Vicaire, Gabriel (1848-1900)
[Bibliographie]
Émaux bressans (1884). — Les Déliquescences d’Adoré Floupette, poète décadent, en collaboration avec M. Henri Beauclair (1885). — Le Miracle de Saint-Nicolas (1888). — Quatre-vingt-neuf (1889). — Marie-Madeleine (1889). — Fleurs d’avril, un acte (1890). — L’Heure enchantée (1890). — Ballade du Bon-Vivant (1891). — Cinq Ballades (1891). — À la Bonne Franquette (1892). — Rosette en Paradis (1892). — Au Bois-Joli (1893). — La Farce du Mari refondu (1897). — Le Clos des Fées (1897).
OPINIONS.
André Theuriet
Il est des titres qui donnent des promesses que parfois le livre ne tient guère. On ne fera pas ce reproche aux Poèmes bressans de M. Gabriel Vicaire. Ils sont pleins de vie, de santé et de belle humeur. L’auteur, au rebours de beaucoup de ses confrères, s’exprime dans une langue ferme et savoureuse dont la sobriété et la gaîté font songer aux chansons populaires. Il s’exhale de son volume une bonne odeur d’herbe et de blé mûr, et sa poésie a le charme de tout ce qui est sincère et humain.
Anatole France
Le recueil s’appelle : Émaux bressans. Vous savez que la ville de Bourg fait commerce de saboterie et de bijouterie. Ces bagues et ces croix de Jeannette sont des émaux bressans, bijoux rustiques… M. Vicaire a pris ces joyaux galants et rustiques pour emblèmes de ses petits poèmes paysans, d’une jovialité parfois attendrie. Et il y a beaucoup de croix de Jeannette dans ces bijoux poétiques. Le poète a beaucoup de goût pour ses payses. C’est l’amoureux des trente-six mille vierges bressanes. Mais on sent bien qu’il les aime en chansons et que son amour, comme on dit, ne leur fait pas de mal. À l’en croire, il est aussi grand buveur et grand mangeur qu’il est vert-galant. Comme son confrère et ami Maurice Bouchor, il se rue en cuisine…
Charles Le Goffic
Gabriel Vicaire a été, il
est encore, pour bien des gens, « le
poète de la Bresse ». C’est à la fois pour eux sa qualité et sa
définition. On peut trouver la définition tout au moins un peu étroite, et même
appliquée à l’auteur des seuls Émaux bressans
. Le poète de la Bresse, il l’est
sans contredit. Mais déjà et dès cette première œuvre, il dépasse son sujet ; il
le remplit tout et par-delà. Rare exemple d’une œuvre qui tient plus que ses
promesses et supérieure à son titre ! Aux Émaux bressans sont
venus s’ajouter les Déliquescences d’Adoré Floupette, le Miracle de Saint-Nicolas, Fleurs d’avril, l’Heure enchantée, À la
Bonne Franquette et, tout récemment, le Bois-Joli.
Continuer, après de tels livres, à ne voir dans Gabriel Vicaire qu’une façon de
« poète du clocher », ce serait vraiment tenir à trop peu de prix les qualités de
finesse, d’abandon, de bonhomie délicate, de verve gracieuse et franche, répandues
d’un bout à l’autre de son œuvre ; ce serait oublier surtout qu’elles ont passé
jusqu’ici « pour le fonds même des poètes de bonne race gauloise »
,
qu’elles ont servi à distinguer tour à tour nos vieux « fableors » anonymes du
moyen âge et leurs héritiers directs : Jean de Meung, Villon, Marot,
Régnier, La Fontaine, et qu’en fin de
compte celui-là n’occupe point un rang ordinaire dans notre littérature qui, ayant
des précédents, suivant l’expression de La Bruyère, « le jeu, le
tour et la naïveté, vient relier entre eux et nous la tradition si fâcheusement
interrompue »
.
Gustave Kahn
La muse de M. Gabriel Vicaire s’en va, comme plusieurs autres muses, remplir sa cruche à la fontaine d’où coule intarissable le beau flot d’argent de la chanson populaire, et elle écoute les oiselets qui pépient autour de la source sacrée. Il semble que, quand elle revient au logis du poète, elle pose sa cruche à côté d’un broc de clairet, un peu faible, mais savoureux, sentant fort son terroir, pas traître, sans ivresse profonde, sans bouquet complexe (en tout cas, c’est du vrai vin), que le poète a été chercher dans son cellier ; et il tend tour à tour à son lecteur le gobelet de vin et le verre d’eau. C’est bon et c’est frais. Il n’a tort que quand il coupe eau et vin, c’est alors d’un plaisir moins franc.
Les uns ont choisi dans notre vieux fonds populaire les attitudes douloureuses, les enfantines désespérances, les cris brefs et naïfs des souffrances profondes. Le folklore a ses idyllistes, ses dramaturges, ses élégiaques ; presque tous transposant. M. Vicaire transpose aussi ; mais il recherche le ton bonhomme, le ton bonne femme de la vieille poésie (et c’est une note personnelle). Cette vieille poésie est pour lui pédestre et légère, à cotillon court joliment et sobrement rayé.
Si l’on admet ce point de vue, admissible s’il n’est pas généralisé à l’excès, si on reproche en passant à M. Vicaire de mettre au service de cette chanson vivace une technique trop immobile, on peut se plaire et beaucoup à l’histoire de Fleurette, à celle du Joli Rossignol qui languit pour une rose et renaquit à la joie grâce à une jolie clochette, et surtout goûter le curieux travail d’art de Rainouart au Tinel, un exemple de fabliau renouvelé, alerte et neuf, volontairement exhaussé de quelques expansions lyriques peut-être, un peu bien brèves ; mais enfin, cela, en son but, tel quel, est réussi.
Robert de Souza
M. Gabriel Vicaire est,
aujourd’hui, le vrai poète folkloriste traditionnel, accomplissant pour la poésie
ce que réalise pour la musique M. Julien Tiersot, à qui nous devions, ces années passées, de jolies
auditions de rondes enfantines. Certains titres de ses volumes : Au
Bois-Joli, le Clos des Fées, indiquent, à eux seuls, les
tendances de son imagination. Et nul n’a mieux décrit le charme de la poésie
populaire : « Le vers sans doute est boiteux, dit-il, il court cependant.
Le rythme ne se distingue pas toujours aisément ; on peut être sûr qu’il existe.
La rime est remplacée par l’assonance ; mais la musique n’y perd jamais rien.
Les pieds varient à l’infini. Qu’importe ? Il semble qu’on ait affaire à une
matière malléable, presque fluide, capable de s’allonger ou de se restreindre à
volonté. Les syllabes trop nombreuses se tassent d’elles-mêmes. »
Or,
comment, avec une appréciation si délicate, M. Gabriel Vicaire s’est-il
contenté d’un instrument sec et coupant comme l’effilé vers classique qui rase net
les herbes folles fleurissantes, tond en boulingrins les prairies naturelles ?