(1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »
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(1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Madame Desbordes-Valmore.

Sa vie et sa correspondance (suite et fin.)

Il faut bien en venir pourtant aux hommages littéraires, à commencer par le plus magnifique et le plus royal de tous, celui de Lamartine. Lui seul en eut l’initiative, et un quiproquo y aida. Il y avait dans les dernières années de la Restauration un poète errant et des plus bohèmes, Franc-Comtois d’origine ou à peu près, resté de tout temps provincial, voué à l’Épître laudative et à l’Élégie, d’une verve facile et un peu banale dans son harmonie coulante, Aimé De Loy. Il avait poussé son odyssée jusqu’au Brésil et en était revenu pour mourir pauvre en 1834. C’est à ce poète, de plus d’infortune et de malchance que de talent, qu’un jour Mme Valmore adressa des vers insérés dans un keepsake, avec ces seules initiales : à m. a. d. l. — Mais a. d. l. , que pouvaient signifier de telles initiales à cette date, sinon le grand poète régnant, Alphonse de Lamartine ? Le keepsake lui étant tombé sous les yeux, Lamartine, en effet, prit ces vers pour lui, et, à l’instant, il s’échappa de son sein une nuée de strophes ailées, un admirable chant et vraiment sublime, à la louange de son humble sœur en poésie. Il y avait des années déjà qu’il avait noté et distingué entre tous l’accent particulier à Mme Valmore. Un jour (vers 1828) qu’il s’entretenait avec M. de Latour, comme celui-ci avait amené dans la conversation quelques noms contemporains de femmes-poètes, Lamartine s’était écrié : « Mais il y a bien autre chose au-dessus, bien au-dessus de tout cela ! Cette pauvre petite comédienne de Lyon… comment l’appelez-vous ?… » Et lui-même avait aussitôt retrouvé le nom. Il fit donc cette admirable pièce qui commence avec grandeur, et où il montre le vaisseau de haut bord qui, dans l’orgueil du départ, se rit des flots et se joue même de la tempête ; puis, en regard, la pauvre barque comme il en avait tant vu dans le golfe de Naples, une barque de pêcheur dans laquelle habite toute une famille, et qui, jour et nuit, lui sert d’unique asile et de foyer : le père et le fils à la manœuvre, la mère et les filles aux plus humbles soins. Mais il faut citer ces stances qui, pour nous désormais, ont tout leur sens et toute leur vérité. Remarquez que Lamartine ne connaissait qu’à peine et de loin seulement Mme Valmore ; mais la divination du génie est comme une seconde vue, et du premier coup d’œil il avait tout compris de cette existence, il avait tout exprimé en images vivantes et dans un tableau immortel :

Ils n’ont, disais-je, dans la vie
Que cette tente et ces trésors ;
Ces trois planches sont leur patrie.
Et cette terre en vain chérie
Les repousse de tous ses bord !

En vain de palais et d’ombrage
Ce golfe immense est couronné ;
Ils n’ont pour tenir au rivage
Que l’anneau rongé par l’orage
De quelque môle abandonné !

Ils n’ont pour fortune et pour joie
Que les refrains de leurs couplets,
L’ombre que la voile déploie,
La brise que Dieu leur envoie,
Et ce qui tombe des filets !

Cette pauvre barque, ô Valmore !
Est l’image de ton destin.
La vague, d’aurore en aurore,
Comme elle te ballotte encore
Sur un océan incertain !

Tu ne bâtis ton nid d’argile
Que sous le toit du passager,
Et, comme l’oiseau sans asile,
Tu vas glanant de ville en ville
Les miettes du pain étranger.

Ta voix enseigne avec tristesse
Des airs de fête à tes petits,
Pour qu’attendri de leur faiblesse,
L’oiseleur les épargne et laisse
Grandir leurs plumes dans les nids !

Mais l’oiseau que ta voix imite
T’a prêté sa plainte et ses chants,
Et plus le vent du nord agite
La branche où ton malheur s’abrite,
Plus ton âme a des cris touchants !

Du poète c’est le mystère ;
Le luthier qui crée une voix
Jette son instrument à terre,
Foule aux pieds, brise comme un verre
L’œuvre chantante de ses doigts ;

Puis d’une main que l’art inspire,
Rajustant ces fragments meurtris,
Réveille le son et l’admire,
Et trouve une voix à sa lyre,
Plus sonore dans ses débris104 !…

Ainsi le cœur n’a de murmures
Que brisé sous les pieds du sort !
L’âme chante dans les tortures,
Et chacune de ses blessures
Lui donne un plus sublime accord !…

Qu’ajouter à de tels accents ? et combien aux années heureuses et innocentes, avant la politique, il lui a été donné de verser de semblables chants dans les âmes souffrantes, lui, le grand consolateur à qui il doit être tant pardonné ! En même temps que cette pièce de vers, Mme Valmore recevait la lettre que voici :

« 25 janvier 1831.

« Madame,

« J’ai lu dans le Keepsake des vers de vous que j’ai voulu croire adressés à l’auteur des Harmonies poétiques. C’était un motif ou un prétexte que je ne voulais pas laisser échapper, d’adresser moi-même un bien faible hommage à la femme dont l’admirable et touchant génie poétique m’a causé le plus d’émotion. Agréez donc, madame, ces stances trop imparfaites où j’ai essayé d’exprimer ce qu’une situation si indigne de vous et du sort m’a si souvent inspiré en pensant à vous ou en parlant de vous. Voyez-y, je vous prie, seulement, madame, un témoignage de profonde sympathie, d’admiration et de respect.

« Al. de Lamartine. »

Ainsi touchée au fond de l’âme et aussi prompte que l’écho, Mme Valmore répondait à l’instant dans la même mesure et sur le même rythme. Je ne mettrai de sa réponse que deux ou trois strophes dans lesquelles elle réclamait avec confusion contre le mot de gloire que lui avait jeté magnifiquement le grand poète :

Mais dans ces chants que ma mémoire
Et mon cœur s’apprennent tout bas,
Doux à lire, plus doux à croire,
Oh ! n’as-tu pas dit le mot gloire ?
Et ce mot, je ne l’entends pas :

Car je suis une faible femme,
Je n’ai su qu’aimer et souffrir ;
Ma pauvre lyre, c’est mon âme,
Et toi seul découvres la flamme
D’une lampe qui va mourir…

Je suis l’indigente glaneuse
Qui d’un peu d’épis oubliés
À paré sa gerbe épineuse,
Quand ta charité lumineuse
Verse du blé pur à mes pieds…

Envoyant à M. Duthillœul, de Douai, qui lui en avait demandé copie, la pièce de vers de Lamartine, elle ajoutait ces lignes qui sont dictées par le même sentiment :

« L’attendrissement l’a emporté sur la modestie, monsieur, et j’ai transcrit ces beaux vers à travers mes larmes, oubliant qu’ils sont faits pour un être si obscur que moi. Mais non, ils sont faits pour la gloire du poète, pour montrer son âme dans ce qu’elle a de sublime et de gracieuse pitié. Je vous les donne. »

Quant à Lamartine, il remerciait Mme Valmore de sa réponse émue et palpitante, par une lettre que je donnerai encore et qui clôt dignement cet échange harmonieux, ce cartel de haute et tendre poésie :

« Madame,

« Je suis payé au centuple, et je rougis en lisant vos vers des éloges que vous donnez aux miens ! Une de vos strophes vaut toutes les miennes. Je les sais par cœur.

« J’espère que la fortune rougira aussi de son injustice, et vous accordera un sort indépendant et digne de vous. Il ne faut jamais désespérer de la Providence quand elle nous a marqué au berceau pour un de ses dons les plus signalés, et quand on sait comme vous l’adjurer dans une langue divine.

« Je compte aller bientôt passer deux jours à Lyon. Je m’estimerais bien heureux de joindre le plaisir de vous connaître à celui de vous admirer et de vous remercier.

« Al. de Lamartine.

« Mâcon, 3 mars 1831. »

À côté de Lamartine et non pas au-dessous, nous plaçons une autre liaison bien chère et plus intime, toute profonde, et qui avait sa racine dans les sentiments humains, plébéiens et véritablement fraternels ; c’est ainsi que je caractérise le mutuel attachement de Mme Valmore et de M. Raspail, celui qu’elle appelait « bon Socrate », — « bon et sublime prisonnier », — « charmant stoïque », celui à qui elle dédiait la pièce miséricordieuse, les Prisons et les Prières, du dernier recueil. Les passages de correspondance que j’ai à donner en diront plus que toutes les paroles sur cette noble et généreuse amitié, qui s’était affermie dans les épreuves et avait grandi dans l’absence.

Après sa sortie de là citadelle de Doullens, M. Raspail était allé passer ses années de bannissement en Belgique ; il y jouissait de l’espace retrouvé, de la nature, du soleil ; il y vivait à la campagne et s’amusait à rédiger un journal de médecine, une Revue où il parlait de tout à son gré, et dont il était le seul rédacteur. Il écrivait à Mme Valmore :

« Boitsfort, 9 septembre 1855.

« … Dans une prochaine lettre dites-moi donc dans quel coin de ces vertes Flandres est votre premier pays. Combien ] j’aime à dénicher ici tous ces petits berceaux de nos grandes renommées ! Il m’arrive bien des fois de vouloir rendre compte de mes visitations de ce genre, à propos de la moindre circonstance artistique qui semble s’y rattacher. Les Flamands ont une vénération tout allemande pour les reliques de leurs saints de la république artistique. Vous recherchez en France la pantoufle des rois : ici la pantoufle de Vésale ou de Rubens vaudrait le diamant de la couronne. Ils ne vénèrent, il est vrai, que leurs illustres morts, et se montrent plus qu’indifférents pour les morts ordinaires, même pour les morts qu’ils ont aimés ; rien n’est odieux à mes yeux comme leurs cimetières de village ! Mon petit village va se réformer sur ce point, parce qu’il craint de me faire de la peine. Je veux qu’un jour chacun de nos bons paysans continue à être bon sur une tombe, et qu’il aille se délasser de ses travaux par une délicieuse causerie avec les âmes. Le Flamand est lent, mais il marche ; et quand une fois il a pris son bâton de voyage, il va loin sans s’arrêter.

« Mais j’allais vous parler de ce que vous connaissez mieux que moi, vous qui jadis avez été Flamande comme j’en vois dans les tableaux de Yan Eyck et de Yan Dyck, avant de devenir une des gloires de l’Hélicon de France. Nous sommes tous ainsi faits : les débutants croient en apprendre aux maîtres ; un touriste en sait plus que l’habitant du lieu ; passez-moi cette commune manie : elle fait tant de plaisir ! »

M. Raspail avait écrit dans sa Revue d’éloquents articles sur Rousseau au physique et au moral105. Mme Valmore l’en remerciait :

« (Octobre 1855). Nous lisions vos belles pages sur Jean-Jacques, lorsque votre lettre m’est venue. J’ai enfermé cette ] lettre avec ce que vous avez jamais écrit de plus ardent et de plus loyal : aussi l’ai-je lue en compagnie de mon cher fils avec un intérêt indicible. Jamais Rousseau n’a eu de juge plus équitable ni d’ami plus fervent. Êtes-vous son frère, bien-aimé banni ? Êtes-vous lui-même, guéri de tous les maux du corps et de l’âme ?… Cette idée m’a remplie de joie…

« J’ai une prière à vous faire, et vous me l’accorderez au nom de votre tendre et candide fille : ne me donnez jamais celui de muse. Non, ce n’est pas moi, et je suis si triste, si vraie, chère âme généreuse, que je ne mérite pas l’ombre de la moquerie, si innocente qu’elle soit de votre part. Vous voyez bien que je sais à peine l’orthographe de tout ce que mon cœur de mère vous écrit. »

Il est touchant de rencontrer dans cette correspondance, et sous la plume de l’exilé, tout un hymne patriotique et lyrique à la France conçue et embrassée par un cœur de fils et de citoyen. Au moyen âge on disait déjà la douce France ; les chevaliers, les braves Roland qui mouraient loin d’elle, la saluaient ainsi. Les enfants de la Révolution ont renouvelé et rallumé avec ardeur, avec orgueil, ce culte filial et cet amour. S’est-il affaibli depuis lors, comme trop de symptômes l’annoncent ? S’est-il altéré ou épuisé ? Cette France de nos pères, celle de 89 et de 92, cette France de Manuel, de Béranger, de Raspail, celle de notre jeunesse, ne serait-elle donc plus la France d’aujourd’hui et de demain ? Je n’ose presser l’avenir ni forcer les présages ; je ne veux pas regarder au plus ou moins de ressemblance ; je m’en tiens à cette pieuse et enthousiaste invocation par laquelle un fidèle, un croyant saluait à un commencement d’année la patrie absente :

« (Boitsfort, 1er janvier 1856)… Oh ! le beau pays que mon pays ! terre féconde en miracles, jusque dans les instants de tourmente et d’égarements partiels ! Ici l’on passe ; là-bas où vous êtes, on existe, on s’aime, on s’apprécie, on se comprend, on se respecte jusques après la mort. Oh ! si la France venait à être retranchée de la carte, l’univers n’aurait plus ni cœur ni tête ; ce petit recoin pense et agit pour tout le monde. Tout se régénère, dès qu’elle comprend qu’il faut changer de robe ; tout tremble sous la calotte du ciel, dès que ce Jupiter fronce le sourcil. Le souvenir seul de son soleil vous réchaufferait jusque sur les glaces du pôle ; on l’adore, bonne mère ou marâtre ; on se ferait vingt fois tuer, dût-elle être ingrate, pourvu qu’elle fût plus belle encore ; — on a vu dans l’histoire des idiots et des scélérats la posséder ; nul n’a jamais pu ni l’humilier ni l’asservir. Chantez, ma muse, cette admirable France, héroïque, spirituelle, bonne et affectueuse, économe et libérale, un peu coquette et essentiellement aimante, un peu narquoise, mais toujours juste et impartiale, grande maîtresse du progrès indéfini qui entraîne dans son tourbillon jusqu’aux Cosaques et aux Hurons ; chantez cette mère, vous sa fille adoptive106, qui la comprenez si bien ; et permettez-moi de vous appeler ma muse, puisque mon prosaïque lot ne me donne aucun droit de vous appeler ma sœur ; et soyez sûre qu’en vous admirant, je vous aime. »

Et maintenant on comprendra que quand Mme Valmore disparut, M. Raspail, qui avait continué de vivre en Belgique, à la nouvelle de cette mort, ait écrit cinq jours après au fils de la chère défunte cette lettre pathétique et grave, qui mérite de rester attachée à sa mémoire comme la suprême oraison funèbre :

« Monsieur, j’ai lu et relu, les yeux remplis de larmes, votre pieuse lettre ; c’est le dernier adieu que votre illustre mère vous a chargé de me transmettre, vous, le légataire universel de ses souvenirs, de ses affections et de ses grandes qualités. Vous êtes, monsieur, le fils d’un ange. La patrie des lettres et de la poésie n’en produit que bien rarement de tels. Dans ce monde d’intrigues, de dissimulations, de faux amours et de haines mercenaires, où tout se vend, jusqu’au génie, elle a conservé son génie pur de toute atteinte, sa renommée toujours jeune, et son cœur exempt d’occasions de haïr. Ses émules l’ont adorée, ses lecteurs l’ont toujours bénie. Elle a été plus qu’une muse, elle n’a jamais cessé d’être la bonne fée de la poésie, et dans mes nombreux souvenirs de cœur, mon titre le plus doux est d’avoir conservé sa sympathie qui m’a suivi à travers tous mes barreaux. Je l’aurais aimée comme une mère, et à vous en rendre jaloux, si mon âge ne m’avait pas permis de l’aimer comme une sœur. Elle m’a écrit en vers, elle m’a écrit en prose, et toutes ses lettres ont le même charme pour moi. Je crois que madame votre mère était poëte jusque dans le moindre signe, jusque dans le moindre soin. Son dernier silence était un pressentiment qu’elle voulait ne communiquer à personne, tant elle craignait d’être la cause d’une affliction.

« Elle ne vous lègue qu’un nom ; mais que de fortunes voudraient s’échanger contre un pareil titre de noblesse !

« Vous avez été bercé par la poésie, vous avez été élevé par une muse que j’appelais la dixième, la muse de la vertu. Restez, monsieur, le culte vivant de sa mémoire : les lettres ont plus que jamais besoin qu’on leur rappelle souvent de ces beaux souvenirs.

« Agréez, monsieur, et faites agréer à monsieur votre père l’assurance que je sens aussi vivement que vous la perte d’une tête aussi chère, d’une âme aussi aimante et d’un talent bien rare, car il avait son siège dans le cœur.

« F.-V. RASPAIL.

« Stalle-sous-Uccle, 28 juillet 1859. »

Mme Valmore mourut dans la nuit du 22 au 23 juillet 1859. Elle habitait en dernier lieu rue de Rivoli, 73, au coin de la rue Étienne. Elle venait d’avoir soixante-treize ans.

Le 4 août suivant, la ville de Douai accomplissait un devoir douloureux envers son cher poète, et la population douaisienne remplissait cette église Notre-Dame, toute voisine de la maison de naissance de la défunte, pour assister à la messe solennelle qui était célébrée en sa mémoire avec le concours du corps de musique de la ville et de la Société chorale de Sainte-Cécile. La postérité commençait pour l’humble poète.

Toutes les voix qui comptent parmi ses contemporains ont été unanimes à la louer comme il faut et à la définir des mêmes traits. Alfred de Vigny disait d’elle qu’elle était « le plus grand esprit féminin de notre temps. » Je me contenterais de l’appeler « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse et de miséricorde. » — Béranger lui écrivait : « Une sensibilité exquise distingue vos productions et se révèle dans toutes vos paroles. » — Brizeux l’a appelée : « Belle âme au timbre d’or. » — Victor Hugo, enfin, lui a écrit, et cette fois sans que la parole sous sa plume dépasse en rien l’idée : « Vous êtes la femme même, vous êtes la poésie même. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse. »

Et un seul mot en finissant pour ceux et celles qui trouveraient que j’ai parlé bien longuement des douleurs de Mme Valmore, et qui, se reportant à leurs propres peines, seraient tentés de dire : « Et moi donc, suis-je sur des roses ? » Je leur répondrai : Toutes les douleurs humaines sont sœurs ; à chacun la sienne. Il ne s’agit pas de venir comparer les douleurs ; de rapport exact, de mesure commune entre elles, il n’y en a pas : chacun a tout son poids et tout son aiguillon de celle qu’il porte ; elles n’ont point, hélas ! à se jalouser. Mais le propre de la douleur en Mme Valmore et ce qui la différencie des autres, c’est qu’elle lui laissait la pleine liberté d’esprit et le mouvement spontané de cœur vers toutes les douleurs environnantes ; c’est qu’elle n’était jamais assez remplie de sa douleur à elle pour ne pas rester ouverte à toutes celles des autres : « … Que de chagrins étrangers à nous se mêlent aux nôtres ! écrivait-elle dans l’intimité ; tu n’imagines pas combien je connais de malheureux et comité cela m’abat. J’ai eu un temps l’espoir que je souffrais assez pour beaucoup d’autres : je me trompais bien !… »« Je ne suis consolée en ce moment par le bonheur de personne, disait-elle encore ; le bonheur d’autrui serait ma force. » — Un proverbe valaque l’avait frappée : Donne jusqu’à la mort. Cette devise roumaine lui était devenue familière, et elle, si pauvre, si dénuée, elle se plaisait à la répéter quelquefois ; elle la pratiqua toujours.