(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIII » pp. 244-246
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIII » pp. 244-246

LXIII

le juif errant. — les jésuites. — alfred de vigny. — réponse de m. le prevost a m. letronne. — flourens. — mort de fauriel.

A propos des Jésuites, Le Juif errant ne réussit pas ici, on en a assez des Jésuites. Quoi ! à Lausanne on en serait là ! C'est retarder. Laissez ici le Journal des Débats s’escrimer contre les Jésuites, et M. de Molènes relever le gant de Voltaire en y mêlant beaucoup de musc. C'est bien peu imiter Voltaire que de faire cela. Que ferait donc Voltaire de nos jours ? Oh ! je ne sais quoi, mais tout autre chose.

— Le critique de la Revue de Paris, H. B., est M. Hippolyte Babou. La politique y est faite par Lerminier.

— Les vers d’Alfred de Vigny, Lettre à Éva, n’ont pas semblé continuer les poëmes philosophiques mieux qu’ils n’avaient commencé ; c’est élevé, c’est distingué assurément, mais d’une distinction qui se raffine de plus en plus et d’une élévation qui s’évapore. On se demande quelle est cette Éva à qui l’on écrit une lettre ; ce n’est donc pas, comme il semblerait, une Muse et un pur idéal. Mais, si ce n’est pas la Muse même, il est peu idéal de vouloir aller avec elle dans cette Maison du Berger où il est dit qu’on ne peut se tenir debout42 et où d’autres détails peu platoniques sont légèrement sous-entendus. Ce n’était pas la peine de se montrer si sévère tout à côté contre Anacréon et contre Horace, ainsi que le poëte n’a pas craint de le faire. On se demande quand on a lu ce poëme, comme au reste après avoir lu presque tous ceux de M. de Vigny : Est-ce idéal ? est-ce réel ? est-ce de la vie ? est-ce du nuage ?

Cette poésie-là me paraît comme de l’albâtre assez artistement travaillé, mais pâle, sans couleur ; la vie et le sang n’y circulent pas. Parfois on aperçoit derrière comme une rougeur due à quelque lampe artificielle, et cette rougeur aussitôt s’évanouit.

Quand je dis assez artistement travaillé, il faut pourtant des réserves, car on trouverait dans cette pièce d’étranges obscurités et des incorrections incontestables. Ainsi, page 315, dans la strophe :

Mais à moins qu’un ami menacé dans sa vie
Ne jette en appelant le cri du désespoir,
Ou qu’avec son clairon la France nous convie, etc.

Il faudrait absolument : ne nous convie.

— M. Auguste Le Prevost vient de publier une Réponse à l’écrit de M. Letronne sur le cœur de saint Louis ; cette réponse, très-modérée et qui contient quelques considérations générales fort judicieuses à propos de la méthode critique exclusive de M. Letronne, mérite qu’on la lise. Nous y reviendrons peut-être, mais nous l’indiquons du moins comme dernière pièce du procès.

— M. Flourens vient de recueillir ses articles du Journal des savants sur Buffon : Histoire de ses travaux et de ses idées. Ce petit volume, fort net et fort instructif, fait suite à ceux du même auteur sur Cuvier, sur Gall. L'un des deux secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences et membre de l’Académie française, M. Flourens, aspire à devenir un écrivain, et il y parvient.

— L'auteur du recueil des Chants populaires de la Grèce moderne et de l’histoire de la Gaule méridionale, Fauriel, vient de mourir. C'est une vraie perte. Érudit inventif et original, il est apprécié ainsi par la Revue des Deux Mondes :

« L'écrivain à qui Cabanis adressait sa fameuse Lettre des Causes premières, l’ami dont Manzoni écoutait l’inspiration et à qui il se faisait honneur de dédier sa meilleure pièce, l’homme que madame de Staël consultait sur la littérature allemande, qui donnait à M. Cousin le goût de la philosophie ancienne, à M. Raynouard celui des troubadours, à M. Augustin Thierry celui des races du moyen âge, à M. Ampère celui des littératures comparées, l’homme, enfin, qui a su inspirer tant d’illustres amitiés et coopérer par ses conseils à tant de monuments aujourd’hui célèbres, ne peut manquer de laisser des regrets profonds dans tous ceux qui ont eu l’honneur de le pratiquer. »