(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 198-200
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 198-200

Balzac, [Jean-Louis Guez, Seigneur de] de l’Académie Françoise, né à Angoulême en 1594, mort en 1654, a rendu à l’Eloquence Françoise le même service que Malherbe venoit de rendre à la Poésie.

Ces deux Arts ont reçu de ces Auteurs une harmonie, une noblesse, une élégance qu’on ne connoissoit point avant eux, qu’on ne pouvoit même prédire, d’après les Ecrivains qui les avoient précédés. Dans les Ouvrages de prose, le style étoit l’objet dont on s’embarrassoit le moins : pourvu que l’expression ne fût point barbare, qu’elle rendît la pensée de l’Auteur, on croyoit avoir le talent d’écrire. Amyot, du Perrier, Rabelais, Montagne, Charron, étoient les seuls Auteurs qu’on pût lire avec intérêt, & cet intérêt naissoit plus encore du génie particulier de ces Ecrivains, que de l’agrément de leur langage.

Balzac fut le premier qui s’appliqua à donner du nombre, de la cadence & de la grace au discours, par le choix & l’arrangement des mots, par la disposition des phrases & le mélange des sons. C’est par cette magie que sa prose est autant supérieure à celle de ses contemporains, que les vers de Corneille & de Racine le sont à ceux des petits Poëtes tragiques d’aujourd’hui.

Malgré tant de droits à notre estime ; Balzac ne sauroit être proposé comme un modele. Il a enrichi la langue à la vérité, il l’a anoblie, il l’a subjuguée ; mais la recherche déplacée de son style le rend boursoufflé ; la magnificence de l’expression le rend forcé & gigantesque ; la délicatesse des tours le rend affecté ; l’usage immodéré des figures le rend ridicule ; enfin son affectation continue d’élégance & de noblesse, dans les choses qui en exigent le moins, le rend souvent absurde & pénible à la lecture. Ce défaut de goût l’a fait tomber dans une espece de mépris, qu’on a poussé toutefois un peu trop loin. On doit lire avec plaisir quelques-unes de ses Lettres, plusieurs de ses Traités, & sur-tout son Aristipe. Les réflexions excellentes répandues dans ce dernier Ouvrage, les sages préceptes de morale & de politique, les exemples bien choisis y peuvent faire oublier les fautes du style, & fournir des instructions à ceux qui voudront instruire les autres.

Balzac a doublement contribué aux progrès de l’éloquence, par ses Ecrits & par ses bienfaits : on ne doit pas oublier qu’il est le premier fondateur du prix d’Eloquence à l’Académie Françoise. Cette fondation n’a jamais moins produit qu’aujourd’hui les fruits qu’il s’en étoit promis. Les sujets proposés de son vivant, & long-temps après sa mort, tendoient à l’honneur de la Religion, autant qu’aux progrès des talens : il avoit même exigé que les Discours feroient terminés par une priere. Les choses ont changé depuis : on a retranché l’hommage de la piété, sans nous dédommager par l’éloquence.