(1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375
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(1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Alfred de Musset

C’est un devoir à chaque génération comme à une armée d’enterrer ses morts, de leur rendre les derniers honneurs. Il ne serait pas juste que le poète si charmant qui vient d’être enlevé disparût sans recevoir, même au milieu de ce qui a été dit et de ce qui se dira de vrai et de senti sur son talent, quelques mots particuliers d’adieu de la part d’un ancien ami, d’un témoin de ses premiers pas. La note chantante d’Alfred de Musset nous était si connue et si chère dès le premier jour, elle nous était allée si avant au cœur dans sa fraîcheur et sa verte nouveauté, il était tellement, avec plus de jeunesse, de la génération dont nous étions nous-même, génération alors toute poétique, toute vouée à sentir et à exprimer ! Il y a vingt-neuf ans de cela, je le vois encore faire son entrée dans le monde littéraire, d’abord dans le cercle intime de Victor Hugo, puis dans celui d’Alfred de Vigny, des frères Deschamps. Quel début ! quelle bonne grâce aisée ! et dès les premiers vers qu’il récitait, son Andalouse, son Don Paez, et sa Juana, que de surprise et quel ravissement il excitait alentour ! C’était le printemps même, tout un printemps de poésie qui éclatait à nos yeux. Il n’avait pas dix-huit ans : le front mâle et fier, la joue en fleur et qui gardait encore les roses de l’enfance, la narine enflée du souffle du désir, il s’avançait le talon sonnant et l’œil au ciel, comme assuré de sa conquête et tout plein de l’orgueil de la vie. Nul, au premier aspect, ne donnait mieux l’idée du génie adolescent. Tous ces brillants couplets et ces jets de verve que leur succès même a usés depuis, mais qui dans la poésie française étaient alors si nouveaux :

Amour, fléau du monde, exécrable folie, etc. ;
Comme elle est belle au soir, aux rayons de la lune, etc. ;
Ô vieillards décrépits, têtes chauves et nues, etc. ;
Peut-être que le seuil du vieux palais Luigi, etc. !

tous ces passages comme marqués d’un accent shakespearien, ces furieux élans au milieu des audaces fringantes et des sourires, ces éclairs de chaleur et de précoce orage, semblaient promettre à la France un Byron. Les chansons sveltes, élégantes, qui s’envolaient chaque matin de ses lèvres, et qui bientôt coururent sur celles de tous, étaient bien de son âge ; mais la passion, il la devinait, il l’aspirait avec violence, il la voulait devancer. Il en demandait le secret à ses amis plus riches en expérience et encore humides du naufrage, comme on le voit dans les stances à Ulric Guttinguer :

Ulric, nul œil des mers n’a mesuré l’abîme..·

qui finissent par ce vers :

Moi si jeune, enviant ta blessure et tes maux !

Au bal, dans les réunions et les fêtes riantes, quand il rencontrait le plaisir, il ne s’y tenait pas, il cherchait par la réflexion à en tirer tristesse, amertume ; il se disait, tout en s’y livrant avec une apparence de fougue et d’abandon, et pour en rehausser même la saveur, que ce n’était qu’un instant fugitif, aussitôt irréparable, et qui ne reviendrait plus jamais sous ce même rayon ; et en tout il appelait une sensation plus forte, plus aiguë, d’accord avec le ton auquel il avait monté son âme. Il trouvait que les roses d’un jour n’étaient pas encore assez rapides ; il eût voulu les arracher toutes pour les mieux respirer, pour en mieux exprimer l’essence.

Une préoccupation lui vint presque en même temps que son premier succès. Il y avait alors une école nouvelle, non encore régnante, mais déjà des plus en vogue et qui se dessinait au complet. C’était dans son sein qu’il avait préludé, qu’il s’était produit, et il pouvait sembler y être éclos. Il s’appliqua à montrer que cela n’était pas, ou du moins aurait pu ne pas être, qu’il ne relevait de personne, et que, même dans les rangs nouveaux, il ne ressemblait qu’à lui. Ici encore il se hâtait trop impatiemment sans doute. Qu’avait-il à craindre ? le seul développement de ce talent si franc et si vif aurait bien suffi à manifester naturellement son originalité. Mais il n’était pas homme à attendre le fruit du temps et le cours des saisons. L’école poétique nouvelle avait été volontiers jusque-là religieuse, élevée, un peu solennelle, ou sentimentale et rêveuse ; elle se piquait d’être exacte et même scrupuleuse par la forme : il rompit d’emblée en visière à cette solennité ou à cette sensibilité, et se montra familier ou persifleur à l’excès ; il nargua le rythme et la rime ; il mit la poésie en déshabillé et fit Mardoche, suivi bientôt de Namouna. Ô le profane, ô le libertin) s’écria-t-on de toutes parts ; mais on le savait par cœur aussi, on retenait, on récitait de ce Mardoche des dizains entiers sans se bien rendre compte du pourquoi, si ce n’est que c’était plein de facilité, de fantaisie, parfois d’un bon sens inattendu jusque dans l’insolence, que c’étaient des vers amis de la mémoire, et les rêveurs eux-mêmes, et les plus tendres, allaient d’un air de gloire se répétant tout bas le couplet : « Heureux un amoureux, etc. » Quant au don Juan de Namouna, à cette forme nouvelle du roué qui pouvait sembler l’enfant chéri de l’auteur, l’idéal, hélas ! de son vice et de son mal, il était si charmant, si hardiment jeté, il était l’occasion de si beaux vers, les deux cents vers les mieux lancés et les plus osés que la poésie française se fût jamais permis, que l’on concluait avec le poète lui-même en disant :

Que dis-je ! tel qu’il est, le monde l’aime encore…

Dans le drame intitulé La Coupe et les lèvres, Alfred de Musset exprimait admirablement, sous la figure de Frank et de Belcolore, la lutte entre un cœur noble, fier, orgueilleux, et le génie des sens auquel il a une fois donné accès. Il y avait de tristes, de hideuses vérités entrevues, et plus qu’entrevues, des monstres arrachés et traînés au jour du fond de cette caverne du cœur, comme l’appelle Bacon : mais le tout revêtu d’un éclat, d’une puissance sonore incomparable. Et même sans que le monstre fût vaincu, on sentait pleuvoir et résonner sur ses écailles les flèches d’or d’Apollon.

Alfred de Musset, comme plus d’un des personnages qu’il a peints et montrés en action, s’était dit qu’il fallait tout voir, tout savoir, et, pour être l’artiste qu’il voulait être, avoir plongé au fond de tout. Théorie périlleuse et fatale ! comme il l’a rendue par une énergique et expressive image dans sa comédie de Lorenzaccio ! Qu’est-ce en effet que ce Lorenzo « dont la jeunesse a été pure comme l’or ; qui avait le cœur et les mains tranquilles ; qui n’avait qu’à laisser le soleil se lever et se coucher pour voir fleurir autour de lui toutes les espérances humaines, qui était bon, et qui, pour son malheur, a voulu être grand ? » Ce n’est pas un artiste que Lorenzo, il veut être, lui, un homme d’action, un grand citoyen : il s’est proposé un héroïque dessein, il s’est dit de délivrer Florence, sa patrie, de l’ignoble et débauché tyran Alexandre de Médicis son propre cousin ; et pour y réussir, qu’imagine-t-il ? de jouer le rôle du premier Brutus, mais d’un Brutus modifié selon la circonstance, et, à cette fin, de se prêter à toutes les folies, à tous les vices chers au tyran dont les orgies déshonorent Florence. Il s’insinue donc dans sa familiarité, et devient son complice et son instrument, guettant l’heure et l’instant propice : mais, en attendant, il a trop vécu, il a trop plongé chaque jour dans la vase immonde, il a trop vu la lie de l’humanité ; il s’est réveillé de ses rêves. Il continue toutefois et persévère, il atteindra son but, mais il sait bien que ce sera en vain. Il mettra à bas le monstre qui soulève de dégoût Florence, mais il sait bien aussi que ce jour-là où elle en sera délivrée, Florence se choisira un autre maître, et que Lorenzo n’en sera que plus honni. Et puis Lorenzo, à force de simuler le vice et d’endosser le mal comme un habit d’emprunt et qui sert à une expérience, se l’est incorporé ; le masque qu’il a pris s’est collé à lui et lui restera par plaques au visage. La tunique trempée du sang de Nessus a pénétré sa peau et ses os. Le dialogue entre Lorenzo et Philippe Strozzi, un honnête et vertueux citoyen qui ne voit que le côté honorable et désirable des choses, est d’une effrayante vérité. La conscience qu’a Lorenzo d’avoir trop vu et trop pratiqué la vie, d’être allé trop au fond pour en jamais revenir, d’avoir introduit en lui l’hôte implacable qui sous forme d’ennui le ressaisira toujours et lui fera faire éternellement par habitude, par nécessité et sans plaisir, ce qu’il a fait d’abord par affectation et par feinte, cette affreuse situation morale est exprimée en paroles saignantes : « Pauvre enfant, tu me navres le cœur », lui dit Philippe ; et il ne sait que répéter, à toutes les explications et révélations profondes et contradictoires du jeune homme : « Tout cela m’étonne, et il y a dans tout ce que tu m’as dit des choses qui me font peine, et d’autres qui me font plaisir. »

Je ne fais qu’effleurer le sujet. Mais, à relire ainsi et à reprendre, maintenant qu’il n’est plus, bon nombre des pièces et des personnages d’Alfred de Musset, on arriverait à découvrir en cet enfant de génie le contraire de Gœthe, de ce Gœthe qui se détachait à temps de ses créations, même les plus intimes à l’origine, qui ne pratiquait que jusqu’à un certain point l’œuvre de ses personnages, qui coupait à temps le lien, les abandonnait au monde, en étant déjà lui-même partout ailleurs, et pour qui « poésie était délivrance ». Gœthe, dès sa jeunesse et dès le temps de Werther, s’apprêtait à vivre plus de quatre-vingts ans. Pour Alfred de Musset, la poésie était le contraire ; sa poésie, c’était lui-même, il s’y était rivé tout entier ; il s’y précipitait à corps perdu ; c’était son âme juvénile, c’était sa chair et son sang qui s’écoulait ; et quand il avait jeté aux autres ces lambeaux, ces membres éblouissants du poète qui semblaient parfois des membres de Phaéton et d’un jeune dieu (se rappeler les magnifiques apostrophes et invocations de Rolla), il gardait encore son lambeau à lui, son cœur saignant, son cœur brûlant et ennuyé. Que ne prenait-il patience ? tout serait venu en sa saison. Mais il avait hâte de condenser et de dévorer les saisons.

Après les jeux de la passion que devinait cette enfance, elle-même pourtant elle vint, la passion en personne : nous le savons ; elle éclaira un moment ce génie si bien fait pour elle, elle le ravagea. On connaît trop bien cette histoire, devenue une fable, pour que ce soit une inconvenance de la rappeler en passant ; ce n’est point aux poètes de nos jours, aux enfants du siècle qu’il faut appliquer une discrétion dont ils ont si peu fait usage. Dans le présent épisode surtout, les Confessions ont retenti des deux parts, et ce serait le cas de dire avec Bossuet, si nous en avions le droit et si nous n’étions pas des leurs, qu’il y en a « qui passent leur vie à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. » L’univers, il faut en convenir aussi, c’est-à-dire la France, s’y est prêtée en toute bonne grâce ; elle a écouté et accueilli avec un intérêt prononcé, et d’une âme encore très littéraire en ce temps-là, tout ce qui du moins lui paraissait éloquent et sincère. Pour ce qui est d’Alfred de Musset, il a dû à ces heures d’orage et de douloureuse agonie délaisser échapper en quelques Nuits immortelles des accents qui ont fait vibrer tous les cœurs, et que rien n’abolira. Tant qu’il y aura une France et une poésie française, les flammes de Musset vivront comme vivent les flammes de Sapho. — À ces quatre Nuits célèbres, n’oublions pas d’ajouter un Souvenir qui s’y rattache étroitement, un retour à la forêt de Fontainebleau, qui est d’une émouvante et pure beauté, et, ce qui est rare chez lui, d’une grande douceur.

Il y eut dans cette vie rapide un favorable moment où, pendant l’intervalle et au lendemain des crises, la fatigue déjà venue laissait pourtant à la parole d’Alfred de Musset toute sa fraîcheur, en même temps qu’il s’y mêlait une finesse nouvelle de pensée, une ironie, une légèreté moqueuse, la plus aisée et la plus française peut-être depuis Hamilton et Voltaire. Ce moment fut court, avec Musset tout se menait vite et courait ; mais ce fut un moment unique et bien précieux où il donna l’idée et l’espérance à quelques-uns de ses amis qu’il pouvait mûrir et se transformer. Des proverbes d’une délicatesse exquise, de beaux vers toujours, des vers légers et qui sentaient une aisance supérieure, qui portaient un bon sens spirituel mêlé à d’aimables négligences, puis des accents soudains qui se relevaient avec chant et rappelaient les sons mélodieux d’autrefois :

Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux !

tout cela semblait présager une saison plus tempérée et le règne durable d’un talent qui était devenu cher à tous, et que le monde le plus choisi, comme la plus fervente jeunesse, avait décidément adopté. Qu’il s’agît de chanter les premiers triomphes de Rachel et le début de Pauline Garcia, ou de railler de grosses emphases patriotiques venues du libre Rhin allemand, ou de filer un conte moqueur, Alfred de Musset était là, mêlant à propos un éclair d’enthousiasme, un grain d’ironie ; il vérifiait de plus en plus la devise du poète :

Je suis chose légère et vole à tout sujet.

Il était même à la mode. Ses volumes, je l’ai remarqué ailleurs, faisaient partie des corbeilles de noces, et j’ai vu de jeunes maris élégants le donner à lire à leurs femmes, dès le premier mois, pour leur former l’esprit à la poésie. C’est alors aussi qu’on entendait dans les salons des gens d’esprit et réputés gens de goût, des demi-juges de l’art comme il y en a surtout dans notre pays55, affecter de dire qu’ils aimaient Musset pour sa prose, et non pour ses vers, comme si la prose de Musset n’était pas essentiellement celle d’un poète : qui avait fait les vers pouvait seul faire cette fine prose. Il y a des gens qui couperaient, s’ils le pouvaient, une abeille en deux. Cependant le succès du théâtre était venu se joindre pour lui à la faveur du monde. On s’était aperçu depuis quelque temps que plus d’un de ces jolis proverbes qui composaient le Spectacle dans un fauteuil pouvait, bien compris et bien rendu par des acteurs et des actrices de société, procurer une heure de très agréable délassement. On essayait à l’envi de monter ces petites pièces dans les loisirs de la vie de château. Mme Allan eut l’honneur de cette même découverte au théâtre ; on a dit spirituellement qu’elle rapporta de Russie le Caprice de Musset dans son manchon56. Le succès qu’obtint à la Comédie-Française cette jolie chose poétique prouva qu’il y avait lieu encore, dans le public, à de l’émotion littéraire délicate quand on la savait éveiller. Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ?

Musset n’était que poète ; il voulait sentir. Il était d’une génération dont le mot secret, le premier vœu inscrit au fond du cœur, avait été la poésie en elle-même, la poésie avant tout. « Dans tout le temps de ma belle jeunesse, a dit l’un des poètes de cette même époque, j’ai toujours été ne désirant, n’appelant rien tant de mes vœux, n’adorant que la passion sacrée », la passion, c’est-à-dire la matière vive de la poésie. Tel, au plus haut degré, était Musset, prodigue entre tous57. Comme un soldat téméraire, il ne sut pas d’avance préparer la seconde moitié du voyage ; il eût dédaigné d’accepter ce qu’on appelle sagesse et qui lui semblait la diminution graduelle de la vie. Se transformer n’était pas son fait. Arrivé au haut et déjà au revers de la montagne, il lui semblait être arrivé à l’extrémité et au-delà de tous les désirs : le dégoût l’avait saisi. Il n’était pas de ceux que la critique console de l’art, qu’un travail littéraire distrait ou occupe, et qui sont capables d’étudier, même avec emportement, pour échapper à des passions qui cherchent encore leur proie et qui n’ont plus de sérieux objet. Lui, il n’a su que haïr la vie, du moment, pour parler son langage, qu'elle n’était plus la jeunesse sacrée. Il ne la concevait digne d’être vécue, il ne la supportait qu’entourée et revêtue d’un léger délire58. Il a souffert ; que ceux qui l’ont aimé et qui l’aimeront toujours pour ses vers ne l’oublient pas. Il a eu, il a dû avoir bien des fois le sentiment et comme l’agonie de sa défaillance devant l’idée de cette vérité supérieure, de cette beauté poétique plus sereine qu’il concevait et qu’il n’avait plus assez de force pour atteindre ni pour embrasser. Un jour, un de ses amis les plus dévoués et dont la perte bien récente a dû lui porter un coup, lui être d’un fâcheux présage, Alfred Tattet, que je rencontrais sur le boulevard, me montra un chiffon de papier sur lequel étaient quelques vers tracés au crayon, et qu’il avait, le matin même, surpris sur la table de nuit de Musset, en ce moment à la campagne chez lui, dans la vallée de Montmorency59. Voici ces vers qui ont été depuis imprimés, mais qui n’ont tout leur sens que quand on les voit ainsi tracés par le poète dans une nuit d’abattement et de regret amer, et dérobés, à son insu, par l’amitié :

J’ai perdu ma force et ma vie
Et mes amis, et ma gaieté ;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
Quand j’ai connu la vérité.
J’ai cru que c’était une amie ;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.
Et pourtant elle est immortelle,
Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
— Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.

Qu’on se rappelle ses premières chansons de page ou de cavalier amoureux : « En chasse, et chasse heureuse !… », ce son matinal du cor, et qu’on mette en regard cet admirable et affligeant sonnet final, toute la carrière poétique d’Alfred de Musset m’apparaît comprise entre deux : gloire et pardon ! Quel sillon brillant, hardiment tracé ! que de lumière ! que d’éclipse et d’ombre ! Poète qui n’a été qu’un type éclatant de bien des âmes plus obscures de son âge, qui en a exprimé les essors et les chutes, les grandeurs et les misères, son nom ne mourra pas, Gardons-le particulièrement gravé, nous à qui il a laissé le soin de vieillir, et qui pouvions dire l’autre jour avec vérité en revenant de ses funérailles : « Notre jeunesse depuis des années était morte, mais nous venons de la mettre en terre avec lui. » Admirons, continuons d’aimer et d’honorer dans sa meilleure part l’âme profonde ou légère qu’il a exhalée dans ses chants ; mais tirons-en aussi cette conséquence de l’infirmité inhérente à notre être, et de ne nous enorgueillir jamais des dons que l’humaine nature a reçus.

Tous les articles qui composent jusqu’ici ce volume ont paru le lundi dans Le Moniteur : les deux morceaux suivants sur le duc de Nivernais et le Maréchal de Saint-Arnaud ont été publiée d’abord dans la Revue contemporaine du 31 janvier et du 31 mai 1857.