Honoré de Balzac2
I
On s’occupe beaucoup de Balzac, et, amis ou ennemis, on s’en occupera longtemps encore, car, à trois pas d’une tombe, une grande gloire est presque une importunité. Dernièrement, un homme peu connu dans les lettres, mais auquel la Revue des Deux-Mondes ouvrit les deux battants de sa publicité, M. Eugène Poitou, a publié sur le plus grand romancier du xixe siècle un long travail, qui peut-être sera un livre demain. Comme les idées sont indépendantes de la chronologie et de la forme purement matérielle sous laquelle elles arrivent au public, nous n’avons pas attendu le livre et nous parlons de ce travail aujourd’hui.
M. Eugène Poitou, qui débute dans les lettres vulgaires, a débuté déjà dans les lettres officielles et même avec succès. Il a eu un prix ou une moitié de prix à l’Académie. C’est, à ce qu’il paraît, un magistrat qui se divertit de temps en temps au commerce des lettres. On dit qu’il est avocat général. Il l’est à coup sûr de style et de pensée aujourd’hui, dans la Revue des Deux-Mondes. Son étude morale et littéraire n’est qu’un réquisitoire. Mais la sellette où s’assied Balzac est l’escabeau des Psaumes. Nous en voulons seulement faire mesurer la hauteur à M. Poitou lui-même. Il verra qu’il peut facilement, et sans se blesser, passer par-dessous.
II
Si l’étude de M. Eugène Poitou avait été réellement une étude morale et littéraire, dure fût-elle, cruelle même, nous l’aurions acceptée. Nous aimons les Aristarques du génie. Nous n’en craignons pas même les Archiloques, s’il s’en rencontre, car les limes de la gloire sont plus dures que la dent des gracieux animaux qui les rongent, et c’est toujours quelque chose, c’est encore un profil pour l’intelligence que le talent, fût-il dans l’injustice. Il y a plus. Nous montrer les côtés faibles ou mauvais d’une grande œuvre qui noie ses défauts dans une splendeur éblouissante, appliquer une vue de lynx sur cette vue d’aigle qui a embrassé tant d’objets, mais à laquelle beaucoup ont pu échapper, signaler enfin dans l’homme le plus imposant la petitesse humaine qui doit empêcher l’idolâtrie, c’est là une entreprise qui a son mérite, ses difficultés, sa valeur. Plus l’œuvre est belle, plus le critique est fort qui la pénètre et qui la juge. Plus la gloire et le talent semblent de bon aloi, plus le peseur de tout cet or fin doit avoir la main sûre et le tact exquis. Voir une tache ou voir une étoile, c’est la même chose. Le tout est de voir. Par l’évidence de son génie, Balzac, dont il est question, est précisément un de ces hommes qui créent à ceux qui le regardent des obligations d’aperçu ; et l’on peut dire hardiment que le critique qui n’a pas vu en lui et qui n’y montre pas ce que le commun des hommes ne peut voir, n’était réellement pas digne de le regarder !
Serait-ce le cas de M. Eugène Poitou, le nouveau critique qui vient de naître à La Comédie humaine ?… Nous avons lu avec l’attention que mérite toute tentative hardie le travail qu’il a publié, et nous n’y avons trouvé ni une observation inconnue, ni un reproche qui n’ait été déjà et bien ou mal à propos articulé. Le travail de M. Poitou n’est que la répétition pédantesque et très-fastidieuse de toutes les idées communes et hostiles qui ont été, à toutes les époques, exprimées sur Balzac depuis qu’il avait commencé la grande œuvre si prématurément interrompue par sa mort. Ce qu’une critique, superficielle toujours, injuste souvent, et quelquefois de la plus envieuse duplicité, a écrit pendant vingt ans contre un génie en train de faire sa voie, est reproduit par M. Poitou avec la fidélité aveugle d’un homme qui n’a pas une idée à soi. C’est la parade défilée de toutes les vieilleries auxquelles Balzac, et bien d’autres, et tout le monde, ont déjà répondu. C’est cette gravure allemande, la Revue des Morts, moins les Champs-Elysées, moins la poésie, moins surtout Napoléon. Voyez si vous ne connaissez pas le vide de toutes ces accusations !
Comme moralité, « Balzac est un enfant du xviiie
siècle. »
C’est tout à la fois « un matérialiste » et « un sceptique. »
C’est par matérialisme, le croirait-on ! qu’il a fait Le Lys dans la vallée. C’est par scepticisme qu’il a écrit Séraphita. « Le plus repoussant spectacle que l’imagination malade puisse inventer, c’est La Comédie humaine… Elle est le délire de l’orgueil. »
Le pessimisme
de l’auteur y fausse la vérité à toute page. Intellectuellement, d’ailleurs, « ce n’est pas une œuvre. L’ordonnance, l’unité, la science de la composition, n’y sont pas. L’idée en est venue, après coup, ex post facto, comme disent les juristes. »
Balzac fit l’échiquier pour les pions et non les pions pour l’échiquier. Pour ce qui est de ces romans dont le rapprochement matériel a produit La Comédie humaine, « ils manquent de variété. Ils ne sont que la reproduction des mêmes types. » Ils pèchent par l’invention. Balzac au fond « était stérile. »
Sans la gravité de son état qui l’empêche d’être pittoresque, M. Eugène Poitou nous peindrait Balzac tendant le chapeau à toutes les idées de son temps. Génie mendiant qui vivait d’aumônes. Mme Sand et M. Sue lui ont donné. Il est le Lazare de leurs dessertes ! Après cette vue d’ensemble sur l’homme et son œuvre, M. Poitou descend aux détails et continue▶ de reprendre en sous-œuvre les opinions usées. « Balzac, dit-il, n’est qu’un peintre de genre. Il n’était qu’un Mieris. Son premier et son plus grand tort fut de se croire un Véronèse. »
Le second fut de ne peindre « que des individualités, des exceptions, des hommes et non l’homme, et de les peindre sans mesure, sans sobriété, avec outrance »
et non sagement, comme Lesage, ce Salomon, auteur de Gil Blas ! Enfin le style, « qui fait vivre les œuvres », est chez Balzac « matériel, inégal, surchargé, bizarre, trahissant l’effort »
, et il trahira sa mémoire, en ne l’arrachant pas à l’oubli.
Nous avons fini. Voilà, dégagé de ses développements et de ses déclamations, le fond du travail de M. Eugène Poitou. C’est à ces misères (il faut bien enfin, quoi qu’il en coûte, appeler les choses par leur nom), c’est à ces misères que la Revue des Deux-Mondes, dans ses feuilles, a réservé la place d’honneur. On ne sait pourquoi, car, s’il fallait absolument l’hécatombe des œuvres de Balzac aux principes littéraires et moraux de M. Buloz, on avait, sans sortir de chez soi, M. Gustave Planche, mort maintenant mais vivant alors, qui du moins avait de la compétence littéraire, une sagacité exercée, et qui aurait vu dans Balzac, artiste énorme, mais non infaillible, des débilités de main ou des excès d’intelligence qui ont échappé à l’adolescence magistrale de M. Poitou. Esprit à grandes lignes, mais à lignes arides et qui avait porté le poids du jour, M. Planche n’en était pas moins un critique digne de toucher à ce grand sujet, Balzac et son œuvre. S’il y avait touché, il n’eût pas compromis ceux qu’il aurait servis, et l’on aurait eu la décence du coup que l’on voulait porter. Pourquoi donc ne l’avez-vous pas pris ? Aurait-on trouvé en lui l’obstacle d’une indépendance ? ou Balzac, cet uomo di sasso, aurait-il épouvanté de son marbre et du poids de son génie un homme qui a mesuré assez de cerveaux pour savoir ce que celui-ci pèse, — et pour ne pas se soucier d’avoir à soulever ce fardeau ?…
III
Balzac, en effet, avec ses défauts, avec, ses vices de composition, s’il en a, et qu’il fallait nettement déterminer ; avec toutes les fautes qu’on serait en droit de lui reprocher, avec tous les desiderata que le bon sens pouvait formuler aux pieds de son génie, Balzac reste tellement colossal encore, que la Critique en est accablée, que l’Imagination en sourit, et que diminué, oui, réellement diminué dans sa stature, il ne nous paraît pas moins grand ! L’effet qu’il produit n’a pas changé. On peut lui chercher des analogues, une parenté, une filiation intellectuelle ; et, comme tous les génies qui ne tombent pas du ciel, il en a une, mais il transfigure sa race en lui. On s’imagine l’avoir abaissé quand on l’a fait sortir de Rétif de la Bretonne, mais c’est un Rétif de la Bretonne sublimisé et mêlé à un Dante, — à un Dante romanesque et moderne, le Dante d’un temps qui a estropié toute grandeur ! Ce qui a dominé, hyperdominé son talent, c’est le mécontentement de ce qui se faisait autour de lui et l’envie de le refaire pour montrer ce qu’on pouvait tirer de tous ces idéals manqués ! Dans le morcellement universel il cherchait son unité propre et butinait partout pour composer l’œuvre originale dont la conception ne le quitta jamais. Il écrivit des livres comme on prend des notes de trois et quatre lignes et dont on se propose de faire des ouvrages qui souvent ne voient pas le jour. Combien de pages, de pensées, de pierres d’attente hésitons nous à sacrifier dans l’économie de nos travaux, tandis que lui, Balzac, sacrifiait des livres entiers comme on sacrifie des notes perdues ! Malgré cette surface d’orgueil que les petits amours-propres blessés aperçoivent, il avait une humilité éternelle. Ses ouvrages retouchés avec acharnement, ses pages incessamment remaniées, ses textes intercalés dans les textes et son style qu’on appelle surchargé, en témoignent. Un jour Chateaubriand, dans un commentaire de l’Essai sur les révolutions, se donna publiquement la discipline avec une coquetterie de pénitence qui était de la vanité à l’envers, mais Balzac fut souvent un pénitent plus profond et plus vrai. Il se rétractait par en haut. Il opérait plus intimement sur son œuvre et sur sa pensée. Il faisait mieux que de se corriger, il se purifiait. M. Poitou ose lui opposer, pour le convaincre de scepticisme, je ne sais quelle préface de 1835. C’est trop oublier que les préfaces de Balzac, raturées d’ailleurs par la grande préface de La Comédie humaine, qui ne fut pas le dernier mot que son génie prononça, n’étaient dans ses travaux et dans ses idées que des jalons, bientôt dépassés et bientôt abattus. C’est en effet le caractère particulier de l’esprit de cet homme plus étonnant que son œuvre, quoique son œuvre soit un monument, de toujours s’élever, de toujours s’accroître, et par cela même d’avoir plus besoin du temps que personne. Il avait compté sans la mort. Disproportionné avec la nature humaine, avec les talents les plus beaux de son époque et de toutes les époques qui eurent des côtés plus parfaits, mais qui ne furent pas plus puissants ; à quarante ans majeur à peine, mort à cinquante dans une plénitude de midi pour nous, qui n’était pour lui qu’une aurore, il était de conception infatigable. Là où il avait percé l’horizon, à ce qu’il semblait, jusqu’à sa dernière limite, il en creusait un autre encore qui s’ouvrait dans les profondeurs du premier. Alchimiste de littérature, comme l’avaient été de leur temps Shakespeare et Molière, Balzac était le Balthazar Claës de sa Comédie. Il ne devint pas fou, mais il mourut à la recherche de son roman philosophal dans une grandeur immense, et nécessairement incomplète, car pour cadre à l’œuvre qu’il avait rêvée, il lui eût fallu l’infini !
IV
C’est ce Balzac enterré sous sa pyramide inachevée que M. Eugène Poitou n’a pas saisi à travers la lettre resplendissante d’une œuvre inouïe. Cette lettre que le critique discute petitement, il n’y a évidemment rien compris. Cependant les succès de Balzac, ses influences sur notre génération littéraire et sociale, l’irradiation de plus en plus vaste et lumineuse de sa renommée, auraient dû avertir M. Poitou et lui donner à réfléchir. Au crible du Temps, les hommes sont rares ; ceux qui peuvent s’imposer comme tels. Leurs ouvrages aussi se clairsèment. Peu d’œuvres dont nous ayons été charmés à une première lecture savent résister à une seconde. Ajoutez à cela les mille angoisses que connut Balzac, le plomb des exigences de librairie, les tyrannies des marchands érigés en Mécènes, les Fourches Caudines sous lesquelles sont obligés de passer les plus fiers écrivains, l’inspiration que l’on chasse et la commande que l’on fait, les instincts bas dont les colporteurs de littérature risquent le plaidoyer, l’argent à la main, pour tenter la faim qui doit prêter l’oreille, malgré le proverbe, enfin la levée de boucliers des esprits sans lumière et
sans vie contre les réfractaires qui s’obstinent à vouloir être ce qu’ils sont, et dites-vous si le massacre n’est pas organisé, — de haute lice et de nécessité, — et s’il n’est pas besoin d’une force intellectuelle redoutable pour ne pas périr au moins dans quelques parties de son âme et de son talent ? Eh bien ! non-seulement Balzac n’a pas péri, mais il a fondé une de ces choses que lui seul eût pu débâtir, et que la Postérité, moins artiste que lui, respectera. Cette observation qui expliquerait Balzac et ses défaillances quand il en eut, M. Eugène Poitou ne l’a pas faite. Aussi, après avoir oublié l’homme dans Balzac, avec sa virtualité et les circonstances, et tout ce qui rend l’illustre auteur de La Comédie humaine plus monumental que son monument, M. Poitou dépense-t-il tout son temps et tout son effort à chicaner stérilement les détails qui se heurtent, à ce qu’il semble, quand on les voit pièce à pièce, et qui se fondent et s’harmonisent, quand on les regarde de loin et de haut. Il ne faut pas s’y tromper : les contradictions de doctrines, d’inspirations et d’idées, que M. Poitou a relevées dans quelques fragments épars de La Comédie humaine, ne viennent guères que de sa propre manière de regarder, et à ces contradictions, qui sont le résultat d’une faiblesse d’yeux, impuissants à embrasser un ensemble et une perspective, le critique ajouté ses contradictions et ses titubations à lui-même. Ainsi, par exemple, il blâme en Balzac le portraitiste, ce qu’il admire dans Saint-Simon. Ainsi encore, après avoir refusé à peu près tout à Balzac, après lui avoir reproché « la stérilité d’invention »
, à cet homme qui a produit plus que Walter Scott, et la reproduction des
mêmes types , quand le prodigieux créateur en a fait jaillir de sa tête quelque chose comme un millier, M. Poitou veut bien convenir pourtant que l’auteur de La Comédie humaine a de la vie, comme si la vie n’était pas la qualité suprême, comme si l’avoir et la donner n’impliquait pas ce qu’il y a de plus important dans les arts ! Toujours attiré par les idées vulgaires, et Mouton de Dindenaut en critique, M. Poitou ne se hasarde guère que là où les autres ont déjà passé. Il ne doit pas manquer de revenir sur le luxe descriptif de Balzac, l’horreur des pauvres et des superficiels, et il y revient ! Il prend ce luxe pour un excès, et c’est une manière ! — la manière d’un homme assez épique de facultés pour harmoniser une création derrière un personnage qu’il veut mettre en saillie, et faire tourner toute une civilisation autour de lui ! La même erreur se reproduit à tout bout de champ dans l’analyse à contre-sens que fait M. Poitou des nombreuses qualités de Balzac : ou il les transforme en défauts, ou il les méconnaît, ou il les oublie. L’esprit de Balzac, par exemple, s’en doute-t-il ? Où en a-t-il parlé ?… Selon nous, ce qui range à part le génie de Balzac parmi les autres génies contemporains et européens, c’est l’esprit, cette faculté perdue que je nommerais volontiers anti-dix-neuvième siècle, tant elle est rare à cette époque, même dans les talents réputés les plus grands ! C’est cette note riante, sonore et comique, qui court partout dans l’œuvre éclatante et profonde et qu’on retrouve perlant tout à coup dans les endroits les plus mélancoliques, les plus passionnés et les plus touchants. M. Poitou n’en dit pas un mot. De ce grand génie multiface qu’on appelle
Balzac, il n’a vu presque qu’une facette. Peintre de genre, dit-il (est-ce une insolence d’éloge ou une perfidie ?), c’est par la peinture de genre qu’il vivra, s’il vit, ce peintre effrayant de nature humaine, de société, de caractère, d’histoire, qui allait être encore un peintre de batailles, s’il n’était pas mort ! Quand M. Poitou a dit cela, il a tout dit. Il a fait sa justice. Seulement c’est lui qui est jugé. Ce n’est pas Balzac.
V
Voilà l’homme cependant que la Revue des Deux-Mondes a choisi pour faire son 3 Nivôse contre le génie impérial de Balzac ! Voilà le critique, exécuteur de ses hautes œuvres littéraires, qu’elle a chargé de décapiter, à froid et après la mort, un grand homme d’esprit qu’elle n’aurait pas touché vivant. Le bourreau qui trancha la tête au duc de Monmouth s’y reprit à quatorze fois, nous dit l’histoire. M. Eugène Poitou a dû se reprendre bien des fois aussi en écrivant ces pages malheureuses. Il frappe, comme il peut, ses quatorze coups sur le talent et sur l’homme ! et sur la moralité de son œuvre ! et sur la grossièreté de ses instincts ! et sur les exigences de son tempérament ! et sur la pestilence de ses succès ! et sur le danger de ses influences ! et sur l’avenir de sa renommée ! Il frappe, mais ce n’est pas d’une hache. Bourreau à plume, la sienne ne coupe pas ! Malgré sa résolution déclamatoire, malgré son désir de briller désormais comme une lâche sur la mémoire de Balzac, M. Eugène Poitou manque du mordant qui fait rester la tache sur un homme. Comme exécuteur en critique, il n’a ni la fermeté ni la justesse, ces qualités de tout bon bourreau. Que disons-nous ? A-t-il même une main ? Est-il une personnalité ? Est-il quelqu’un ? N’est-il pas simplement la Revue des Deux-Mondes ! N’est-il pas la main de M. Buloz, passée dans la manche d’un lauréat d’académie, pour rendre plus solennels les coups que l’on veut porter à l’une des plus grandes gloires littéraires du dix-neuvième siècle ? Au parti pris évident d’une critique qui n’excepte rien de ses condamnations et de ses ravalements, quand il s’agit d’un homme comme Balzac, M. Poitou est moins un critique que le garçon de la Revue des Deux-Mondes. On reconnaît en lui la rancune de cette Revue, qui se souvient de ses anciens procès avec Balzac quand il s’agit de lui faire le sien. Balzac, on se le rappelle, dit autrefois un mot sur M. Buloz, que M. Buloz eût pu effacer aujourd’hui, en souffrant une critique impartiale. Mais il n’a pas voulu que le mot fût oublié ; et, pour notre compte, nous disons tant mieux ! car le mot est gai et il ◀continue d’être juste3. Quant au talent en soi de M. Poitou, il n’est pas de mesure avec la besogne qui lui a été imposée. Par le style, par le mouvement des idées, par le cant de sa diatribe morale et littéraire, M. Poitou est un rédacteur de la Revue des Deux-Mondes. Nous n’en dirons qu’un mot, mais il suffira.
Cette Revue qui fait dire à ses écrivains que M. de Balzac est de la plus profonde immoralité, ce qui est faux — (il a répondu lui-même à ce reproche dans sa magnifique préface de La Comédie humaine, qui restera sur sa mémoire comme un bouclier de diamants), la Revue des Deux-Mondes a publié les romans de Balzac, — et ceux-là que M. Poitou accuse le plus de matérialisme, — et tout le monde sait que ce ne fut point sur une question morale qu’elle rompit avec l’illustre romancier. Aujourd’hui toujours Revue, elle veut vendre du Balzac mort et insulté comme elle a vendu du Balzac vivant. C’est double profit, on tire deux moutures du sac d’un homme : l’une de son écritoire, l’autre de son cercueil. D’un autre côté, la Revue des Deux-Mondes, cette Marianne parlementaire, cet arsenal académique de mécontents où les poltrons conspirent, n’a pas pu faire l’apologie d’un homme qui se souciait peu des académies, qui aimait le pouvoir et qui glorifiait Napoléon. Pour ce qui est de la haute moralité que la Revue des Deux-Mondes invoque dans l’écrit de M. Poitou, nous n’en rions pas. La moralité est une si grande chose que, même étroite, même injuste, nous savons encore la respecter. Tard venue, elle est la bienvenue ! Seulement cette moralité qui ne s’appuie pas aux idées positives et religieuses sans lesquelles, selon nous, toute moralité est une illusion ou un calcul, cette moralité ne nous satisfait qu’imparfaitement. Elle n’est qu’un progrès, mais il en reste encore à faire. Quand la Revue des Deux-Mondes dira le chapelet, nous vous avertirons !