DANIEL, [Gabriel] Jésuite, Historiographe de France, né à Rouen en 1649, mort à Paris en 1728.
Avant de travailler à l’Histoire de France, il avoit composé plusieurs Ouvrages, entre autres, une Réponse aux Lettres Provinciales. On croira▶ aisément que cette Réponse ne fut point accueillie comme les Lettres l’avoient été. Si le P. Daniel prétendoit avoir pour lui la raison & la vérité, son Adversaire avoit eu en sa faveur, ce qui a plus d’ascendant sur l’esprit des hommes, les armes du ridicule & de la bonne plaisanterie. D’ailleurs l’impression étoit déjà faite & irrévocable ; le Jésuite ne répondit au Satirique du Port-Royal, que long-temps après la publication des Provinciales, & les esprits étoient prévenus.
L’Histoire de France est ce qui établit à juste titre la célébrité du P. Daniel. M. de Voltaire en trouve le style trop foible ; il ajoute que l’Auteur n’intéresse pas, qu’il n’est pas Peintre *. Il est vrai qu’on chercheroit en vain dans le P. Daniel l’abondance des images, la vivacité des peintures, l’appareil des sentences, la force & l’énergie de l’expression. Cet Ecrivain n’a d’autre mérite que celui de la méthode, de la simplicité, de l’exactitude, & de la clarté ; mais M. de Voltaire, en bon Juge du style historique, n’auroit-il pas dû préférer ces qualités au brillant, à l’enthousiasme, à l’esprit de systême, qui forment précisément les mauvais Historiens ? Pouvoit-il ignorer que le premier devoir d’un Historiographe est d’être en garde contre son imagination ; qu’un esprit réfléchi est plus judicieux qu’un esprit plein de chaleur ; qu’il est plus essentiel de s’occuper à chercher, à démêler, à établir, à présenter la vérité, qu’à la défigurer en la chargeant d’ornemens ; qu’une histoire doit être regardée comme irréprochable, quand la narration est claire, suivie, exacte, quand les faits n’offrent rien de falsifié ou d’exagéré ; le style, rien d’artificieux & de passionné ; la chronologie, rien d’obscur ni d’embrouillé ? Si ces loix, indispensables pour être bon Historien, ne s’accordent pas avec les principes qu’il s’est faits à lui-même, dans son Essai sur l’Histoire de Charles XII, dans celle du Czar Pierre I ; on ne peut conclure autre chose, sinon que les Ouvrages que nous venons de nommer ne sont pas des Histoires, & que celui du P. Daniel en est véritablement une. On peut ajouter encore avec M. de Voltaire lui-même, que cet Historien est instruit, exact, sage & vrai, & que l’on n’a pas d’Histoire de France préférable à la sienne *.
M. le Président Hénault, à qui on peut s’en rapporter
sur cette matiere, a justifié le P. Daniel sur la
partialité qu’on lui a imputée.
Cet Historien
, dit-il,
est plus impartial & plus instruit que beaucoup de
gens ne l’ont ◀cru
. Cet Eloge n’empêche pas qu’il n’y ait des
fautes dans son Histoire : ces sortes d’Ouvrages ne deviennent
parfaits qu’avec le temps, qui offre chaque jour de nouvelles
découvertes ; le meilleur ne sauroit être que celui qui a le moins
de défauts. Le P. Griffet en donna une nouvelle
édition en 1756, à laquelle il fit des changemens considérables, que le
P. Daniel auroit faits lui-même, s’il eût vécu assez
de temps pour tirer parti
des nouveaux
secours historiques qui ont facilité & enrichi le travail de son
Editeur.