, & des sentimens bien rendus. Tel en est le début :
Echappé des périls d’une ardente jeunesse,Et parvenu dans l’âge où regne la sagesse,Je m’étois résolu d’écouter la Raison,Et d’être sage au moins dans l’arriere saison.Je contemplois déjà les miseres humaines,Et j’en accusois plus nos plaisirs que nos peines,J’en accusois sur-tout nos plaisirs amoureux,Comme les plus légers & les plus dangereux ;Je voyois qu’à la fin tous les cœurs s’en dégoûtent,Ou par les maux qu’ils font, ou par les biens qu’ils coutent ;Et me ressouvenant de ce qu’ils m’ont couté,Je m’en croyois aussi pour jamais dégoûté ;Mais j’osai voir Olympe, &c.
Nous y ajouterons ce morceau, où le Poëte fait parler la Raison, qui vient de l’exhorter à ne pas la confondre avec l’Opinion.
Fuis le fantôme vain qui porte mes couleurs,La folle Opinion, Reine des fantastiques,Source de tant de biens & de maux chimériques.C’est elle qui, de l’homme augmentant les besoins,Multip ie avec eux ses travaux & ses soins ;Qui, lui faisant haïr le repos & la joie,Aux avares soucis livre son ame en proie ;Qui lui fait de la Gloire ensanglanter l’Autel,Et courir à la mort, pour se rendre immortel.C’est elle qui corrompt les mœurs & les maximes,Ravale des vertus, & couronne des crimes,Selon son intérêt regle les sentimens,Juge des actions par les événemens,Méprise un vertueux que le Ciel abandonne,Révere un scélérat que le bonheur couronne,Aux Peuples inquiets vante les nouveautés,Et leur fait un Héros d’un Chef de Révoltés, &c.
L’Auteur de l’Art Poétique n’auroit-il pas dû retrancher du nombre des mauvais Poëtes, un homme qui pensoit & versifioit ainsi* ? Son jugement à l’égard d’Hénault, ne doit donc être regardé que comme un de ces excès auxquels le penchant à la satire entraîne quelquefois les esprits les plus éclairés & les plus justes d’ailleurs.