Schwob, Marcel (1867-1905)
[Bibliographie]
Cœur double (1892). — Le Roi au masque d’or (1893). — Mimes (1894). — Le Livre de Monelle (1894). — Annabella et Giovanni, conférence (1895). — La Croisade des enfants (1896) — Spicilège (1896). — Moll Flanders, traduit de Daniel de Foë (1896). — Les Vies imaginaires (1897). — Hamlet, traduit de Shakespeare avec Eug. Morand (1899).
OPINIONS.
Anatole France
Une nouvelle bien faite est le régal des connaisseurs et le contentement des difficiles. C’est l’élixir et la quintessence. C’est l’onguent précieux. Aussi je ne crois pas donner une médiocre louange à M. Marcel Schwob en disant qu’il vient de publier un excellent recueil de nouvelles.
M. Marcel Schwob, comme un nouvel Apulée, affecte volontiers le ton d’un myste littéraire. Il ne lui déplaît pas qu’au banquet des Muses les torches soient fumeuses. Je crois même qu’il serait un peu fâché si j’avais pénétré trop facilement les mystères de son éthique et les silencieuses orgies de son esthétique.
Mais il n’y a que M. Marcel Schwob pour écrire tout jeune des récits d’un ton si ferme, d’une marche si sûre, d’un sentiment si puissant. Il nous avait promis la Terreur et la Pitié. J’ai senti la terreur. M. Marcel Schwob est, dès aujourd’hui, un maître dans l’art de soulever tous les fantômes de la peur et de donner à qui l’écoute un frisson nouveau.
On peut dire de lui, comme d’Ulysse, qu’il est subtil et qu’il connaît les mœurs diverses des hommes. Il y a, dans ses contes, des tableaux de tous les temps, depuis l’époque de la pierre polie jusqu’à nos jours. M. Marcel Schwob a un goût spécial, une prédilection pour les êtres très simples, héros ou criminels, en qui les idées se projettent sans nuances, en tons vifs et crus. Il aime le crime pour ce qu’il a de pittoresque. Il a fait de la dernière nuit de Cartouche à la Courtille un tableau à la manière de Jeaurat, le peintre ordinaire de Mam’selle Javotte et de Mam’selle Manon, avec je ne sais quoi d’exquis que n’a pas Jeaurat. Et dans ses études de nos boulevards extérieurs, M. Marcel Schwob rappelle les croquis de Raffaëlli, qu’il passe en poésie mélancolique et perverse.
Lucien Muhlfeld
Ceux qui regrettent qu’on ait retrouvé seulement une dizaine des Mimes du poète Hérodas, liront avec plaisir les Mimes de Marcel Schwob, continueront de goûter un savant plaisir. Le pastiche est fidèle, et en même temps ingénieux. M. Schwob, plus artiste à coup sûr qu’Hérodas, met dans ses récits une poésie et une mélancolie qui manquaient au poète de l’Île de Cos, lequel était volontiers jovial et « réaliste ». Les dialogues de nos écrivains d’observation satirique, de la lignée d’Henri Monnier, voilà assez exactement l’analogue de la littérature d’Hérodas. Mais les cadres, les sujets, et jusqu’aux tons de conversation du poète antique, voilà ce que s’est assimilé Marcel Schwob, avec l’aisance charmante d’un talent averti patient et heureux.
Maurice Maeterlinck
C’est bien neuf et bien beau d’avoir eu l’idée et le courage de commencer par l’âme. Tout ce qui suit passe sur le fond solennel et lumineux d’une autre vie ; et, il n’y a plus de parole sans portée ni d’attitude sans conséquences. Et les voici, les fillettes mystérieuses, tout imprégnées de l’odeur de leur âme et si humainement inexplicables !… La petite écolière des Crabes, qui vit déjà sournoisement comme elle vivra toujours ; la petite femme de Barbe-Bleue, qui méchamment griffe les pavots verts et qui attend le glaive dans le pressentiment adorable et complet de toutes les voluptés. Et l’extraordinaire petite Madge, la fille du moulin, qui en trois gestes et trois paroles nous révèle une vie presque aussi fantasquement profonde que celle de la miraculeuse Hilde d’Ibsen. Madge à la vie aiguë est peut-être la reine des Monelle. Elle semble sortir des sources mêmes de la femme, toute mouillée encore de la rosée originelle de la sainte hystérie si perversement bonne… Puis Bargette, qui descend les fleuves à la recherche d’un paradis et qui résume toutes les déceptions de ses sœurs, dans son cri d’oiseau qui s’envole. Et Bûchette et Jeanie, qui regarde en dedans, et Ilsée, Ilsée qui est l’apparition la plus essentielle que je sache ; et Marjolaine qui, la nuit, jette des grains de sable contre les sept cruches multicolores et pleines de rêves, et Cice, la petite sœur de Cendrillon, Cice et son chat qui attendent le prince ; et Lily, puis Monelle qui revient… Je ne puis tout citer de ces pages, les plus parfaites qui soient dans nos littératures, les plus simples et les plus religieusement profondes qu’il m’ait été donné de lire, et qui, par je ne sais quel sortilège admirable, semblent flotter sans cesse entre, deux éternités indécises… Je ne puis tout citer ; mais, cependant, la Fuite de Monelle, cette Fuite de Monelle qui est un chef-d’œuvre d’une incomparable douceur, et sa patience et son royaume et sa résurrection, lorsque ce livre se renferme sur d’autres paroles de l’enfant, qui entourent d’âme toute l’œuvre, comme les vieilles villes étaient entourées d’eau…