Lautréamont (1846-1870)
[Bibliographie]
Les Chants de Maldoror, chant I (1868). — Poésies (1870). — Les Chants de Maldoror, chants II à VI (1874).
OPINION.
Remy de Gourmont
C’était un jeune homme d’une originalité furieuse et inattendue, un génie malade et même franchement un génie fou. Les imbéciles deviennent fous et, dans leur folie, l’imbécillité demeure croupissante ou agitée ; dans la folie d’un homme de génie, il reste souvent du génie : la forme de l’intelligence a été atteinte et non sa qualité ; le fruit s’est écrasé en tombant, mais il a gardé tout son parfum et toute la saveur de sa pulpe, à peine trop mûre.
Telle fut l’aventure du prodigieux inconnu Isidore Ducasse, orné par lui-même de ce romantique pseudonyme : Comte de Lautréamont. Il naquit à Montevideo, en avril 1846, et mourut âgé de 28 ans, ayant publié les Chants de Maldoror et des Poésies, Les Chants de Maldoror sont un long poème en prose, dont les six premiers chants seuls furent écrits. Il est probable que Lautréamont, même vivant, ne l’eût pas continué. On sent, à mesure que s’achève la lecture du volume, que la conscience s’en va, s’en va, et quand elle lui est revenue, quelques mois avant de mourir, il rédige les Poésies, où, parmi de très curieux passages, se révèle l’état d’esprit d’un moribond, qui répète, en les défigurant dans la fièvre, ses plus lointains souvenirs, c’est-à-dire, pour cet enfant, les enseignements de ses professeurs !
Motifs de plus que ces chants surprennent. Ce fut un magnifique coup de génie, presque inexplicable.