(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 319-320
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 319-320

1. Terrasson, [Jean] de l'Académie Françoise, de celle des Sciences, &c. né à Lyon en 1670, mort à Paris en 1750.

Madame de Lassey disoit de lui, qu'il n'y avoit qu'un homme de beaucoup d'esprit qui pût être d'une pareille imbécillité. L'Abbé Terrasson avoit beaucoup d'esprit, en effet, mais il l'appliqua aussi mal en littérature qu'en finances. Il prit parti dans le Systême de Law, qu'il démontra inébranlable justement la veille de sa chute ; il entra dans la dispute des Anciens & des Modernes, & sa Dissertation contre l'Iliade d'Homere, ne vaut pas mieux que sa Démonstration. Son Roman de Séthos a le malheur d'être ennuyeux ; mais on y trouve des morceaux dignes de l'Auteur du Télémaque. Sa Traduction de l'Histoire universelle de Diodore de Sicile, est estimée & mérite de l'être.

La trempe d'ame de l'Abbé Terrasson ressembloit à celle de son esprit, c'est-à-dire qu'elle étoit pleine d'élévation & de simplicité. C'étoit une espece de Lafontaine dans le commerce de la vie. On lui demandoit un jour ce qu'il pensoit d'une Harangue qu'il devoit prononcer : Elle est bonne , dit-il avec plus d'ingénuité que d'orgueil ; je dis très-bonne, tout le monde ne la jugera pas ainsi, mais je m'en inquiete peu. Combien d'Auteurs en ont dit autant de leurs Ouvrages, sans être aussi excusables que lui ? A l'égard de son opulence, il disoit : Je réponds de moi jusqu'à un million. Il la vit s'evanouir en un moment avec la même tranquillité qu'il l'avoit acquise ; & lorsqu'il se trouva réduit au simple nécessaire : Me voilà tiré d'affaire , dit-il ; je revivrai de peu, cela m'est plus commode .

Le même caractere se soutint jusqu'au dernier moment de sa vie. Dans ses derniers jours, il évaluoit en riant le dépérissement des facultés de son ame. Je calculois ce matin , disoit-il un jour à M. Falconet, son ami, que j'ai perdu les quatre cinquiemes de ce que je pouvois avoir de lumieres acquises. Si cela continue, il ne me restera seulement pas la réponse que fit, au moment de mourir, ce bon M. de Lagny, à notre illustre Confrere Maupertuis.

Ce bon M. de Lagny ne s'étoit occupé toute sa vie que de calcul : étant à l'extrémité, sa famille qui l'entouroit, n'en put tirer une seule parole. M. de Maupertuis promit de le faire parler M. de Lagny, lui cria-t-il, le quarré de douze ? Cent quarante-quatre, répondit le mourant. Il expira un instant après.