(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24
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(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

Chœur.

Le chœur, dans la tragédie ancienne, signifie un ou plusieurs acteurs, qui sont supposés spectateurs, mais qui témoignent de temps en temps la part qu’ils prennent à l’action par des discours qui y sont liés, sans pourtant en faire une partie essentielle.

Le chœur, chez les Grecs, était une des parties de quantité de la tragédie ; il se partageait en trois parties, qu’on appelait parodos, strasimon et commoï.

La tragédie n’était, dans son origine, qu’un chœur qui chantait des dithyrambes en l’honneur de Bacchus, sans autres acteurs qui déclamassent. Thespis, pour soulager le chœur, ajouta un acteur qui récitait les aventures de quelque héros. À ce personnage unique, Eschyle en ajouta un second, et diminua les chœurs pour donner plus d’étendue au dialogue. On nomma épisode ce que nous appelons aujourd’hui acte, et qui se trouvait renfermé entre les chants du chœur.

Mais quand la tragédie eut commencé à prendre une meilleure forme, ces récits ou épisodes, qui n’avaient été imaginés que comme un accessoire pour laisser reposer le chœur, devinrent eux-mêmes la partie principale du poème dramatique, dont, à son tour, le chœur ne fut plus que l’accessoire.

Les poètes eurent seulement l’attention de ramener au sujet ces chants qui auparavant étaient pris de sujets tout différents. Il y eut dès-lors unité dans le spectacle. Le chœur devint partie intéressée dans l’action, quoique d’une manière plus éloignée que les personnages qui y concouraient.

Ils rendaient la tragédie plus régulière et plus variée : plus régulière, en ce que, chez les anciens, le lieu de la scène était toujours le devant d’un temple, d’un palais, ou quelque autre endroit public ; et l’action se passant entre les premières personnes de l’état, la vraisemblance exigeait qu’elle eût beaucoup de témoins, qu’elle intéressât tout un peuple : et ces témoins formaient le chœur.

De plus, il n’est pas naturel que des gens intéressés à l’action, et qui, en attendent l’issue avec impatience, restent toujours sans rien dire. La raison veut, au contraire, qu’ils s’entretiennent de ce qui vient de se passer, de ce qu’ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux personnages, en cessant d’agir, leur en donnent le temps ; et c’est aussi ce qui faisait la matière des chants du chœur.

Ils contribuaient encore à la vérité du spectacle par la musique et l’harmonie, par les danses, etc. Ils en augmentaient la pompe par le nombre des acteurs, la magnificence et la diversité de leurs habits ; et l’utilité, par les instructions qu’ils donnaient aux spectateurs. Voilà quels étaient les avantages des chœurs dans l’ancienne tragédie, avantages que les partisans de l’antiquité ont fait valoir, en supprimant les inconvénients qui en pouvaient naître.

En effet, ou le chœur parlait dans les entr’actes de ce qui s’était passé dans les actes précédents, et c’était une répétition fatigante ; ou il prévoyait ce qui devait arriver dans les actes suivants, et c’était une annonce qui pouvait dérober le plaisir de la surprise ; ou enfin il était étranger au sujet, et par conséquent il devait ennuyer.

La présence continuelle du chœur, dans la tragédie, paraît encore plus impraticable. L’intrigue d’une pièce intéressante exige d’ordinaire que les principaux acteurs aient des secrets à se confier et le moyen de dire son secret à tout un peuple ? Comment Phèdre, dans Euripide, peut-elle avouer à une troupe de femmes un amour incestueux qu’elle doit craindre de s’avouer à elle-même ? Comment les anciens conservaient-ils si scrupuleusement un usage si sujet au ridicule ? c’est que le chœur étant l’origine de la tragédie, ils étaient persuadés qu’il devait en être la base.

Le chœur, ainsi incorporé à l’action, parlait quelquefois, dans les scènes, par la bouche de son chef, appelé Choryphée. Dans les intermèdes, il donnait le ton au reste du chœur, qui remplissait par des chants tout le temps que les acteurs n’étaient point sur la scène : ce qui augmentait la vraisemblance et la continuité de l’action.

Outre ces chants, qui marquaient la division des actes, les personnages du chœur accompagnaient quelquefois les plaintes et les regrets de acteurs sur des accidens funestes arrivés dans le cours d’un acte : rapport fondé sur l’intérêt qu’un peuple prend ou doit prendre aux malheurs de son prince.

Dans la tragédie moderne, on a supprimé les chœurs, si nous en exceptons l’Athalie et l’Esther de Racine et l’Œdipe de Voltaire. Les violons y suppléent. On a blâmé ce dernier usage, qui ôte à la tragédie une partie de son lustre.

On trouve ridicule que l’action tragique soit coupée et suspendue par des sonates de musique instrumentale. Le grand Corneille répond à ces objections, que cet usage a été établi pour donner du repos à l’esprit, dont l’attention ne pourrait se soutenir pendant cinq actes, et n’est point assez relâchée par les chants du chœur, dont le spectateur est obligé d’entendre les moralités ; que, de plus, il est bien plus facile à l’imagination de se figurer un long terme écoulé dans nos entr’actes, que dans les entr’actes des Grecs, dont la mesure était plus présente à l’esprit ; qu’enfin la constitution de la tragédie moderne est de ne point avoir de chœur sur le théâtre, au moins pendant toute la pièce.

Voyez avec quel art Racine et Voltaire les ont introduits ! Il n’y paraît qu’à son tour, et seulement lorsqu’il est nécessaire à l’action, ou qu’il peut contribuer à l’ornement de la scène. Le chœur serait absolument déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, et généralement dans toutes les pièces dont l’intrigue n’est fondée que sur les intérêts de quelques particuliers.

Quand le chœur ne faisait que parler, un seul parlait pour toute la troupe ; mais quand il chantait, on entendait chanter ensemble tous ceux qui composaient le chœur. Le nombre des personnages monta jusqu’à cinquante personnes ; mais Eschyle ayant fait paraître, dans un de ces chœurs, une troupe de furies qui parcouraient la scène avec des flambeaux allumés, ce spectacle fit tant d’impression que des enfants en moururent de frayeur, et que des femmes grosses accouchèrent avant terme. Les magistrats réduisirent alors le chœur à quinze personnes.