MASSILLON, [Jean-Baptiste] Evêque de Clermont, de l’Académie Françoise, né à Hieres en Provence en 1663, mort à Clermont en 1742.
Ce nom est devenu, parmi nous, celui de l’Eloquence chrétienne, c’est-à-dire, de l’Eloquence de la raison & du sentiment. La sienne, sans prétendre au sublime, offre un ton simple, noble, intéressant, affectueux, naturel ; un style pur, correct, élégant, qui pénetre l’ame, sans la contraindre ni l’agiter. Les Sermons de cet Orateur ne sont pas toujours dépourvus de ces traits de force, de chaleur, qui ébranlent ; mais une marche paisible, également vive & insinuante, forment son véritable caractere. Il puisoit, dans la sensibilité de son ame, la douceur, l’abondance, le pathétique, & l’élégance continue qui flattent dans ses Productions. Le sentiment est son ressort favori, & l’on ne sauroit disconvenir qu’il est impossible d’en employer de meilleur, pour insinuer à ceux qui nous écoutent ou qui nous lisent, l’amour de la vérité & celui des devoirs.
Bourdaloue, comme un Conquérant redoutable, entraîne, subjugue, force de se rendre aux armes de la Raison : Massillon, comme un Négociateur habile, procede avec moins de rapidité, avec plus de douceur, quelquefois plus sûrement, & amene insensiblement au terme qu’il s’est proposé. L’un s’adresse à l’esprit, & le domine : l’autre s’attache à l’ame, la captive, & l’attendrit. Le premier a la dignité, la force & le feu continu de Démosthène : le second, l’abondance, l’adresse & le naturel de Cicéron.
La comparaison qu’on fait ordinairement de Massillon à Racine, seroit assez exacte, si leurs objets n’étoient pas si différens. En effet, l’Evêque de Clermont est, dans son genre, aussi tendre, aussi moëlleux, aussi élégant, aussi soutenu, que l’Auteur d’Athalie. Celle de Bourdaloue à Corneille, aussi souvent employée, ne paroîtra jamais exacte. Il est constant que le Jésuite n’a pas des traits assez sublimes, pour lui donner quelque conformité avec le génie du Poëte : il n’a pas non plus l’enflure, l’incorrection & l’inégalité nécessaire pour justifier le parallele. Bourdaloue est toujours égal à son sujet & à lui-même : Corneille oublie souvent le sien, & l’abaisse par des négligences. Le seul trait de ressemblance qui existe entre eux, est que le Prédicateur a été, parmi nous, le pere de l’Eloquence chrétienne, comme l’Auteur de Cinna l’a été de la Tragédie.
Le mérite qui distingue éminemment les Sermons de Massillon de tous les autres, est la connoissance du cœur humain qu’ils annoncent ; connoissance aussi délicate, que juste & profonde. Les peintures qu’il fait des mœurs seront toujours ressemblantes, parce qu’il ne les a point dessinées d’après quelques sociétés particulieres. Il a pénétré jusqu’à la source. De là il tire le sujet de ses Tableaux, toujours rendus avec le coloris qui leur convient. N’attaquer que les désordres extérieurs, passagers, n’est pas toujours un moyen sûr d’intéresser l’Auditeur, & de réprimer la corruption publique. Les passions veulent être attaqués dans leur germe ; il faut les suivre sous toutes les formes qu’elles prennent, les forcer dans tous les retranchemens, les opposer elles-mêmes à elles-mêmes, & les confondre dans les ressources qu’elles emploient pour se justifier. Par cet art admirable, personne n’a mieux possédé, que l’Evêque de Clermont, le talent de se rendre sensible & intéressant pour tout le monde.
Son petit Carême passe pour être son chef-d’œuvre, & celui de l’Art Oratoire. Ne semble-t-il pas cependant [& plusieurs personnes sont de cet avis], que le ton d’éloquence qui y regne n’en eût été que plus estimable, si les ornemens y étoient moins prodigués, les répétitions & les paraphrases plus rares ? La rapidité de la composition & l’objet que se proposoit l’Auteur, sont peut-être suffisans pour le justifier sur ces petits défauts, dont d’ailleurs peu d’esprits sont susceptibles.
La partie des Oraisons funebres est la partie la plus foible de son mérite. On peut dire que Massillon, avec tout l’appareil de l’éloquence, y est moins éloquent que par-tout ailleurs. Quelques-uns des sujets qu’il a traités, étoient propres à lui fournir de grands traits. Il paroît avoir méconnu & le ton qui leur convenoit, & les grandes ressources par lesquelles il pouvoit les faire valoir. L’Oraison funebre du Prince de Conti sent le Rhéteur ; elle offroit cependant mille tableaux intéressans au grand Peintre. Celle de Louis XIV est bien propre à faire connoître que l’Orateur avoit de la noblesse & de la fermeté dans le caractere ; que son imagination étoit riche & féconde, son style séduisant & inépuisable ; mais elle humilie en quelque façon son Héros, ce qui n’est pas ordinaire dans ces sortes d’ouvrages, & n’en fut jamais le but. On peut, & l’on doit, dans ces occasions, avoir le courage de dire la vérité ; présenter avec force la grande leçon des événemens ; humilier les grandeurs humaines au pied de la Mort qui les anéantit. Il n’est jamais permis d’outrer les peintures, d’affoiblir les vertus, en faisant trop sentir qu’on veut les apprécier, & de passer d’une censure trop sévere à une admiration froide qui manque toujours son effet.